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Peut-être, mais parfois, l’illusion fonctionnait aussi bien que la réalité. Pendant un moment, la brise charria l’odeur infâme des Trollocs, la preuve qu’ils suivaient les rescapés, mais il n’y eut pas d’attaque. Puis la puanteur se dissipa, indiquant que les monstres avaient renoncé, vaincus par un leurre.

Faile marchait à côté de Trotteur. Tenant son arc d’une main, elle avait posé l’autre sur la jambe de Perrin, comme si elle entendait l’empêcher de tomber. Souriant de temps en temps pour encourager le jeune homme, elle ne parvenait pourtant pas à cacher son inquiétude. Afin de la convaincre qu’il allait bien, Perrin lui rendit ses sourires.

Vingt-sept morts… Vingt-sept morts dont les noms résonnaient en boucle dans sa tête. Colly Garren… Jared Aydaer… Dael al’Taron… Ren Chandin…

Vingt-sept garçons de Deux-Rivières morts à cause de sa stupidité. Vingt-sept !

Ayant emprunté la route la plus directe pour sortir du bois de l’Eau, la petite colonne émergea à l’air libre au milieu de l’après-midi. À quelle heure exactement ? Avec un ciel si plombé, c’était impossible à dire.

Des pâturages où poussaient quelques arbres s’étendaient devant les survivants. Dans le lointain, Perrin distingua quelques fermes dont les cheminées ne crachaient pas la moindre volute de fumée. Si ces exploitations n’avaient pas été abandonnées, il y aurait eu quelque chose en train de cuire dans quelques cheminées. La colonne de fumée la plus proche se trouvait plus d’une lieue à l’est.

— Nous devrions passer la nuit dans une ferme, dit Ihvon. Un toit nous protégera s’il pleut encore, et nous pourrons faire du feu. Sans compter la nourriture, l’eau et les pansements que nous trouverons sûrement.

Perrin acquiesça sans discuter. À l’évidence, le Champion était bien plus compétent que lui. Même le vieux Bili Congar, avec son cerveau rongé par la bière, aurait fait un meilleur chef que lui. Du coup, il laissa Trotteur emboîter le pas au cheval gris du Champion.

Un peu moins d’une demi-lieue plus loin, Perrin capta de lointains échos de musique. Une joyeuse mélodie jouée par des violons et des flûtes. Pensant qu’il avait des hallucinations auditives, il comprit que non en voyant, un peu plus tard, que ses compagnons échangeaient des regards incrédules… puis des sourires soulagés. La musique était synonyme de présence humaine. Et de joie, à entendre le rythme endiablé de la mélodie. Des gens pouvaient encore avoir des choses à fêter dans cette vallée de larmes ? Cette simple idée incita les survivants de Deux-Rivières à avancer un peu plus vite.

41

Avec les Zingari

Un cercle de chariots fut bientôt en vue un peu au sud de la trajectoire que suivaient Perrin et ses compagnons. En approchant, le jeune homme constata qu’il s’agissait en fait de roulottes – de vraies petites maisons sur roues peintes en rouge vif, en bleu ciel, en vert pomme ou en jaune canari. La musique venait de ce camp de Zingari installé autour d’un petit bosquet de chênes. Les Gens de la Route… Perrin avait entendu dire qu’il y en avait à Deux-Rivières, mais c’était la première fois qu’il en voyait.

Un peu à l’écart des véhicules, des chevaux entravés broutaient paisiblement.

— Je dormirai ailleurs…, lâcha Gaul lorsqu’il vit Perrin orienter Trotteur vers la caravane de Tuatha’an.

Sans un mot de plus, le guerrier s’éloigna de la colonne.

Bain et Chiad vinrent parler à Faile. À voix basse, mais avec une grande conviction. Perrin capta assez de choses pour comprendre qu’elles voulaient convaincre la jeune femme de dormir avec elles dans un taillis plutôt que de rester avec les « Égarés ». La seule idée de parler aux Zingari semblait révulser les deux guerrières. Alors partager un repas ou dormir dans le même camp…

Sa main se refermant sur la jambe de Perrin, Faile refusa calmement mais fermement. Si les deux Promises échangèrent un regard inquiet, elles n’insistèrent pas et s’éloignèrent elles aussi lorsque la colonne eut presque atteint les roulottes.

