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— Une coupe de la taille d’une carafe, oui ! (Agacée, Nynaeve aida la jeune femme à se relever – ou plutôt, la tira sans ménagement.) Tu crois pouvoir rester éveillée ? Je vais tenter de trouver Egwene, et je n’ai pas assez confiance en moi pour entrer dans Tel’aran’rhiod sans quelqu’un pour me réveiller.

Elayne en cligna des yeux de surprise. Depuis qu’Egwene s’était volatilisée lors de la rencontre dans le Cœur de la Pierre, elles avaient cherché à la contacter chaque nuit, sans le moindre résultat.

— Rester éveillée ? Nynaeve, c’est mon tour d’y aller. De toute façon, il vaut mieux que ce soit moi, puisque tu ne peux pas canaliser sans être en colère.

Elayne s’avisa soudain que l’aura du saidar enveloppait sa compagne. Il devait en être ainsi depuis un bon moment, comprit-elle. Mais comme si sa tête était bourrée de laine, les pensées et les perceptions y circulaient au ralenti. Et elle sentait à peine la Source Authentique.

— Au fond, si tu y vas, ça ne sera pas plus mal. Je ne m’endormirai pas.

Nynaeve plissa dubitativement le front, mais elle finit par acquiescer.

Elayne tenta de l’aider à se dévêtir, mais ses doigts refusèrent de s’embêter avec de si petits boutons. En grommelant des amabilités, l’ancienne Sage-Dame se débrouilla toute seule. Quand elle fut en sous-vêtements, elle ajouta l’anneau de pierre à face unique à la lanière de cuir qu’elle portait autour du cou et où pendait déjà une chevalière d’homme. Celle de Lan. Un bijou que Nynaeve cachait toujours au creux de sa poitrine.

Pendant que son amie s’allongeait, Elayne tira près du lit un tabouret de bois. Elle avait sommeil, certes, mais sur un siège si inconfortable, elle ne piquerait sûrement pas du nez. En revanche, allait-elle réussir à ne pas en tomber par manque d’équilibre ?

— Je te réveillerai dans environ une heure.

Nynaeve ferma les yeux, les mains reposant sur ses deux bagues. Assez vite, sa respiration devint plus profonde.

Le Cœur de la Pierre était désert. Tout en sondant la pénombre, entre les colonnes, Nynaeve décrivit un grand cercle autour de Callandor – plantée dans le sol, l’arme brillait de tous ses feux – avant de s’apercevoir qu’elle était toujours en sous-vêtements, deux bagues oscillant sur sa poitrine au gré de ses mouvements. Un instant plus tard, elle se retrouva vêtue d’une robe de laine de Deux-Rivières et d’une solide paire de bottines. Pour Elayne et Egwene, changer à volonté de tenue, dans le Monde des Rêves, semblait être un jeu d’enfant. Pour elle, il en allait autrement. Lors de ses précédentes incursions dans Tel’aran’rhiod, elle avait connu quelques moments embarrassants, surtout lorsqu’elle pensait « accidentellement » à Lan. Mais se changer volontairement lui demandait une intense concentration. En revanche, si elle laissait libre cours à ses fantasmes…

Le simple fait d’y penser et voilà qu’elle se retrouva affublée d’une robe de soie aussi transparente que le voile de Rendra. Là-dedans, Berelain elle-même aurait rougi jusqu’aux oreilles. Imaginant que Lan la voyait dans cette tenue, Nynaeve sentit le rouge lui monter aux joues. Se reprenant, elle « rappela » la robe de laine marron.

Avec tout ça, sa colère n’était plus qu’un souvenir. Sacrée Elayne ! Ignorait-elle donc ce qui arrivait quand on levait trop le coude ? Ce n’était quand même pas la première fois qu’on la laissait seule dans une salle commune d’auberge ? Au fond, peut-être que si… Quoi qu’il en soit, lorsqu’elle était calme, la Source Authentique aurait très bien pu ne pas exister pour Nynaeve. Avec un peu de chance, ça ne lui nuirait pas…

Mal à l’aise, elle sonda la forêt de colonnes de pierre rouge. En tournant sur elle-même, elle se demanda pourquoi Egwene avait disparu si brutalement.

