— Il s’agissait d’arsenic, précisa-t-elle. L’autre jour, lorsque Kusanagi, mon collègue, vous a appelée, vous lui avez dit qu’elle avait pris des somnifères, mais le dossier précise qu’elle avait ingéré de l’arsenic. Vous l’ignoriez ?
— Eh bien… Euh… C’est que…
Kaoru ne comprenait pas l’hésitation visible de Mme Tsukui.
— Et cela, cela euh… vous pose problème, balbutia-t-elle. Je veux dire, euh… que je vous aie dit qu’il s’agissait de somnifères.
Elle se conduit bizarrement, pensa l’inspectrice.
— Vous le lui avez dit alors que vous saviez que ce n’était pas le cas ?
Le visage de son interlocutrice se défit.
— Je vous demande pardon, souffla-t-elle. Il est trop tard pour changer quoi que ce soit, et je lui ai dit ça parce que je pensais que la manière dont elle s’est donné la mort n’était pas si importante.
— Vous ne vouliez pas parler de l’arsenic ?
Elle ne répondit pas. Kaoru fut certaine que quelque chose la tourmentait.
— Madame Tsukui !
— Pardon, dit-elle et elle se prosterna devant la jeune femme. Je n’aurais pas dû. Mais sur le moment, je n’ai pas réussi…
Kaoru était interloquée.
— Relevez-vous, s’il vous plaît. Je ne comprends pas ce que vous dites. De quoi s’agit-il ?
La mère de Junko se releva lentement. Ses paupières tressaillaient.
— Le poison venait de chez moi.
— Quoi ? s’exclama Kaoru. Mais le rapport précise que son origine était inconnue…
— Je n’ai pas réussi à le dire aux policiers quand ils m’ont demandé si j’avais une idée d’où provenait le poison, je veux dire l’arsenic. Je ne voulais pas reconnaître qu’elle l’avait trouvé chez moi et je leur ai répondu que je ne savais pas. Comme personne ne m’a reposé la question, je n’en ai pas reparlé… Je vous demande pardon.
— Attendez ! Vous êtes sûre que ce poison venait de chez vous ?
— Quasiment, oui. Quand mon mari était encore vivant, une de ses connaissances le lui avait donné pour se débarrasser des souris. Il le gardait dans la remise à outils.
— Vous êtes sûre que votre fille l’avait emporté ?
Mme Tsukui hocha la tête.
— Je suis allée m’en assurer une fois que la police m’a appris qu’il s’agissait d’arsenic. Le sachet qui le contenait avait disparu. Et je me suis rendu compte, à ce moment-là, qu’elle était venue ici pour le prendre.
Kaoru était tellement étonnée qu’elle en avait oublié de prendre des notes. Elle s’en aperçut et commença à écrire à toute vitesse dans son carnet.
— Elle était rentrée pour me voir et je n’ai même pas compris qu’elle pensait au suicide. Je n’ai pas réussi à leur dire qu’elle avait trouvé le poison ici. Et je leur ai menti… Si mon mensonge vous a causé des problèmes, je ne sais comment vous demander de me le pardonner. Je suis prête à aller où vous me l’ordonnerez pour présenter mes excuses, continua-t-elle en s’inclinant plusieurs fois devant Kaoru.
— Pourriez-vous me montrer la remise ? demanda la jeune inspectrice.
— La remise ? Bien sûr.
— Je vous remercie, dit-elle en se levant.
La cabane se trouvait dans un coin du jardin. En métal, d’une surface d’environ quatre mètres carrés, elle était pleine de meubles et d’appareils ménagers au rebut, ainsi que de cartons. L’intérieur sentait la poussière.
— Où se trouvait l’arsenic ? demanda Kaoru.
— Ici, répondit la mère de Junko en lui montrant une boîte de conserve vide sur une étagère. En tout cas, je crois que le sac en plastique qui le contenait était posé là.
— Avez-vous une idée de la quantité qu’elle a emportée ?
