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— Cela fait longtemps que je ne suis pas partie. Autrefois, j’allais même à l’étranger seule.

— Vous avez étudié en Grande-Bretagne, n’est-ce pas ?

— Mes parents vous en ont parlé ? C’était il y a longtemps. Elle baissa la tête et la releva presque aussitôt. Ah ! Encore un peu, et j’oubliais que je voulais vous demander quelque chose. Vous permettez ?

— De quoi s’agit-il ? demanda Kusanagi en reposant sur la table la tasse de thé dont il venait de boire une gorgée.

— De ce mur. Vous ne le trouvez pas sinistre ?

Ayané regardait le mur latéral, qui était nu. Un espace rectangulaire plus clair indiquait que quelque chose y avait été accroché jusqu’à il y a peu.

— Il y avait une tapisserie ici, avant. J’en ai fait cadeau à Hiromi, car c’est elle qui l’avait fabriquée. Le mur est tellement vide que je me suis dit qu’il fallait y mettre quelque chose.

— Je comprends. Et vous savez quoi ?

— Oui. Je l’ai rapporté de la maison aujourd’hui.

Elle se leva pour aller prendre un sac en papier posé dans un coin de la pièce, plein à craquer d’un objet en tissu.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Le panneau qui était suspendu dans notre chambre à coucher. Il ne servait plus à rien là-bas.

— C’est vrai, répondit Kusanagi en se levant. Eh bien, mettons-nous au travail !

— D’accord ! fit Ayané qui commença à le sortir du sac pour s’interrompre immédiatement.

— Oh ! Il faut d’abord que vous me parliez de ce qui vous amène ici aujourd’hui, de la raison de votre visite.

— Je peux vous l’expliquer une fois que nous aurons terminé.

Ayané fit non de la tête.

— Il n’en est pas question. Vous êtes venu pour votre travail, commençons par là.

Kusanagi acquiesça avec un sourire embarrassé et sortit son carnet de sa poche. Son sourire avait disparu quand il dirigea à nouveau son regard vers elle.

— Allons-y. Je crains que mes questions ne vous soient désagréables mais j’espère que vous comprendrez qu’elles sont nécessaires dans le cadre de l’enquête.

— Bien sûr, répondit-elle.

— Nous connaissons à présent le nom de la jeune femme qui était l’amie de votre mari avant qu’il ne vous rencontre : Junko Tsukui. Cela vous dit quelque chose ?

— Tsukui…

— Junko Tsukui. Avec ces caractères, ajouta-t-il en lui montrant la graphie dans son carnet.

— C’est la première fois que je l’entends, dit-elle en le regardant droit dans les yeux.

— Votre mari vous a-t-il jamais parlé d’une dessinatrice, auteur d’albums pour enfants ? Tout nous intéresse.

— Une dessinatrice auteur d’albums pour enfants ? répéta-t-elle en fronçant les sourcils et penchant la tête sur le côté.

— Oui, c’est le métier qu’elle exerçait. Votre mari aurait pu y faire allusion en passant, dans une conversation.

Ayané baissa les yeux et but une gorgée de thé.

— Je suis désolée, mais je n’ai aucun souvenir que mon mari ait évoqué une dessinatrice ou une femme auteur d’albums pour enfants. Je pense que je me le rappellerais s’il l’avait fait. C’est un univers qui n’avait rien à voir avec lui.

— Vous avez raison. Tant pis pour nous.

— Est-ce que… cette personne a un lien avec ce qui s’est passé ? demanda-t-elle.

— Nous ne le savons pas encore. Nous sommes en train de le vérifier.

— Ah… je vois, fit-elle et elle battit de ses longs cils.

— J’ai une autre question, si cela ne vous dérange pas. Peut-être n’êtes-vous pas la bonne personne à qui la poser, mais les deux autres personnes qu’elle concerne ne sont plus de ce monde.

— Elles ne sont plus de ce monde ?

— Oui. Junko Tsukui est morte. Cela fait déjà deux ans.

— Oh ! s’exclama-t-elle en écarquillant les yeux.

