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Il esquissa un sourire et but son café.

— Dans ces conditions, je ne vais pas pouvoir vous expliquer le trucage.

— Pourquoi pas ?

— Vous ne percevez pas la vraie nature de ce crime et vous expliquer l’astuce serait extrêmement dangereux.

— Vous voulez dire que vous l’avez comprise ?

— Plus que vous.

Au moment où elle lui lançait un regard mauvais, on frappa à la porte.

— Il arrive au bon moment ! Peut-être a-t-il compris, lui, fit Yukawa en se levant pour aller lui ouvrir.

28

Sitôt que Kusanagi entra, il lui demanda ce que son entretien avec Ikai lui avait appris. Bien qu’embarrassé, l’inspecteur s’exécuta.

— C’est Yoshitaka Mashiba qui l’a abordée. L’hypothèse selon laquelle elle aurait fait le premier pas s’est effondrée, expliqua-t-il en regardant sa collègue du coin de l’œil.

— Il ne s’agissait pas d’une hypothèse. Je le croyais possible, c’est tout.

— Ah bon ! En tout cas, les choses ne se sont pas passées comme ça. Que comptes-tu faire à présent ? demanda-t-il en regardant Kaoru Utsumi.

Yukawa remplit la troisième tasse de café et la lui tendit. Kusanagi le remercia.

— Comment vois-tu les choses ? demanda le physicien. Si tu crois ce qu’a raconté l’avocat, les Mashiba ont fait connaissance pendant cette réception. Donc le fait que l’ex-amie de M. Mashiba ait été une amie de Mme Mashiba n’est qu’une coïncidence. Cela te convient ?

Kusanagi but du café avant de répondre. Il mettait de l’ordre dans ses idées.

Yukawa sourit.

— J’ai l’impression que, toi, tu ne crois pas ce que l’avocat t’a dit.

— Je ne pense pas qu’il mente, répondit Kusanagi. Mais je n’ai pas non plus de preuves qu’il ait dit la vérité.

— Que veux-tu dire ?

Kusanagi inspira avant de continuer.

— Ils auraient pu jouer la comédie.

— Jouer la comédie ?

— Prétendre qu’ils se rencontraient pour la première fois. Ils se connaissaient déjà, mais comme ils ne voulaient pas que cela se sache, ils ont prétendu faire connaissance pendant cette réception. Ikai était là parce qu’ils avaient besoin d’un témoin de leur rencontre. Cela fait sens. Imaginer qu’il ait décidé de lui adresser la parole à propos de son étui de portable me semble trop parfait.

— Splendide ! s’exclama Yukawa, les yeux brillants. Je suis d’accord. Demandons son avis à la seule femme présente, ajouta-t-il en se tournant vers Kaoru.

Elle fit oui de la tête.

— Cela ne me paraît pas impossible. Mais pourquoi auraient-ils fait cela ?

— C’est le plus important. Pourquoi avaient-ils besoin de monter cette comédie ? demanda Yukawa en regardant son ami. Tu as une idée à ce sujet ?

— C’est facile à deviner. Ils ne pouvaient pas dire la vérité.

— La vérité ?

— La vérité sur la manière dont ils avaient vraiment fait connaissance, probablement par le biais de Junko Tsukui. Ils craignaient que cela ne soit découvert. C’était quand même l’ancienne amie de Yoshitaka Mashiba. Ils voulaient créer un autre cadre pour leur rencontre. Et ils se sont servis de cette réception.

Yukawa fit claquer ses doigts.

— Cela me semble juste. Je n’ai aucun argument à t’opposer. Mais à quel moment auraient-ils véritablement fait connaissance ? Ou plutôt, depuis quand avaient-ils une relation amoureuse ? Avant ou après le suicide de Junko Tsukui ?

Kaoru Utsumi inspira profondément. Elle se redressa et fixa Yukawa des yeux.

— Vous voulez dire que Junko Tsukui s’est suicidée parce que M. Mashiba sortait avec son amie ?

— Cela me paraît vraisemblable. Elle aurait été trahie par son petit ami et son amie. Il est facile d’imaginer le choc qu’elle a ressenti.

