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— Risque ? répéta Faile d’un ton très légèrement agressif.

Si légèrement, trouva Perrin, qu’il envisagea d’élever la voix plus souvent face à elle.

— C’est Moiraine qui t’a dit ça, Perrin ? Tu devrais avoir appris à ne pas te fier aveuglément aux propos d’une Aes Sedai.

— J’ai découvert ça tout seul… Je crois que les ta’veren s’attirent mutuellement. À moins que ce soit Rand qui joue le rôle de l’aimant pour Mat et moi. On dit qu’il est le ta’veren le plus puissant depuis Artur Aile-de-Faucon, et peut-être même depuis la Dislocation du Monde. Mat refuse de reconnaître qu’il est ta’veren. Mais quoi qu’il fasse, il revient toujours graviter autour de Rand. Loial lui-même n’a jamais entendu parler de trois ta’veren du même âge originaires d’un unique village.

— Loial ne sait pas tout. Pour un Ogier, il n’est pas très âgé.

— Il a quand même plus de quatre-vingt-dix ans, rappela Perrin.

Faile se contenta de sourire.

Pour un Ogier, ce n’était guère plus que l’âge de Perrin. Voire un peu moins… Sachant fort peu de choses sur les Bâtisseurs, le jeune homme n’aurait su le dire. Mais Loial avait quand même lu un nombre incroyable de livres – tous ceux qui existaient, peut-être bien…

— En plus de son âge, il en sait plus long que nous sur bien des sujets. Il pense que j’ai une mission à remplir auprès de Rand. Et Moiraine voit les choses de la même façon. Non, je ne le lui ai pas demandé ! Mais sinon, pourquoi garderait-elle un œil sur moi ? Tu crois qu’elle veut que je lui fabrique un couteau de cuisine ?

Faile ne répondit pas tout de suite, et quand elle se décida, ce fut d’un ton inhabituellement compatissant.

— Mon pauvre Perrin… J’ai quitté le Saldaea en quête d’aventure, j’en trouve une – la plus fantastique depuis la Dislocation du Monde – et voilà que je veux me défiler. Toi, tu rêvais d’être un simple forgeron, et tu seras un héros de légende, que ça te plaise ou non.

Perrin détourna le regard de la jeune femme, mais son parfum continua à venir lui titiller les narines. Pour dire la vérité, il doutait qu’on lui consacre beaucoup de légendes, sauf si son secret finissait par être de notoriété publique. Faile pensait tout savoir sur lui, mais elle se trompait.

Une hache et un marteau de forgeron reposaient contre le mur, en face du jeune homme, l’arme et l’outil ayant tous les deux un manche de la longueur de son avant-bras. Avec la hache au tranchant en demi-lune hérissé d’une pique, il pouvait se battre et tuer. Le marteau, lui, avait pour fonction de fabriquer des objets, et il s’en était servi à cette fin dans une forge. La tête de l’outil pesait deux fois plus que celle de l’arme, et pourtant, cette dernière lui paraissait toujours la plus lourde des deux.

Avec la hache, il avait… Mais non, il refusait de penser à ça ! Faile avait raison. Il rêvait de retourner chez lui, de reprendre son apprentissage et de travailler chez son ancien patron. Mais c’était hors de question, il le savait très bien.

Il se leva, s’empara du marteau et se rassit. Tenir l’outil le réconfortait toujours un peu…

— Maître Luhhan me disait toujours qu’on ne peut pas échapper à son destin… (Il n’insista pas, conscient que ça ressemblait beaucoup à un « discours de mâle à la poitrine velue ».) C’est le forgeron de mon village, celui qui m’a appris le métier. Je t’ai déjà parlé de lui…

Bizarrement, Faile ne saisit pas l’occasion de triompher au sujet des « poitrines velues » et de leur sens de l’honneur. Elle se contenta de regarder Perrin comme si elle attendait quelque chose. Après un moment de réflexion, il crut deviner de quoi il s’agissait.

— Alors, tu es décidée à partir ?

Faile se leva et tira sur sa jupe.

— Je n’en sais rien, dit-elle après une longue réflexion. Tu m’as fourrée dans un sacré pétrin !

