Выбрать главу

— C’est aussi ainsi que je vois les choses. Réfléchissons à présent à son mobile. Kaoru, vous avez dit tout à l’heure que c’était la trahison de son mari, mais l’a-t-il vraiment trahie ? Sa femme n’étant pas enceinte au bout d’un an de mariage, il a voulu se lier à une autre. Après tout, il n’a fait que mettre à exécution la promesse qu’ils avaient échangée avant leur mariage, non ?

— Certes, mais psychologiquement, elle ne pouvait pas l’accepter.

Yukawa sourit presque en l’entendant.

— Formulons cela autrement. Si Ayané Mashiba est coupable, son mobile est qu’elle ne voulait pas tenir la promesse faite à son mari. C’est ce que vous voulez dire ?

— Oui.

— Tu n’as rien à dire là-dessus ? demanda Yukawa en se tournant vers son ami, avant de reprendre : Considérons à présent ce qu’elle ressentait avant son mariage. Quel était son état d’esprit quand elle a fait cette promesse ? Était-elle optimiste sur sa capacité à tomber enceinte ? Ou bien s’est-elle engagée en pensant que son mari ne lui reparlerait pas de ce contrat même si elle n’était pas enceinte ?

— Les deux, je pense, répondit Kaoru Utsumi.

— Intéressant. Dans ce cas, laissez-moi vous demander ceci : si elle n’a même pas été consulter un médecin, est-ce parce qu’elle prenait ce contrat à la légère et pensait rester mariée même si elle n’était pas enceinte ?

— Consulter un médecin ? demanda la jeune femme en fronçant les sourcils.

— D’après ce que vous m’avez dit tous les deux, Mme Mashiba ne s’est pas lancée pendant l’année écoulée dans un quelconque traitement contre la stérilité. Il aurait été logique qu’elle le fasse après quelques mois de mariage, non ?

— D’après ce qu’elle a confié à son assistante, elle ne l’avait jamais envisagé, car ces traitements prennent beaucoup de temps.

— Vous vous trompez, c’est une confidence de M. Mashiba à Hiromi Wakayama. Selon lui, plutôt que faire quelque chose d’aussi fastidieux, mieux valait changer de femme tout de suite. Mais quel pouvait être son point de vue à elle ? Elle aurait dû avoir envie d’essayer de sauver son mariage par tous les moyens, non ?

— Tu as raison, murmura Kusanagi.

— Pourquoi, dans ce cas, n’a-t-elle même pas consulté ? C’est là que se trouve la clé de cette énigme, fit Yukawa en remontant ses lunettes sur son nez du bout des doigts. Réfléchissez ! Quelle pouvait être la raison qui a poussé cette femme qui avait le temps et l’argent pour voir des spécialistes de l’infertilité à ne pas le faire ?

Kusanagi obéit à l’ordre de son ami. Il essaya de se mettre dans la peau d’Ayané. En vain. Il ne trouvait pas de réponse à la question que le physicien venait de poser.

Kaoru Utsumi se leva soudain de son siège.

— Ne serait-ce pas qu’elle savait que… cela ne servirait à rien ?

— À rien ? Comment ça ? demanda son collègue.

— Elle savait qu’aucun traitement ne pourrait l’aider. Quelqu’un qui est dans cette situation ne va pas voir un médecin.

— Tout juste, fit le physicien. Elle le savait. Donc, elle n’y est pas allée. C’est la réponse la plus rationnelle.

— Vous voulez dire que… Elle serait stérile ? demanda Kaoru Utsumi.

— Elle a plus de trente ans. Elle a nécessairement déjà consulté un gynécologue. Il a dû lui apprendre qu’elle ne pourrait jamais concevoir. Dans ce cas, aller voir un médecin ne pouvait servir à rien. Sinon à prendre le risque que son mari le découvre.

— Stop ! Elle aurait fait cette promesse en le sachant ? demanda Kusanagi.

— Exactement. Son seul espoir était que son mari la libère de cette promesse. Mais au lieu de le faire, il a voulu la mettre en œuvre. Et elle a décidé de le tuer. Maintenant, voici la question que j’ai pour vous deux : à quel moment a-t-elle envisagé de tuer son mari ?