— Elle a pris le plastique. Il devait y en avoir à peu près autant que ça, expliqua-t-elle en formant une coupe de ses deux mains jointes.
— Cela fait beaucoup, remarqua Kaoru.
— Oui, il devait y avoir de quoi remplir un bol.
— C’est-à-dire plus que ce dont elle avait besoin. Pour autant que je me souvienne, mes collègues n’en ont pas retrouvé autant chez elle.
Mme Tsukui pencha la tête sur le côté.
— Vous avez raison. J’y ai réfléchi… Junko s’en est peut-être débarrassée.
Kaoru se dit que c’était impossible. Quelqu’un qui se suicide ne pense pas à jeter le poison dont il n’a pas besoin.
— Vous venez souvent dans cette remise ?
— Non, je m’en sers très peu. Cela faisait longtemps que je n’en avais pas ouvert la porte.
— Vous pouvez la fermer à clé ?
— À clé ? Oui, c’est possible.
— Dans ce cas, je voudrais que vous le fassiez à partir d’aujourd’hui. Il est possible que nous revenions faire des recherches ici.
Mme Tsukui écarquilla les yeux.
— Dans la remise ?
— Nous ne le ferons que si c’est absolument nécessaire. Je vous remercie de votre collaboration.
Kaoru avait parlé d’un ton mécanique mais elle se sentait presque fébrile. L’origine du poison utilisé pour tuer Yoshitaka Mashiba n’avait pas été établie. S’il était identique à celui que Junko avait trouvé chez sa mère, cela aurait un grand impact sur l’enquête.
Pour l’instant, néanmoins, elle ne pouvait qu’espérer qu’il en restait des traces sur l’étagère de la remise. Elle en parlerait à Mamiya dès son retour à Tokyo.
— Vous avez reçu un message posthume de votre fille, n’est-ce pas ? Elle vous avait envoyé une lettre.
— Euh… c’est exact.
— Pourrais-je la lire ?
Mme Tsukui parut songeuse, puis elle hocha une fois la tête.
— Si vous le souhaitez.
Elles retournèrent dans la maison. Son hôtesse l’emmena dans la chambre de sa fille, une pièce à l’occidentale, meublée d’un lit et d’un bureau.
— Je conserve tout ce qui était à elle ici. Tôt ou tard, il va falloir que j’y mette de l’ordre, expliqua-t-elle en ouvrant le tiroir du bureau, où elle prit une enveloppe.
— Voici.
Kaoru l’accepta en la remerciant.
Le contenu de la lettre correspondait à ce que lui en avait dit Kusanagi. Elle ne fournissait aucune information concrète sur le motif de son suicide, mais faisait comprendre que son auteur était lasse de la vie.
— Je ne peux pas m’empêcher de penser que j’aurais pu faire quelque chose. Si j’avais été plus attentive, je me serais rendu compte qu’elle souffrait, déclara la mère d’une voix tremblante.
Incapable de trouver les mots nécessaires, Kaoru voulut remettre la lettre dans le tiroir. Elle vit qu’il y en avait d’autres.
— Et celles-ci, ce sont… ?
— Les lettres qu’elle m’envoyait. Je ne me sers pas du courrier électronique et elle m’écrivait de temps à autre.
— Vous permettez que je les lise ?
— Je vous en prie. Je vais vous apporter du thé, ajouta-t-elle en quittant la pièce.
Kaoru s’assit sur la chaise en face du bureau et commença à lire. Dans ses missives, Junko parlait à sa mère des albums qu’elle écrivait et des projets qu’elle avait, sans presque jamais aborder le sujet des personnes qu’elle fréquentait.
Au moment où la jeune femme allait abandonner en pensant qu’elle perdait son temps, son regard fut attiré par une carte postale qui montrait un autobus rouge à impériale. Elle retint son souffle en lisant le texte au revers : « Je t’écris cette carte de Londres où je me suis fait une amie japonaise. Elle est originaire de Hokkaido et elle étudie ici. Demain, elle va me montrer la ville. »
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