— Moi ? Qu’ai-je donc fait ?

— Si tu n’as pas compris, je ne vais sûrement pas te le dire.

Se grattant de nouveau la barbe, Perrin baissa les yeux sur le marteau. Mat n’aurait pas eu besoin d’un dessin, lui ! Idem pour le vieux Thom Merrilin. Le trouvère blanchi sous le harnais prétendait que personne ne pouvait comprendre les femmes. Mais dès qu’il sortait de sa petite chambre, au cœur de la Pierre, une dizaine de jeunes beautés, toutes en âge d’être ses petites-filles, lui fondaient dessus pour l’entendre jouer de la harpe et raconter ses histoires d’aventures et de passions.

Faile était l’unique femme que désirait Perrin. Cela dit, il avait parfois l’impression d’être un poisson qui tente de communiquer avec un oiseau.

Là, il était censé insister, poser une question. Elle ne lui répondrait peut-être pas, mais ça ne changeait rien à ce qu’elle attendait de lui. Mais il ne moufta pas. Cette fois, elle allait devoir faire le premier pas.

Quelque part dans la nuit, un coq eut l’idée saugrenue de chanter.

Faile en frémit d’effroi.

— Selon ma nourrice, ça veut dire que quelqu’un va mourir. Bien entendu, je n’en crois pas un mot, mais…

Perrin voulut préciser qu’il était tout aussi incrédule – même s’il avait lui aussi des frissons – mais son attention fut détournée par un grincement suivi d’un son plus mat.

Sa hache venait de tomber sur le sol. Alors qu’il se demandait comment ça avait pu arriver, l’arme bougea de nouveau… puis elle bondit vers lui comme une bête fauve.

D’instinct, il leva son marteau. Le bruit du métal frappant le métal couvrit le cri d’angoisse de Faile. Sous l’impact, la hache vola en arrière, rebondit contre un mur… et revint à l’assaut.

Perrin sentit tous les poils de son corps se hérisser.

Alors que la hache passait à côté d’elle, Faile plongea en avant et saisit le manche au vol à deux mains. Mais l’arme lui échappa et se retourna contre elle. Juste à temps, Perrin lâcha le marteau, sauta vers l’arme et saisit à son tour son manche, déviant le tranchant alors qu’il était à un pouce de s’enfoncer dans la chair de Faile.

Si cette hache – la sienne, par la Lumière ! – blessait Faile, il en mourrait de chagrin. Écartant l’arme de son amie, il faillit s’enfoncer la pique dans la poitrine. Un mal pour un bien, si ça garantissait la sécurité de Faile. Hélas, les choses ne pouvaient pas être aussi simples que ça.

L’arme se comportait comme une créature vivante et terriblement maléfique. C’était lui qu’elle visait, ça tombait sous le sens, et elle « combattait » avec beaucoup d’ingéniosité. Quand il avait volé au secours de la jeune femme, la hache avait retourné la manœuvre contre lui et tenté de le frapper. Et lorsqu’il essayait d’esquiver ses coups, elle s’en prenait de nouveau à Faile, histoire que la menace l’empêche de repousser le tranchant loin de lui. Si fort qu’il serrât le manche, l’arme parvenait à tourner dans sa main, braquant sur lui la pique ou le tranchant. Les muscles tendus à craquer, Perrin avait mal aux mains et il transpirait à grosses gouttes. Tôt ou tard, l’arme lui échapperait, ça ne faisait pas de doute…

Un moment de pure folie, sans un instant de répit pour réfléchir et comprendre ce qui se passait.

— Faile, sors de cette chambre ! Vite !

Blanche comme un linge, la jeune femme secoua pourtant la tête, résolue à continuer le combat.

— Non, je ne te laisserai pas !

— Cette hache va nous tuer tous les deux !

Faile secoua de nouveau la tête.

Perrin lâcha le manche de l’arme d’une main, saisit Faile par le bras et la tira vers la porte. Alors que tenir l’arme lui arrachait un grognement de douleur – c’était un effort presque surhumain – il se débrouilla pour ouvrir le battant, ignora les cris que poussait son amie, sentit à peine les coups qu’elle lui flanquait en se débattant, et réussit à la pousser dans le couloir.