Un parfait silence régnait dans le Cœur de la Pierre, au point que Nynaeve entendait le sang battre à ses tempes. Pourtant, quelque chose la démangeait entre les omoplates, comme si quelqu’un était en train de l’épier.

— Egwene ! cria-t-elle, l’écho de son appel se répercutant entre les colonnes. Egwene !

Pas de réponse.

Nynaeve voulut se frotter les mains sur le devant de sa robe… et découvrit qu’elle brandissait une petite branche ratatinée terminée par un gros bouton. Bref, un objet qui lui serait d’une extraordinaire utilité ! Elle le serra quand même plus fort. Bien sûr, une épée aurait été plus utile – un instant, la branche fit mine de se transformer en lame – mais comme elle était ignare en escrime… Nynaeve eut un petit rire amer. Ici, un gourdin ou une épée étaient à peu près aussi inutiles l’un que l’autre. Pour se défendre, il fallait canaliser… ou savoir courir très vite. Se sentant absurdement calme, la jeune femme comprit qu’elle n’aurait pas l’embarras du choix.

Elle aurait bien couru pour échapper à son « espion », mais renoncer si vite n’était pas son genre. Cela dit, que devait-elle faire ? Egwene n’était pas ici, mais dans le désert des Aiels. À Rhuidean, où que ça pût être.

Au milieu d’une enjambée, Nynaeve se retrouva soudain sur le flanc d’une montagne. Un soleil de plomb transformait en fournaise la vallée qui s’étendait au pied du pic. Le désert des Aiels ! Elle était dans le désert des Aiels !

Mais ce soleil levant… Eh bien, si loin à l’est de Tanchico, où il faisait encore nuit, il semblait logique qu’on en soit déjà à l’aube. De toute façon, dans le Monde des Rêves, tout était possible, sans qu’il y ait nécessairement cohérence avec l’univers « normal ».

De longues ombres couvraient pratiquement la moitié de la vallée. Bizarrement, une nappe de brume y flottait comme une muraille et les premiers assauts du soleil ne paraissaient pas devoir la faire disparaître. De très hautes tours émergeaient de ce brouillard, certaines donnant l’impression d’être inachevées. Une ville dans ce désert ?

En plissant les yeux, Nynaeve distingua une silhouette dans la vallée. Un homme, apparemment, même si la distance interdisait de l’affirmer. L’inconnu portant un pantalon large et une veste bleu vif, il ne s’agissait pas d’un Aiel. Marchant le long de la muraille de brume, il s’arrêtait de temps en temps pour la tapoter. Enfin, pour essayer, car on eût dit que sa main rencontrait un obstacle invisible. Au fond, il ne s’agissait peut-être pas de brume.

— Tu devrais filer d’ici, dit une voix de femme. Si cet homme te voit, tu mourras – ou pire, si tu n’as pas de chance.

La femme qui se tenait un peu plus haut sur la pente portait une veste courte blanche et un pantalon jaune clair bouffant resserré au-dessus de ses bottes. Alors que sa cape claquait au vent, Nynaeve remarqua enfin ses longs cheveux blonds tressés et l’arc en argent qu’elle brandissait.

Un nom vint à l’esprit de l’ancienne Sage-Dame – qui en resta un instant muette.

— Birgitte ? finit-elle par couiner.

Héroïne de centaines de récits, Birgitte était célèbre pour l’arc d’argent avec lequel elle ne ratait jamais sa cible. Comme d’autres héros défunts, elle serait rappelée de la tombe par le Cor de Valère quand viendrait l’heure de l’Ultime Bataille.

— C’est impossible ! Qui êtes-vous ?

— Nous n’avons pas le temps de parler, femme ! Tu dois partir avant qu’il te voie.

« Birgitte » prit une flèche d’argent dans le carquois accroché à sa ceinture, l’encocha et arma son arc, le braquant sur le cœur de Nynaeve.

— Va-t’en !

Nynaeve s’enfuit…

… Et se retrouva sur la place Verte de Champ d’Emond, en train de regarder l’auberge si reconnaissable avec ses cheminées et son toit de tuile rouge. Tout autour de la place, des maisons au toit de chaume semblaient protéger la saillie rocheuse d’où jaillissait la Cascade à Vin.