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Et pourtant, cette main libérée m’est provisoirement inutile, car ce sont mes pieds qui entrent en action. Ça se fait tout seul. Un réflexe. Une flambée de rage. Ce type m’a pris pour une nave ! Il a voulu me faire accuser de meurtre, moi, l’intègre San-A ! Je sens que c’est lui, le cerveau de l’affaire. Je le devine à la consternation qui lui cerne les yeux. Alors mes pinceaux ont pris mes crosses. Ma colère m’est tombée dans les chaussettes. Je me mets à shooter dans le dargif du mec, dans ses chevilles, dans son bide.

V’lan ! Plaoff ! Zim ! Tchiaf !

On n’entend que le bruit des coups. Il ne dit rien. Il se retient, comme s’il craignait, par un mot inconsidéré, d’actionner la détente de mon feu.

Il recule seulement.

Oui mais voilà, la pièce ne mesure que trois mètres de long. Après il y a le mur de plâtre. Sur le mur un crucifix. Jésus qui en bave sur sa croix. Exsangue, amaigri, déçu, bourré du doute affreux à propos de son papa. Jésus cocufié par tout le monde, bien plus que son Saint-Joseph de tuteur (un mec dans le genre de Béru, le Joseph, selon moi. On lui a récompensé le cocufiage par la canonisation. Comme quoi le renoncement ça paie parfois).

Rot Harryclube a le dos au mur. Et San-A continue sa généreuse distribution de horions.

Pign, baouf !

Je finis par lui mettre un monumental coup de saton dans les pruneaux et il s’évanouit. Toujours sans un mot, en garçon discret.

Je place une chaise devant lui et m’assois à califourchon, les bras croisés sur le dossier, attendant qu’il se réveille en souillant sur la crosse du pistolet.

Il ne tarde pas à remettre ses feux de position.

— Excusez l’accueil, gentleman, murmuré-je, mais je suis sujet aux coups de sang, surtout lorsque je retrouve une ordure de votre espèce…

Un léger sourire traverse sa vitrine terreuse.

— Il s’agissait donc d’un guet-apens, fait Harryclube en massant sa couronne de joyaux (lesquels lui sont plus précieux que les joyaux de la Couronne).

— C’en est un, avoué-je. Et maintenant, mon cher jeune homme, vous allez éclairer ma lanterne si vous ne voulez pas que j’éteigne définitivement la vôtre !

Je ponctue d’un fascinant numéro de pistolet : main gauche, main droite et aller retour, extrêmement rapide. Puis tourbillon de l’arme à l’extrémité de l’index, et enfin braquage en avant.

— Très joli, approuve Rot ; vous avez travaillé dans un cirque ?

— En effet, je passais en vedette au Royco Circus quai des Orfèvres. Alors, vous êtes disposé à répondre ou bien je nous déguise moi en vengeur et vous en mort ?

— Il faut voir, répond calmement le journaliste.

— Voir quoi ?

— Ce que seront vos questions… Mais auparavant, j’aimerais respirer un peu car vous m’avez sérieusement malmené et je serais navré de devoir m’évanouir à nouveau.

— Facile !

Je vais à reculons jusqu’à la fenêtre que j’ouvre.

— Rien de plus vivifiant que la nuit d’été anglaise, n’est-ce pas ?

Il opine en respirant à pleins poumons. Il semble assez mal en point.

— Merci, sir. Vous êtes un frère pour moi, ironise-t-il.

Et alors il me place son coup de Jarnac. C’est à ce point fulgurant que je n’ai pas eu le temps d’intervenir.

M’étonnerait pas qu’il ait suivi des cours de guérilla par correspondance, ce ouistiti. Quelle cabriole, madoué ! C’est lui qui me parlait de cirque il y a un instant ? Il a dû servir de partenaire aux Cléran’s, Harryclube !