— Eh bien… quand elle a découvert la liaison entre Yoshitaka Mashiba… commença Kusanagi.

— Non, l’interrompit Kaoru Utsumi. Si elle avait songé à le tuer dans le cas où il lui demanderait de tenir sa promesse, elle l’a nécessairement fait au moment où elle l’a acceptée.

— C’est la réponse que j’attendais, annonça Yukawa, le visage grave. Mme Mashiba avait prévu depuis plus d’un an qu’elle pourrait avoir une raison de se débarrasser de son mari. Il est par conséquent possible qu’elle ait fait à ce moment-là les préparatifs pour cela.

— Les préparatifs pour cela ? lui demanda Kusanagi en le dévisageant.

Yukawa tourna les yeux vers sa collègue.

— Tout à l’heure, vous m’avez présenté la vision de vos techniciens. Il n’y avait qu’une seule méthode pour introduire le poison dans l’appareil de filtration, à savoir détacher le tuyau, mettre le poison à l’intérieur et le remettre. C’est bien ça ? Vos techniciens ne se trompent pas. L’auteur du crime a agi de cette manière, il y a un an.

— C’est impossible… s’écria Kusanagi qui s’arrêta, interloqué.

— Ce qui veut dire que personne ne devait se servir du robinet d’eau filtrée, remarqua Kaoru Utsumi.

— Exactement. Mme Mashiba ne l’a pas utilisé une seule fois pendant toute cette année.

— Comment est-ce possible ? Les traces sur le filtre du dispositif montrent qu’il a servi.

— Les impuretés qui y ont été trouvées ne datent pas de l’année passée, mais de l’année précédente, déclara Yukawa en ouvrant le tiroir de son bureau, dont il sortit un document d’une page. Je vous avais demandé de me donner le numéro du filtre, n’est-ce pas ? J’ai contacté le fabricant pour lui demander à quelle époque cette série avait été mise en circulation. C’était il y a deux ans. Et le fabricant a précisé qu’il était exclu qu’un filtre de cette série ait été mis en place il y a un an. L’auteur du crime a probablement remis en place le vieux filtre après son remplacement par un ouvrier. Si le filtre avait été neuf après le crime, cela aurait éveillé la suspicion. Et l’arsenic a été mis en place à cette occasion.

— Mais c’est impossible, lâcha Kusanagi d’une voix rauque. Totalement impossible. Comment imaginer que le poison ait été en place depuis un an déjà et que personne n’ait utilisé le robinet d’eau filtrée ! Même si elle ne s’en était pas servie, quelqu’un d’autre aurait pu l’ouvrir. Personne ne ferait une chose aussi dangereuse.

— La méthode est assurément dangereuse. Mais elle a fonctionné, reprit Yukawa, impassible. Pendant toute l’année passée, Mme Mashiba n’est jamais sortie de chez elle quand son mari était à la maison et elle a veillé à ce que personne ne s’approche de ce robinet. Elle cuisinait seule, même lorsqu’ils recevaient, et s’assurait qu’il y ait toujours des bouteilles d’eau dans le frigo. Elle a agi ainsi pour pouvoir protéger le trucage.

Kusanagi fit non de la tête. Plusieurs fois.

— Tu délires ! C’est impossible. Personne n’est capable de faire une chose pareille.

— Non, c’est possible, dit Kaoru Utsumi. À la demande de M. Yukawa, j’ai enquêté sur les détails de leur quotidien depuis leur mariage. J’ai aussi interrogé Hiromi Wakayama à ce sujet. Je ne comprenais pas le sens des questions que je devais lui poser, mais à présent tout est clair pour moi. Vous vouliez vérifier si quelqu’un d’autre que Mme Mashiba avait eu l’opportunité de s’approcher du dispositif de filtration, n’est-ce pas ?

— Exactement. Je n’ai plus eu de doutes quand j’ai appris comment M. Mashiba passait ses jours de congé. Sa femme faisait du patchwork du matin au soir, assise sur le canapé du salon, c’est bien cela ? Tout est devenu encore plus clair quand je suis allé chez eux. De l’endroit où elle travaillait à son ouvrage, elle pouvait être sûre qu’il n’entre pas dans la cuisine.