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Luc tendit une main pour aider la jeune femme à monter en selle.

Faile secoua la tête.

— Seigneur Luc, je vais rester avec Perrin.

— Quel dommage…, murmura le Quêteur, comme s’il pensait que le mauvais goût des femmes n’avait pas de limites.

Tirant sur ses gantelets ornés de loups brodés, il bougea très légèrement sur sa selle pour mettre en mouvement son étalon.

— Bonne chance à toi, seigneur Yeux Jaunes. Et à tous les autres aussi.

S’inclinant à l’intention de Faile, Luc fit volter son étalon puis le lança au galop si brusquement que plusieurs hommes durent sauter sur le côté pour ne pas être renversés.

À la façon dont Faile le regarda, Perrin s’attendit à un sacré sermon sur la courtoisie, dès qu’ils seraient seuls. Quand il n’entendit plus le bruit des sabots du cheval noir, il se tourna vers Gaul :

— Pouvons-nous aller à la rencontre des Trollocs ? Et leur tendre une embuscade avant qu’ils aient atteint l’endroit où ils veulent camper ?

— C’est faisable, si nous partons tout de suite. Ils avancent en colonne, sans trop se presser. Un Blafard les accompagne. Cela dit, il serait plus simple de les surprendre dans leur sommeil.

Plus simple pour les jeunes gens de Deux-Rivières, bien entendu. Gaul n’était pas du genre à redouter une bataille rangée.

S’il ne montait de lui aucun relent de peur, il en allait autrement de bien des jeunes gens. Pourtant, pas un ne suggéra qu’un affrontement à la loyale, avec un Myrddraal pour pimenter la sauce, pouvait être un mauvais plan. Dès que Perrin en eut donné l’ordre, ses compagnons éteignirent les feux, dispersèrent les cendres, rassemblèrent leurs chiches affaires et enfourchèrent leurs montures si mal assorties. Avec les sentinelles – Perrin nota de ne pas oublier d’avoir avec elles une conversation musclée – le groupe comptait près de soixante-dix individus. Largement assez pour tomber sur trente Trollocs et les réduire en bouillie. Ban al’Seen et Dannil dirigeaient chacun un demi-détachement, le meilleur moyen d’étouffer les querelles de pouvoir. Bili al’Dai, Kenley et quelques autres tenaient lieu de sous-officiers, supervisant des escouades de dix hommes. Wil comptait parmi ces sous-chefs. Quand il ne pensait pas aux filles, c’était un type bien, en général.

Alors que les Aiels partaient en éclaireurs, Faile fit chevaucher Hirondelle à côté de Trotteur.

— Tu ne lui fais aucune confiance, marmonna-t-elle. Comme s’il était un Suppôt des Ténèbres.

— Je me fie à toi, à mon arc et à ma hache, répondit Perrin.

Faile parut à la fois flattée et attristée. Pourtant, ce n’était que la stricte vérité.

Gaul guida la colonne vers le sud pendant deux heures, puis il s’engagea dans le bois de l’Eau où des chênes, des pins et des lauriers dominaient toute une variété d’arbres, d’arbustes et de buissons. Voisinant avec des frênes de bonne taille à la cime ronde, des saules noirs se serraient contre des palmiers en forme de cônes. Au pied de tous les troncs, la broussaille et les lianes s’entrelaçaient pour former comme une corolle. Sur les branches, des milliers d’écureuils pépiaient, tandis que des grives, des pinsons et des étourneaux voletaient de feuillage en feuillage.

Perrin capta une odeur de cerfs, de lièvres et de renards. Dans ce bois sillonné de petits cours d’eau, les étangs et les mares abondaient. Le plus souvent ombragées, ces étendues d’eau parfois à ciel ouvert, dans des clairières, faisaient entre dix et près de cinquante pas de large.

Sur le sol détrempé par la série d’orages, les sabots des chevaux produisaient d’étranges bruits de succion.

Après environ une demi-lieue de marche, Gaul s’arrêta entre une grande mare entourée de saules et un ruisselet d’un pas de large. S’ils continuaient dans la même direction, les Trollocs passeraient par là. Pour s’en assurer, les trois Aiels partirent en éclaireurs. Ils revinrent très vite et confirmèrent que l’ennemi approchait.

