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Alors que le territoire de Deux-Rivières s’étendait très loin à l’ouest du désert des Aiels, le soleil, ici, était déjà haut dans le ciel. Bizarrement en l’absence de nuages dans le ciel, une ombre menaçante enveloppait le village comme un linceul.

Nynaeve eut à peine le temps de se demander comment les villageois s’en sortaient sans elle. Captant un mouvement du coin de l’œil, elle repéra une sorte d’éclair d’argent, puis distingua une femme accroupie au coin de la maison d’Ailys Candwin, de l’autre côté de la rivière.

Birgitte !

Sans hésiter, Nynaeve courut jusqu’à une des passerelles qui enjambaient le cours d’eau et s’y engagea, ses semelles produisant un vacarme épouvantable sur les planches disjointes.

— Venez ici ! cria-t-elle. Vous avez des réponses à me donner ! Qui était cet homme ? Venez, ou je vais vous montrer ce que je fais aux héros, moi ! Quand je vous aurai rossée, vous verrez ce que c’est, d’être un simple mortel qui a mal partout !

Quand elle arriva au coin de la maison, Nynaeve ne s’attendait pas vraiment à y trouver Birgitte. Surtout, elle ne s’attendait absolument pas à se retrouver face à un homme en veste noire qui avançait vers elle dans la rue en terre battue. À moins de cent pas de distance, Nynaeve le reconnut.

Lan !

Non, pas vraiment, mais cet homme avait les mêmes yeux que le Champion et un visage aux contours identiques. S’arrêtant, il leva son arc et tira.

La jeune femme se jeta à terre, hurla de terreur et tenta de ramper loin de son meurtrier.

Quand Nynaeve s’assit dans le lit en criant, Elayne se leva d’un bond, renversant son tabouret.

— Que s’est-il passé, Nynaeve ? Qu’est-il arrivé ?

L’ancienne Sage-Dame frissonna.

— Il ressemblait à Lan… Il ressemblait à Lan, et il a tenté de me tuer.

Nynaeve posa une main tremblante sur son bras gauche, un peu au-dessous de l’épaule. Du sang coulait d’une longue plaie.

— Si je n’avais pas plongé au sol, la flèche se serait fichée dans mon cœur.

Elayne s’assit au bord du lit et examina la blessure.

— Rien de grave, annonça-t-elle. Je vais nettoyer la plaie puis je te ferai un pansement.

La Fille-Héritière regretta d’être incapable de guérir. Mais essayer quand on ne savait pas pouvait être un remède pire que le mal. De toute façon, ce n’était qu’une entaille…

Et puis elle avait la tête bien trop embrumée – ou pleine de gelée de pomme – pour réfléchir à des choses si compliquées.

— Ce n’était pas Lan, alors, calme-toi. Tu sais que ce n’était pas Lan, pas vrai ?

— Bien sûr !

Toujours indignée, Nynaeve raconta ce qui lui était arrivé. L’homme qui lui avait tiré dessus à Champ d’Emond et celui du désert pouvaient être la même personne… ou non. Quant à Birgitte, quelle improbable rencontre !

— Birgitte ? demanda Elayne. Tu en es certaine ?

— Bien sûr que non…, soupira Nynaeve. La seule certitude, c’est que je n’ai pas trouvé Egwene. Et que je n’y retournerai pas ce soir. (Elle se flanqua un coup de poing sur la cuisse.) Où est-elle ? Et que lui est-il arrivé ? Si elle a rencontré ce type avec son arc… Par la Lumière ! pourvu que ça ne soit pas ça !

Morte de sommeil et les idées confuses, Elayne se força à réfléchir quelques instants.

— Elle a dit qu’elle ne serait peut-être pas là à nos prochains rendez-vous. Qui sait ? c’est peut-être pour ça qu’elle est partie si soudainement. Parce qu’elle ne pouvait pas… hum… eh bien…

Avec la gelée et le reste, la Fille-Héritière dut se rendre à l’évidence : elle n’était pas en état de tenir un discours cohérent.

— J’espère que tu as raison… Et maintenant, on devrait te mettre au lit. Sinon, tu vas finir par dormir debout.

