Выбрать главу

— Faile, quelque chose te perturbe, et ce n’est pas ma barbe…

Soudain sur ses gardes, la jeune femme évita soigneusement de regarder Perrin et fit mine de se livrer à un examen critique de la chambre.

Le décor animalier avait en effet de quoi surprendre. De la grande armoire aux montants du lit, épais comme une jambe de Perrin, tout était orné de sculptures de lions, de léopards et de faucons. Des scènes de chasse, bien entendu, certains des prédateurs ayant des yeux en grenat.

Perrin avait tenté de convaincre la majhere qu’une chambre très simple lui suffirait, mais elle n’avait pas semblé comprendre. Sûrement pas parce qu’elle était stupide. Cette femme commandait une armée de domestiques qui dépassaient en nombre les Défenseurs de la Pierre. Quel que fût le maître de la forteresse, elle assurait le fonctionnement au quotidien d’un gigantesque complexe. Mais elle regardait le monde avec les yeux d’une native de Tear. Pour elle, malgré ses frusques miteuses, Perrin était nécessairement plus qu’un jeune paysan. Pourquoi ? Parce que aucun paysan n’avait jamais été accueilli dans la forteresse, tout simplement. De plus, il appartenait aux familiers de Rand. C’était donc un ami, un fidèle ou en tout cas un proche du Dragon Réincarné. Pour la majhere, ça le mettait au minimum au niveau d’un seigneur du royaume, sinon d’un Haut Seigneur. En conséquence, la brave femme s’était déjà montrée désolée de lui allouer une chambre et non une suite. S’il avait insisté pour être logé plus modestement encore, elle aurait sans nul doute fait une syncope. De toute façon, dans l’aile des invités, il n’existait sûrement pas de chambre ordinaire. Au moins, dans celle-là, rien n’était doré à l’or fin, à part les chandeliers.

À l’évidence, Faile ne partageait pas les goûts du jeune homme.

— Tu mérites dix fois mieux que ça, permets-moi de te le dire. Et tu pourrais parier ton dernier sou que Mat est bien mieux loti.

— Il adore tout ce qui est clinquant…

— Et toi, tu te dévalorises…

Perrin ne répondit pas. La chambre, pas plus que sa barbe, n’était la source du malaise de son amie.

— Le seigneur Dragon semble avoir perdu tout intérêt pour toi, lâcha Faile après un assez long silence. Il passe tout son temps avec les Hauts Seigneurs, désormais.

Entre les omoplates de Perrin, la démangeaison devint plus désagréable. Voilà, on y était ! Pour dissimuler sa gêne, il tenta de plaisanter :

— Le seigneur Dragon ? On croirait entendre un habitant de Tear. Il s’appelle Rand.

— C’est ton ami, Perrin Aybara, pas le mien. Si un homme tel que lui a des amis… (Inspirant à fond, Faile adopta un ton plus modéré.) J’ai envisagé de quitter la forteresse puis de partir de Tear. Moiraine ne m’en empêcherait pas, je crois. Les nouvelles au sujet de… Rand… se répandent hors de la ville à toute vitesse. Elle ne peut plus espérer garder son existence secrète.

Perrin étouffa de justesse un nouveau soupir.

— Non, elle ne te retiendrait pas… Pour elle, tu es un problème de plus. Elle te donnerait sûrement de l’argent pour ton voyage.

— C’est tout ce que ça t’inspire ? demanda Faile, les poings plaqués sur les hanches.

— Que veux-tu entendre ? lança Perrin, surpris par la colère qui faisait trembler sa voix. Que j’aimerais que tu restes ?

Il était furieux contre lui-même, pas contre la jeune femme. Fou de rage de n’avoir rien vu venir et d’ignorer comment réagir. Depuis toujours, il préférait prendre le temps de réfléchir avant de parler. Quand on se précipitait, il était facile de blesser les gens. Exactement comme il venait de le faire. Faile en avait les yeux écarquillés de surprise, tant elle s’y attendait peu.

Perrin tenta de réparer les dégâts :

— Je veux que tu restes, mais il vaut peut-être mieux que tu partes. Je sais que tu n’es pas lâche, mais le Dragon Réincarné, les Rejetés…

Non qu’il existât encore un endroit vraiment sûr. Mais tous n’étaient pas aussi dangereux que la Pierre de Tear. Enfin, dans l’immédiat… Cela dit, il n’était quand même pas assez idiot pour présenter les choses comme ça.