En un éclair, il m’a virgulé ma chaise dans la frite et s’est précipité sur la window. Il en était pourtant éloigné de deux bons mètres, de cette fenêtre ; pourtant un seul bond lui a permis de l’atteindre. Le voici qui l’enjambe aussi sec. Je pense que la maison est basse et que ce saut depuis le premier étage ne représente pas une grande performance pour un gars jouissant de ses qualités athlétiques. Je devrais tirer. Je m’en abstiens. Toujours ces scrupules insensés ! Et puis, en véritable esthète de l’art, j’ai été pratiquement paralysé par la beauté de l’exploit.

Donc, Rot Harryclube a franchi la fenêtre. Las, il s’agit d’une fenêtre à guillotine. En prenant appui pour sauter, il a malencontreusement déclenché le système de fermeture, tant et si bien que le cadre vitré lui retombe sur le jarret. Ce choc le déséquilibre. Je l’entends qui pousse un cri. Et puis je perçois un floc sourd. Mon petit doigt me chuchote que, s’il s’est bien expédié, il s’est mal reçu, l’ami Rot.

Je relève la fenêtre et, fectivement, je vois le gus étalé en croix, face à la terre nourricière.

Quatre à quatre je redégringole l’escadrin.

Marie-Marie et la grosse vachasse sont déjà sur le seuil.

— On a entendu comme un tremb’ment d’terre, me dit la gamine.

Stupeur ! Les phares de l’automobile de Rot Harryclube stoppée face à la maison s’éclairent en grand, nous inondant d’une lumière blanche, aveuglante. Un piège ! Ce salaud de journaleux n’est pas venu seul, il a amené des renforts. Je fonce hors de la zone illuminée et, ne me retourne que parvenu dans l’ombre du hangar.

À ma grande surprise, non : à mon vif étonnement, je ne voix sortir de la chignole qu’une ravissante jeune fille blonde. Elle court à la forme inanimée en appelant d’une voix angoissée :

— Rot ! Rot !

Du coup je rengaine mon feu et m’avance vers le groupe.

La fille blonde est jeune, une dix-neuvaine d’années environ, plutôt petite, coulée au moule, comme on dit dans les livres plus littéraires que les miens. Elle porte un chemisier vert et un pantalon de toile noire.

— Mon Dieu, Rot, Rot ! répondez-moi ! implore-t-elle.

Seulement on a beau lui parler gentiment, vous savez, mes amis, qu’un mort ne répond jamais. Or, mort, il l’est à vous dégoûter de la vie, le cascadeur d’élite.

Il s’est péter la tronche contre la bordure du seuil et sa cervelle lui dégouline par les oreilles.

— Laissez, miss, dis-je, je crains que nous ne puissions plus faire grand-chose pour lui.

Elle lève sur moi un regard égaré.

— Voulez-vous dire que… qu’il…

— Hélas, tout est fini.

Le regard de Harryclube est grand ouvert sur des visions supraterrestres. Sa fixité incommode.

— Qui êtes-vous ? demandé-je à la jeune fille en la forçant de se relever.

— Molly Rex, bredouille-t-elle sans quitter le cadavre des yeux.

— Sa fiancée ? demandé-je doucement.

— Non : sa secrétaire. Je… je travaille avec lui à l’« Happy birthday to you ».

Voilà qui me rassérène quelque peu.

— Que s’est-il passé ? demande la petite Molly, je somnolais dans l’auto en attendant Rot, et puis il y a eu ce bruit affreux…

— C’est lui qui vous a demandé de l’accompagner ?

— Nous partions pour Londres lorsqu’il a reçu un coup de téléphone d’Honnissoy lui demandant de passer chez elle… Que lui vouliez-vous ? demande-t-elle à la conquête du Gros.

— Beuh, eh bien, c’est-à-dire, vachise la baleine…

J’interviens.

— Miss Rex, il faut que nous ayons une petite conversation d’ordre privé, vous et moi.

À ce moment seulement, elle semble réellement prendre conscience de ma personne. La voilà qui me mate fixement. Ses lèvres se mettent à frémir, elle esquisse un pas de recul.

— Seigneur, vous êtes…

— Yes, miss, je suis.

— L’assassin du lord-maire ?

— Je n’ai pas tué votre foutu maire, et je me suis évadé de prison uniquement pour en faire la preuve.