— Voici ma question : comme le montre le temps qu’il nous a fallu pour retrouver cette jeune femme, nous avons l’impression que votre mari ne souhaitait pas que sa relation avec elle soit connue. À votre avis, pourquoi agissait-il ainsi ? A-t-il procédé de la même manière quand il vous a rencontrée ?

Ayané réfléchit quelques instants en serrant sa tasse dans ses mains, avant de répondre, la tête penchée de côté :

— Non, pas le moins du monde. D’ailleurs, son meilleur ami, M. Ikai, était avec lui quand nous nous sommes rencontrés.

— C’est vrai.

— Mais s’il n’avait pas été là, mon mari aurait peut-être essayé d’éviter que notre relation ne soit découverte par ses connaissances.

— Pourquoi ?

— Si personne n’était au courant, il n’aurait pas eu de comptes à rendre si nous avions rompu.

— Vous voulez dire qu’il envisageait en permanence cette possibilité ?

— Non, je pense plutôt qu’il l’envisageait si la femme qu’il fréquentait ne lui donnait pas d’enfant. Il avait pour règle de rompre dans ce cas. Pour lui, un mariage idéal était celui dans lequel la mariée était enceinte.

— Vous voulez dire que fonder une famille était son premier objectif ? Mais votre mariage n’a pas abouti à ce résultat !

Ayané esquissa un sourire lourd de sens en l’entendant. Il aperçut dans ses yeux un éclat manipulateur qu’il ne lui avait jamais vu.

— Pour une raison très simple : je n’ai pas accepté. J’ai exigé que nous nous servions de contraceptifs jusqu’à ce que nous soyons mariés.

— Je comprends mieux. Vous pensez qu’il n’a pas agi ainsi avec Junko Tsukui, c’est cela ? demanda-t-il en trouvant sa question osée.

— Oui, sans doute. Et il a dû rompre avec elle parce qu’elle ne tombait pas enceinte.

— C’est lui qui a rompu ?

— Mon mari était comme cela, dit-elle, le visage détendu comme si ce thème lui était agréable.

Kusanagi referma son carnet.

— Très bien. Je vous remercie.

— C’est tout ?

— Oui. Je suis navré d’avoir dû vous poser ces questions.

— Ne le soyez pas ! Moi aussi, j’ai eu des hommes dans ma vie avant mon mari.

— Cela ne m’étonne pas ! dit-il, sincère. Voulez-vous que je vous aide à accrocher cette tapisserie ?

— Volontiers, répondit-elle.

Elle mit une main dans le sac en papier et l’en ressortit immédiatement, comme si elle avait changé d’avis.

— Finalement, je vais attendre. Je viens de me rendre compte que je n’ai pas encore nettoyé le mur. Il faut que je le fasse d’abord. Je pense que j’arriverai à l’accrocher seule.

— Vous en êtes sûre ? Le panneau ira très bien ici. Si jamais vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas à me le dire !

Elle le remercia d’un hochement de tête.

Après avoir quitté l’atelier de patchwork, Kusanagi passa en revue les questions qu’il lui avait posées. Il vérifia ensuite s’il avait réagi à ses réponses de manière appropriée.

« Je sais que tu n’es pas assez stupide pour laisser tes sentiments influer sur ton travail. »

Ces paroles de Yukawa s’étaient gravées dans son esprit.

24

Une voix dans le haut-parleur annonça que le train arriverait à Hiroshima dans quelques minutes. Kaoru enleva de ses oreilles les écouteurs de son iPod et le rangea dans son sac avant de se lever.

Debout devant la porte du train qui allait entrer en gare, elle vérifia l’adresse notée dans son carnet. La mère de Junko Tsukui habitait le quartier de Takaya, dans la ville de Higashi-Hiroshima. La gare la plus proche était celle de Nishi-Takaya. Mme Tsukui avait paru légèrement surprise quand elle lui avait téléphoné, probablement parce que Kusanagi l’avait déjà appelée pour lui poser des questions sur le suicide de sa fille. Qu’elle se demande pourquoi l’agence métropolitaine de police s’y intéressait deux ans après les faits était compréhensible.