L’humeur de Kusanagi s’assombrit. L’hypothèse de son ami ne lui paraissait pas tirée par les cheveux. La même idée lui était venue à l’esprit depuis qu’il avait parlé à l’avocat.

— Dans ce cas, la signification de la réception est évidente, remarqua sa collègue. Même si quelqu’un venait à découvrir que les deux femmes étaient amies, le témoignage de M. Ikai établirait qu’il ne s’agissait que d’un hasard et que le suicide de Mlle Tsukui n’avait rien à voir avec leur histoire.

— Excellent. Le niveau de vos spéculations est de plus en plus élevé, commenta Yukawa en hochant la tête.

— Tu pourrais le vérifier auprès de Mme Mashiba, suggéra Kaoru à son collègue.

— Comment faire ?

— Il suffirait de lui montrer cet album que tu as trouvé. À la page où figure la tapisserie dont il n’existe qu’un exemplaire au monde. Elle ne pourrait y être si les deux femmes ne se connaissaient pas.

Kusanagi fit non de la tête.

— Elle n’aurait qu’à me répondre qu’elle l’ignorait et qu’elle ne voit pas du tout de qui il s’agit.

— Mais…

— Elle l’a caché jusqu’à présent, tout comme le fait que cette femme était non seulement l’ancienne amie de son mari, mais son amie à elle. Je ne crois pas une seconde qu’elle changerait d’attitude si je la confrontais au livre. Cela ne servirait qu’à lui faire voir notre jeu.

— Je suis d’accord avec Kusanagi, déclara le physicien en se rapprochant de l’échiquier pour prendre une pièce noire. Vous n’aurez droit qu’à un seul coup pour la faire tomber. Si vous le ratez, je crains qu’elle ne gagne définitivement la partie.

Kusanagi regarda son ami.

— Tu penses que c’est elle qui a commis le crime ?

Sans rien répondre, Yukawa se leva en évitant son regard.

— Il est trop tôt pour en parler. Quel est le lien entre le passé et le crime ? Ou encore : en existe-t-il un, hormis le fait qu’il s’agit du même poison ?

— À mon avis, elle a dû trouver absolument impardonnable la trahison de son mari, qu’elle avait épousé en sachant que son amie s’était suicidée à cause de lui, fit Kaoru Utsumi, le visage songeur.

— Je vois. Votre supposition me paraît tenir debout, fit Yukawa.

— Moi, je ne crois pas qu’elle raisonnerait de cette manière, déclara Kusanagi. Elle avait trahi son amie en lui volant son petit ami. Donc elle pouvait comprendre que son assistante la trahisse en lui volant son mari.

— Tu veux dire qu’elle aurait compris qu’elle n’avait que ce qu’elle méritait et ne pouvait pas le haïr ?

— Non, pas tout à fait…

— Une question m’est venue à l’esprit en vous écoutant, dit Yukawa qui, debout devant le tableau noir, les regarda l’un après l’autre. À votre avis, pourquoi Yoshitaka Mashiba a-t-il abandonné Junko Tsukui au profit d’Ayané ?

— Parce qu’il s’était lassé d’elle… commença Kaoru Utsumi qui s’interrompit et porta sa main à la bouche. Non, je me trompe.

— Oui, tu te trompes, fit Kusanagi. Probablement parce qu’elle ne tombait pas enceinte. Yoshitaka Mashiba était prêt à se marier avec elle si cela lui arrivait. Mais cela ne s’est pas produit et il a décidé d’essayer quelqu’un d’autre. Cela ne fait aucun doute pour moi.

— Oui, tout ce que vous m’avez raconté fait que je suis d’accord avec toi. Mais Ayané Mashiba en était-elle consciente à l’époque ? Savait-elle qu’il l’avait choisie uniquement parce qu’il espérait qu’elle lui donnerait un enfant ?

— Euh… hésita Kusanagi.

— Je ne crois pas, répondit Kaoru Utsumi d’un ton sans réplique. Aucune femme ne se réjouirait d’être choisie pour cette raison. Elle a dû l’apprendre juste avant le mariage, au moment où ils ont échangé cette fameuse promesse par laquelle elle acceptait que leur union prenne fin si elle n’était pas enceinte au bout d’un an.