Pourtant, Faile semblait se moquer qu’il y mette ou non les formes.

— Rester ? Que la Lumière m’éclaire ! N’importe quoi plutôt que de rester ici plantée comme un rocher… (Avec une grâce aérienne, Faile s’agenouilla devant Perrin et lui posa les mains sur les genoux.) Perrin, je déteste passer mon temps à me demander quand un Rejeté va jaillir devant moi dans un couloir. Et je n’aime pas non plus me poser des questions sur le moment où le Dragon Réincarné nous tuera tous. C’est ce qu’il a fait au temps de la Dislocation, après tout… Massacrer tous les siens.

— Rand n’est pas Lews Therin Fléau de sa Lignée, rappela Perrin. Enfin, il est bien le Dragon Réincarné, mais… ce n’est pas… il ne ferait pas…

Comment finir cette phrase ? En fait, Rand était bien la réincarnation de Lews Therin. Sinon, il n’aurait pas été le Dragon Réincarné. Mais était-il condamné au même destin que Lews Therin ? Pas simplement la folie – le sort qui guettait tout homme capable de canaliser, suivi par une mort atroce – mais la folie criminelle ?

— Perrin, j’ai parlé avec Bain et Chiad…

Le jeune homme ne s’en étonna pas. Faile passait beaucoup de temps avec les deux Aielles. Cette amitié lui valait quelques ennuis, mais elle semblait apprécier la compagnie de ces femmes – au moins autant qu’elle détestait celle des nobles dames de la forteresse. Mais quel était le rapport avec le sujet en cours ?

Perrin posa la question à son amie.

— Elles m’ont dit que Moiraine demande parfois où tu es. Idem pour Mat. Tu ne comprends pas ? Elle ne se donnerait pas cette peine si elle avait la possibilité de vous surveiller avec le Pouvoir.

— Surveiller avec le Pouvoir ?

Une idée qui n’était jamais passée par la tête de Perrin.

— Oui, et elle ne peut pas le faire avec toi. Accompagne-moi, Perrin. Nous serons à des lieues d’ici avant qu’elle s’aperçoive de notre absence.

— Je ne peux pas, souffla piteusement Perrin.

Il tenta de détourner Faile de ce sujet en l’embrassant, mais elle se leva d’un bond et recula si vite qu’il faillit basculer en avant. La poursuivre tendrement aurait été peine perdue, car elle avait croisé les bras, érigeant ainsi entre eux un bouclier infranchissable.

— Allons, tu n’as pas si peur d’elle ! Je sais, c’est une Aes Sedai, et il suffit qu’elle tire les ficelles pour que vous dansiez comme des pantins. Le seigneur… hum… Rand est peut-être pris dans sa toile. Qui sait ? Egwene et Elayne aussi ? Peut-être même Nynaeve… À moins qu’elles ne veuillent pas se libérer. Mais toi, tu peux le faire, si tu le décides.

— Faile, ça n’a rien à voir avec Moiraine. C’est ma mission. Ce que…

Perrin n’eut pas le loisir de terminer.

— N’essaie pas de me faire gober un de tes discours de mâle à la poitrine velue sur le devoir et tout le tralala ! J’ai le sens du devoir, comme toi, mais tu n’as rien à faire ici. Aucune mission à remplir, en tout cas. Il se peut que tu sois ta’veren, même si ça ne me saute pas aux yeux, mais le Dragon Réincarné, c’est Rand, pas toi !

— Vas-tu enfin m’écouter ? rugit Perrin.

Faile en sursauta de surprise. Il n’avait jamais crié ainsi en s’adressant à elle. La jeune femme pointa le menton et bomba le torse, mais elle ne dit rien, laissant son compagnon continuer.

— J’appartiens au destin de Rand. Enfin, c’est ce que je crois… Pareil pour Mat. Si nous ne jouons pas notre rôle, le Dragon ne pourra pas jouer le sien. C’est ça, ma mission. Comment pourrais-je partir en sachant que ça risque d’entraîner l’échec de Rand ?