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Pourquoi aurait-il menti ? Je deviens trop soupçonneux… Non, il faut que je le sois ! Aussi méfiant qu’une vipère et plus froid encore.

Cela dit, il n’était pas obligé d’aimer ça.

Au nord, Rand distinguait seulement des collines tout à fait chauves sur lesquelles se déplaçaient des silhouettes qui devaient être des chevaux. Les équidés sauvages des Hauts Seigneurs en pâturage sur le site de l’ancien bosquet ogier.

Par association d’idées, Rand pensa à Loial (et donc à Perrin), et espéra que tout allait bien pour eux.

Aide les nôtres, Perrin ! Occupe-toi d’eux, puisque je ne peux pas le faire !

Le bosquet ogier signifiait que les crêtes ne devaient plus être très loin. Bientôt, Rand les repéra. On eût vraiment dit deux flèches placées l’une derrière l’autre, quelques arbres, sur l’arête, composant une fine ligne sur le fond bleu du ciel. Au-delà, des collines basses moutonnaient à perte de vue, telles des bulles végétales qui auraient pétillé dans une coupe géante. Trop de bulles, à vrai dire. En tout cas, bien plus que sur la carte pour une zone qui devait s’étendre environ sur une lieue carrée. Si la réalité ne correspondait pas à sa représentation, sur quelle colline se dressait donc la Pierre-Portail ?

— Les Aiels ont des yeux perçants, souffla Lan. Et ils sont très nombreux.

Après avoir remercié le Champion d’un signe de tête, Rand revint sur ses pas pour aller exposer le problème à Rhuarc. Il décrivit la Pierre-Portail sans préciser de quoi il s’agissait. Les explications viendraient plus tard, une fois l’artefact découvert. En mûrissant, Rand était devenu un expert en matière de dissimulation. De toute façon, Rhuarc ignorait probablement ce qu’était une Pierre-Portail. À part les Aes Sedai, presque personne ne le savait. Rand lui-même avait dû attendre que quelqu’un lui en parle.

Marchant à côté de l’étalon tacheté, Rhuarc fronça les sourcils – l’équivalent d’une grimace inquiète chez quelqu’un d’autre – puis il hocha la tête.

— Nous trouverons cette pierre ! (Il haussa le ton.) Aethan Dor ! Far Aldazar Din ! Duadhe Mahdi’in ! Far Dareis Mai ! Seia Doon ! Sha’mad Conde !

Répondant au nom de leur ordre guerrier, des Aiels sortirent des rangs jusqu’à ce qu’un bon quart du contingent entoure Rand et Rhuarc.

Des Boucliers Rouges… Des Frères de l’Aigle. Des Chercheurs d’Eau. Des Promises de la Lance. Des Yeux Noirs. Des Marche-Tonnerre…

Rand identifia dans le lot Aviendha, l’amie d’Egwene. Une grande et jolie femme au regard grave. Des Promises de la Lance avaient gardé sa porte, mais il ne pensait pas avoir vu la jeune femme avant que les Aiels se soient rassemblés pour quitter la Pierre. Fière comme un faucon aux yeux verts, elle soutint le regard du jeune homme, puis détourna la tête et se concentra sur le chef des Taardad.

Eh bien, je voulais qu’on me traite de nouveau comme un type ordinaire, non ?

Avec les Aiels, il était comblé. Même face à un chef de tribu, ils affichaient un respect de bon aloi, mais sans les manifestations appuyées de référence qu’un seigneur aurait exigées. Quant à l’obéissance, elle semblait une marque d’estime consentie entre égaux. Exactement ce qu’il aurait aimé pour lui-même.

Rhuarc donna ses ordres avec sa concision coutumière, et les Aiels se déployèrent dans les collines, certains se voilant à tout hasard. Les autres attendirent près des mules, certains s’accroupissant pour se détendre un peu.

Ces Aiels représentaient à peu près toutes les tribus – à l’exception des Jenn, bien entendu, qui n’existaient peut-être pas (ou plus ?) – y compris des groupes qui avaient une querelle de sang ou qui passaient une bonne partie de leur temps à se faire la guerre. Depuis qu’il connaissait plus de détails sur les guerriers du désert, Rand se demandait souvent pourquoi ils avaient jeté aux orties leurs anciennes inimitiés. Était-ce simplement à cause des prophéties qui avaient annoncé la chute de la Pierre et l’avènement de Celui qui Vient avec l’Aube ?

