— Oui, je l’ai appris hier soir.
— Vous rendez souvent visite à vos parents à Sapporo ?
Elle fit non de la tête.
— C’était la première fois depuis mon mariage.
— Il leur était arrivé quelque chose ?
— Mon père est en mauvaise santé, et je ne l’avais pas vu depuis longtemps. Mais il se portait beaucoup mieux que je ne le pensais, et j’ai décidé de faire ce petit voyage avec une amie…
— Je vois. Pourquoi avez-vous confié une clé à Mlle Wakayama ?
— Au cas où elle en aurait besoin. Elle m’assiste dans mon travail, et elle aurait pu vouloir utiliser de la documentation ou un patchwork que je garde à la maison.
— Elle nous a dit qu’elle avait appelé votre mari pour s’assurer que tout allait bien, et qu’elle avait décidé de passer chez vous parce qu’elle s’inquiétait de ne pas arriver à le joindre. Vous lui aviez demandé de veiller sur lui ? demanda Kusanagi en pesant ses mots pour être sûr de parler de ce qui l’intéressait.
Ayané fronça les sourcils et secoua la tête.
— Je ne sais plus. Il se peut que je l’aie fait. Mais il n’est pas non plus impossible qu’elle en ait pris l’initiative, c’est quelqu’un d’attentionné… Cela vous paraît important ? À vos yeux, lui laisser la clé posait problème ?
— Non, pas du tout. Vous confirmez ce qu’elle nous a dit hier.
Ayané se couvrit le visage des deux mains.
— C’est tellement incroyable. Il était en pleine forme, vendredi soir, nous avions invité des amis à dîner, et il avait l’air si content… continua-t-elle d’une voix tremblante.
— Je comprends votre émotion. Et qui étaient ces amis que vous aviez invités vendredi ?
— Un ami de mon mari, avec qui il a fait ses études, et sa femme, répondit-elle en lui donnant leurs noms.
Elle détacha ses mains de son visage.
— Je voudrais vous demander quelque chose, fit-elle d’une voix oppressée.
— Quoi donc ?
— Nous devons aller au commissariat immédiatement ?
— Pourquoi ?
— J’aimerais passer à la maison avant. Je voudrais voir l’endroit où il est tombé… C’est possible ?
Kusanagi jeta à nouveau un coup d’œil vers sa collègue. Concentrée sur la conduite, elle regardait droit devant elle.
— Je vais demander à mon chef ce qu’il en pense, répondit-il en sortant son portable de sa poche.
Mamiya décrocha et il lui fit part de la demande d’Ayané. Son chef hésita une seconde puis donna son accord.
— La situation a légèrement évolué. C’est peut-être une bonne idée de l’interroger chez elle. Emmenez-la là-bas.
— De quoi s’agit-il ?
— Je t’en parlerai plus tard.
— Bien, dit-il avant de raccrocher. Nous allons chez vous, ajouta-t-il à l’intention d’Ayané.
— Tant mieux, murmura-t-elle.
Kusanagi se retourna et entendit la passagère composer un numéro sur son portable.
— Allô, Hiromi ? C’est moi, Ayané.
Kusanagi était pris au dépourvu. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle l’appelle. Mais il ne pouvait pas non plus lui ordonner de raccrocher.
— Oui, je sais. Je suis avec des policiers. Ils me raccompagnent à la maison. Ma pauvre Hiromi ! Cela a dû être terrible !
Kusanagi était embarrassé. Il n’arrivait pas à imaginer comment réagirait l’assistante d’Ayané. Emportée par son chagrin d’avoir perdu l’homme qu’elle aimait, ne risquait-elle pas de laisser échapper son secret ? Ayané ne pourrait rester indifférente.
— Oui, c’est ce que j’ai appris. Mais, toi, ça va ? Tu te sens bien, j’espère. Ah bon ? Je suis contente de te l’entendre dire. Dis, Hiromi, tu ne voudrais pas venir à la maison ? Je comprendrai si tu ne veux pas, mais j’aimerais que tu me racontes ce qui s’est passé.