Perrin entendit Chiad proposer qu’elles incitent Gaul à jouer au Baiser des Promises. Sans savoir ce que c’était, le jeune homme frémit d’avance pour son ami quand les deux guerrières éclatèrent de rire.

Dans le camp, les hommes et les femmes étaient au travail. On cousait, on cuisinait, on réparait des harnais, on lavait les vêtements et les enfants… Quelques costauds armés de leviers soulevaient une roulotte afin de changer une roue. Les gamins déjà baignés ou qui avaient échappé à l’épreuve jouaient ou dansaient au son de la musique interprétée par une dizaine d’hommes. Qu’ils soient au berceau ou à deux pas de la tombe, tous les Zingari portaient des tenues encore plus criardes que leurs véhicules. Les assortiments de teintes, en particulier, arrachaient les yeux. À coup sûr, ces gens choisissaient leurs vêtements à l’aveugle. Car enfin, aucun homme sensé ne se serait affiché ainsi ! Et aucune femme non plus, à quelques exceptions près.

Dès qu’ils virent les survivants, les Zingari se turent et cessèrent toute activité pour mieux étudier la piteuse colonne. Les femmes appelèrent les enfants, qui accoururent et s’accrochèrent à leur jupe, y enfouissant la tête – mais en se tordant le cou pour voir quand même ce qui se passait.

Un homme svelte aux cheveux gris, assez petit, avança vers les nouveaux venus et s’inclina, les mains pressées sur la poitrine. Sous sa veste bleu cobalt à col montant, il portait un pantalon bouffant d’un vert qui réussissait à paraître phosphorescent en plein jour.

— Bienvenue près de nos feux. Connais-tu la chanson ?

Essayant de se tenir bien droit malgré la flèche plantée dans son flanc, Perrin n’en crut pas ses yeux. Il connaissait cet homme, le Chercheur de ce clan.

Quelle probabilité ? se demanda le jeune homme. Quelle probabilité avais-je de tomber sur les seuls Zingari que je connais ?

Les coïncidences le mettaient toujours mal à l’aise. Quand la Trame en produisait, la Roue semblait vouloir précipiter les événements…

Je parle comme une fichue Aes Sedai, maintenant…

Incapable de rendre sa révérence au Chercheur, Perrin se souvint cependant de la réponse rituelle :

— Ton hospitalité me réchauffe le cœur, Raen, et vos feux me réchaufferont le corps. Mais je ne connais pas la chanson.

Faile et Ihvon regardèrent Perrin avec de grands yeux. Les garçons de Deux-Rivières aussi, s’avisa le jeune homme. Et si on devait en croire les murmures qu’échangèrent Ban, Tell et deux ou trois autres, les héros allaient avoir un nouveau sujet de conversation à propos de leur chef.

— Dans ce cas, nous continuerons à chercher… Il en fut ainsi et il en sera encore ainsi, car nous nous souviendrons, nous chercherons… et nous trouverons.

Avec une grimace, le Chercheur étudia les éclopés armés jusqu’aux dents qui se tenaient devant lui. Quoi qu’il arrive, les Gens de la Route refusaient de toucher à tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une arme.

— Bienvenue parmi nous… Nous vous donnerons de l’eau chaude, des cataplasmes et des bandages… (Le Zingaro dévisagea Perrin.) Tu connais mon nom ? Oui, bien sûr ! Tes yeux…

Une femme rondelette aux cheveux grisonnants vint se camper à côté de Raen. C’était Ila, son épouse, qui le dépassait d’une bonne tête. Son chemisier rouge, sa jupe jaune brillante et son châle à franges vertes faisaient un choc, mais son caractère maternel compensait cet attentat contre l’esthétique.

— Perrin Aybara… Je savais bien que cette tête me disait quelque chose. Elyas est avec toi ?

— Je ne l’ai plus vu depuis longtemps, Ila.