— Il y a plus que cela, dit Rhuarc.

Confus, Rand s’avisa qu’il avait pensé tout haut.

— Les prophéties nous ont poussés à traverser le Mur du Dragon, continua l’Aiel, et le nom qui n’est pas dit nous a attirés vers la Pierre de Tear.

Le nom en question était « Peuple du Dragon », une manière secrète d’appeler les Aiels. Seuls les chefs de tribu et les Matriarches le connaissaient et l’utilisaient – rarement, et exclusivement entre eux.

— Pour le reste, tu veux savoir ? Nul ne peut verser le sang d’un membre d’un même ordre guerrier, bien sûr, mais mélanger des Shaarad, des Goshien, des Taardad, des Nakai et des Shaido… Moi-même, j’aurais dansé avec les lances contre les Shaido si les Matriarches ne nous avaient pas fait jurer de traiter tous les Aiels comme s’ils appartenaient au même ordre guerrier, une fois que nous serions de ce côté des montagnes. Même ces fourbes de Shaido. Tu vois, ça n’a rien de facile, y compris pour moi.

— Les Shaido sont tes ennemis ?

Rand s’emmêlaient un peu avec les noms. Dans la Pierre, les Aiels s’étaient regroupés par ordre guerrier et non par clan ou tribu.

— Nous n’avons pas de querelle de sang, répondit Rhuarc, mais les Taardad et les Shaido n’ont jamais été amis. Les Aiels s’affrontent assez souvent, se volant des troupeaux les uns aux autres. Mais le serment que nous ont fait prêter les Matriarches a tenu malgré les trois querelles de sang et la bonne dizaine d’anciennes détestations qui opposent les tribus et les clans réunis ici. Voyager en direction de Rhuidean nous facilitera encore les choses, même si certains de nos compagnons nous quitteront avant d’y arriver. Car nul ne doit verser le sang de quelqu’un qui se dirige vers Rhuidean.

Parfaitement impassible, l’Aiel dévisagea Rand.

— Bientôt, qui sait ? aucun d’entre nous ne versera plus le sang d’un autre.

Une perspective que Rhuarc trouvait plaisante ? Bien malin qui aurait pu le dire…

Un cri perçant attira l’attention de Rand. Perchée au sommet d’une colline, une des Promises agitait les bras pour signaler qu’elle avait trouvé quelque chose.

— On dirait qu’on a trouvé ta colonne de pierre, constata Rhuarc.

Alors qu’elle tirait sur ses rênes, Moiraine jeta un regard glacial à Rand, qui passa en trombe devant elle, Jeade’en lancé au galop.

Egwene vint placer sa monture à côté de celle de Mat. Se penchant sur sa selle, une main accrochée au pommeau, elle engagea une sorte de messe basse avec le jeune homme. Elle semblait vouloir le convaincre de lui confier ou de lui avouer quelque chose. À voir la véhémence de sa réaction – de grands gestes qui brassaient l’air – le jeune homme devait être innocent comme un agneau – à moins qu’il mente comme un arracheur de dents.

Sautant à terre au pied de la colline, Rand gravit au pas de course la pente pas trop raide afin d’examiner ce que la Promise – Aviendha, constata-t-il – venait de découvrir à demi enfoui sous la terre et caché derrière un rideau de hautes herbes.

Une antique colonne de pierre de neuf bons pieds de haut et de trois pieds de diamètre. Chaque pouce carré de pierre visible était couvert d’étranges symboles entourés individuellement de ce qui semblait être une inscription. Même si Rand avait su déchiffrer ce langage – en supposant que c’en soit un – les caractères avaient trop souffert du passage du temps et des intempéries pour être encore identifiables. En revanche, les symboles avaient mieux résisté. Certains d’entre eux, du moins, car beaucoup auraient pu tout aussi bien être des stigmates de la pluie et du vent.

Arrachant des touffes d’herbe afin de mieux voir, Rand jeta un coup d’œil en coin à Aviendha. Son shoufa reposant sur ses épaules, ses courts cheveux roux frémissant sous la caresse de la brise, elle braqua sur le jeune homme un regard dur comme l’acier.