Elayne se réjouit que son amie l’aide à se déshabiller. Elle n’avait pas oublié la blessure ni le pansement, mais le lit semblait si séduisant. Au matin, peut-être, le monde aurait cessé de tourner.

Une fois la tête posée sur l’oreiller, la jeune femme s’endormit comme une masse.

En se réveillant, Elayne regretta de ne pas être morte dans son sommeil.

Alors que le soleil se levait à peine, assise à une table de la salle commune déserte, elle baissa les yeux sur la chope que Nynaeve lui avait apportée avant de partir en quête de l’aubergiste. Chaque fois qu’elle respirait, l’odeur de l’infusion lui montait aux narines, lui retournant l’estomac. Quant à sa tête… Non, c’était impossible à décrire. Mais si quelqu’un avait proposé de la lui couper, elle aurait accepté avec gratitude.

— Tu vas bien ?

Elayne sursauta au son de la voix de Thom.

— Très bien, merci…

Le simple fait de parler était une torture.

Désorienté, le trouvère se lissa la moustache.

— Thom, tes histoires étaient formidables, hier soir. Enfin, celles dont je me souviens. Je ne me rappelle pas grand-chose d’autre, à vrai dire. J’étais assise à une table et en t’écoutant, j’ai dû manger trop de gelée de pomme.

Pas question d’admettre qu’elle avait trop bu, d’autant plus qu’elle ignorait quelle quantité se cachait sous ce « trop ». Quant à la façon dont elle s’était ridiculisée dans la chambre du trouvère… Non, ça plus que tout, ce devait être à jamais occulté.

Voyant le soulagement de Thom, Elayne supposa qu’il la croyait.

Nynaeve revint, tendit une serviette humide à Elayne et s’assit. Puis elle poussa vers son amie la chope remplie d’une ignoble décoction.

Elayne posa la serviette humide sur sa nuque et ferma les yeux.

— Un de vous deux a vu maître Sandar, aujourd’hui ? demanda Nynaeve.

— Il n’a pas dormi dans notre chambre, répondit Thom. Une chance pour moi, vu la taille du lit.

Comme si parler de lui l’avait fait venir, Juilin entra dans l’établissement, l’air épuisé et les vêtements froissés. Un coquard sous l’œil gauche, la chevelure en bataille – d’habitude, il était impeccablement coiffé –, il paraissait néanmoins très content de lui.

— Les voleurs, dans cette ville, sont plus nombreux que des vairons au milieu de roseaux. Pour les faire parler, il suffit de leur payer à boire. J’ai discuté avec deux types qui ont vu une femme arborant une mèche blanche au-dessus de l’oreille gauche. Et l’un des deux ne mentait pas.

— Elles sont donc ici…, souffla Elayne.

— Peut-être…, corrigea Nynaeve. D’autres femmes peuvent avoir une mèche blanche au-dessus de l’oreille gauche.

— Le type n’a pas pu me préciser l’âge de la femme, dit Juilin en dissimulant un bâillement derrière sa main. Une personne sans âge, disait-il. Pour plaisanter, il a même lancé qu’il s’agissait peut-être d’une Aes Sedai.

— Tu vas trop vite, dit Nynaeve. Si tu attires l’attention de nos ennemies sur nous, ça ne nous aidera pas.

— Je suis très prudent… L’idée que Liandrin me remette la main dessus suffit à me calmer… Pour ne pas attirer l’attention, je ne pose pas de questions, je bavarde… Parfois, sur des femmes que je fais mine d’avoir connues. Deux types ont accroché à la mèche blanche, et aucun ne s’est douté qu’il s’agissait d’autre chose que d’une conversation de taverne au-dessus d’une chope de bière. Ce soir, un autre poisson se prendra peut-être dans mes filets. Qui sait ? il s’agira peut-être d’une beauté du Cairhien aux grands yeux bleus.

La description de Temaile Kinderode.

— Peu à peu, je limiterai le champ des localisations possibles, et un jour, je saurai où elles sont. Oui, je les trouverai !

— À moins que ce soit moi qui les déniche, intervint Thom, visiblement convaincu que c’était le plus probable. Au lieu de frayer avec des voleurs, elles doivent fréquenter des nobles et des politiciens. Un seigneur va finir par se comporter bizarrement, et je n’aurai plus qu’à suivre la piste…