Confiant la garde des chevaux à Faile et à douze hommes, Perrin fit déployer en arc de cercle ses soixante compagnons, afin de former une muraille à laquelle les Trollocs ne pourraient pas éviter de se heurter. Après s’être assuré que tous les hommes étaient bien dissimulés et savaient ce qu’ils avaient à faire, le « général » se plaça au centre du piège, près d’un chêne au tronc de près de six pieds de diamètre.

Une fois sûr que sa hache ne se coincerait pas dans la boucle de sa ceinture, il encocha une flèche dans son arc et attendit. Une légère brise venant lui ébouriffer les cheveux, il pourrait sentir les Trollocs bien longtemps avant d’être en mesure de les voir. S’il avait bien calculé son coup, ils arriveraient juste en face de lui.

Les minutes passèrent, puis bientôt une heure… Que fichaient donc les Créatures des Ténèbres ? Si Perrin restait trop longtemps dans cette atmosphère humide, il serait bon pour changer la corde de son arc.

Les oiseaux disparurent quelques instants avant que les écureuils se taisent. Comprenant que le moment fatidique était arrivé, Perrin huma l’air à pleins poumons. Bizarrement, il ne capta rien. La brise soufflant dans la bonne direction, il aurait dû sentir les Trollocs en même temps que les oiseaux et les écureuils.

Un tourbillon d’air charria jusqu’aux narines de Perrin une puanteur qu’il connaissait trop bien.

— Ils sont derrière nous ! cria-t-il en se retournant. Tous les hommes avec moi ! Deux-Rivières, à moi !

Derrière le « piège », il y avait les chevaux. Et Faile.

Des cris sauvages montèrent de toutes parts. Un Trolloc à cornes de bélier apparut face à Perrin et leva aussitôt son arc long. Perrin arma aussitôt le sien, lâcha sa flèche au jugé et en sortit immédiatement une autre de son carquois. Touché entre les deux yeux, le Trolloc s’écroula sans qu’il y ait besoin de doubler le tir. Mais il avait eu le temps de tirer, et sa flèche – de la taille d’une petite lance – percuta Perrin au flanc à la vitesse d’un cheval au galop.

Le souffle coupé, le jeune homme se plia en deux, lâchant son arc et sa flèche de rechange. La douleur, déjà atroce, empirait encore dès qu’il tentait de respirer.

Deux autres monstres, une gueule de loup dessinant un rictus sous leurs cornes de chèvre, sautèrent par-dessus le cadavre de leur frère d’armes – sans le voir ni s’en soucier. Bien plus grands que Perrin et deux fois plus larges, ils chargeaient, leur cimeterre fendant l’air.

Le jeune homme se releva, serra les dents, cassa la hampe de la flèche plantée dans sa chair et tira sa hache de sa ceinture. Puis il chargea en hurlant à la mort.

En hurlant, oui. Pour exprimer la rage qui recouvrait d’un voile rouge ses yeux jaunes. Face aux deux monstres géants aux pièces d’armure hérissées de piques sur les épaules et aux coudes, il mania sa hache comme un bûcheron qui aurait voulu couper net un arbre avec chaque coup.

Pour Adora. Pour Deselle.

— Pour ma mère ! Crevez tous ! Pour ma mère !

S’avisant soudain qu’il s’acharnait sur deux dépouilles déjà hachées menues, Perrin se força à cesser de frapper. Tendant l’oreille, il constata qu’il y avait beaucoup moins de cris. Y avait-il d’autres survivants que lui ?

— À moi ! Gens de Deux-Rivières, à moi !

— Deux-Rivières ! cria quelqu’un.

— Deux-Rivières ! répondit une autre voix.

Deux ? Seulement deux ?

— Faile ! Au nom de la Lumière ! Faile !

Une silhouette noire apparut entre les arbres, annonçant la venue d’un Myrddraal bien avant que Perrin ait pu distinguer clairement le Sans-Yeux en cuirasse sombre, sa cape couleur d’encre n’ondulant pas d’un pouce alors qu’il courait à la vitesse du vent. En approchant, le tueur noir ralentit, certain de sa victoire sur un adversaire blessé. Sur son visage blême, l’absence de globes oculaires était tout aussi terrifiante que s’il avait eu des yeux de feu liquide.