Kusanagi en déduisit que l’assistante n’avait pas perdu le contrôle d’elle-même. Il ne s’attendait cependant pas à ce qu’Ayané lui demande de venir.
— Tu peux ? Alors à tout à l’heure. D’accord, et merci. Toi aussi, ménage-toi, conclut-elle avant de raccrocher.
Il l’entendit renifler.
— Mlle Wakayama va passer ? s’enquit-il.
— Oui. Oh ! Cela pose un problème ?
— Non, pas du tout. Comme c’est elle qui est arrivée sur les lieux la première, vous avez raison de vouloir tout apprendre de sa bouche, répondit-il en ressentant une certaine nervosité.
L’idée d’entendre la maîtresse de l’homme qui venait de mourir décrire à l’épouse comment les choses s’étaient passées lui paraissait fascinante. De plus, en l’observant attentivement pendant le récit de son assistante, il parviendrait certainement à établir si elle s’était rendu compte de cette liaison.
Le Pajero quitta l’autoroute urbaine et commença à se rapprocher de la demeure des Mashiba. Sans doute parce qu’Utsumi était venue sur les lieux en voiture la veille, elle connaissait la route à suivre.
Mamiya était arrivé quand ils descendirent de voiture. Kusanagi fit les présentations.
— Veuillez accepter mes condoléances, fit son chef qui s’inclina devant Ayané avant de se tourner vers son subordonné. Tu lui as expliqué comment les choses s’étaient passées ?
— Dans les grandes lignes, en tout cas.
Mamiya opina du chef et se tourna à nouveau vers la veuve.
— Nous aimerions vous poser quelques questions. Je suis désolé de ne pas vous laisser plus de temps.
— Cela ne me dérange pas.
— Eh bien, allons donc à l’intérieur. Kishitani, les clés !
Kishitani les sortit de sa poche et Ayané les accepta avec une expression hésitante.
Elle ouvrit la porte et le petit groupe la suivit dans la maison. Kusanagi fermait la marche, la valise d’Ayané à la main.
— Où était mon mari ? demanda-t-elle sitôt qu’elle fut entrée.
— Ici, répondit Mamiya en le lui montrant.
L’emplacement du cadavre était marqué par une bande de plastique. Ayané s’immobilisa en la voyant, une main sur la bouche.
— Mlle Wakayama nous a dit que c’est ici qu’elle l’avait trouvé, expliqua Mamiya.
La tristesse et l’émotion d’Ayané la firent frissonner de tout son corps. Elle s’agenouilla sur le plancher. Kusanagi remarqua que ses épaules tremblaient. Il entendait ses sanglots étouffés.
— C’est arrivé à quelle heure ? demanda-t-elle d’une voix sans force.
— Mlle Wakayama l’a découvert aux alentours de vingt heures.
— Vers vingt heures… Je me demande ce qu’il était en train de faire.
— Il venait apparemment de boire un café. Il n’en reste plus trace, mais il y avait une tasse de café renversée sur le sol.
— Du café… Il s’en serait fait lui-même ?
— Que voulez-vous dire ? demanda Kusanagi.
— Il ne faisait rien tout seul, vous savez ! Je ne l’ai jamais vu se préparer du café.
Kusanagi vit son patron froncer les sourcils.
— Il n’avait pas l’habitude de s’en faire ? insista Mamiya.
— Si, avant notre mariage. En se servant d’une cafetière électrique.
— Et vous n’en avez plus ?
— Non. Je m’en suis débarrassée car nous n’en avions plus besoin.
Mamiya la regarda avec une expression soupçonneuse.
— Tant que nous n’avons pas les résultats de l’autopsie, nous ne pouvons rien affirmer avec certitude, mais il semble que votre mari ait été empoisonné, expliqua-t-il.