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— Il vit sous le signe de la violence, soupira Raen. Comme toi. Même si elle est longue, une telle existence est souillée.

— Mon époux, ce n’est pas le moment de le convertir au Paradigme de la Feuille, dit Ila, fermement mais avec une pointe de tendresse. Il est blessé, et ses compagnons aussi.

— Où avais-je la tête ? marmonna Raen. Venez, les Zingari ! Il faut aider ces malheureux !

Des hommes et des femmes accoururent. Avec des paroles de réconfort, ils aidèrent les blessés à descendre de cheval puis les guidèrent (ou les portèrent) jusqu’aux roulottes. Wil et un ou deux hommes parurent contrariés que le groupe se sépare, mais Perrin ne partagea pas leur inquiétude. Avec les Tuatha’an, il n’y avait vraiment rien à craindre. Même pour défendre leur vie, ils auraient été incapables de lever la main sur quelqu’un.

À sa grande déconvenue, le « général » dut accepter l’aide d’Ihvon pour mettre pied à terre.

— Raen, dit-il quand la douleur eut un peu diminué, vous ne devriez pas être ici. Nous avons combattu des Trollocs à un peu moins de deux lieues de ce site. Conduis tes gens à Champ d’Emond où ils seront en sécurité.

Semblant lui-même surpris de réagir ainsi, Raen hésita avant de secouer la tête.

— Même si je suivais ton conseil, les autres refuseraient de me suivre. Nous nous efforçons de camper le plus loin possible des villages. Bien entendu, c’est pour éviter qu’on nous accuse à tort de voler ou de tenter d’endoctriner les jeunes gens. Mais il n’y a pas que ça. Partout où les hommes ont construit dix maisons côte à côte, les conditions sont réunies pour que la violence éclate. Mon peuple sait cela depuis la Dislocation du Monde. La sécurité, c’est rester dans nos roulottes et nous déplacer sans cesse, éternellement en quête de la chanson.

Le Chercheur se rembrunit.

— Partout, nous entendons parler de guerre et d’émeute. Le territoire de Deux-Rivières n’est pas le seul concerné. Le monde change, et il avance vers sa destruction. Si nous ne trouvons pas vite la chanson, nous risquons de ne jamais la découvrir.

— Vous la trouverez, assura Perrin.

Ces gens abominaient trop la violence pour qu’un ta’veren les convainque de s’écarter de leur chemin. Le Paradigme de la Feuille était sans doute un adversaire trop puissant pour lui. À une époque, il avait lui-même été tenté d’y souscrire.

— J’espère sincèrement que vous la trouverez !

— Nous verrons bien, soupira Raen. L’heure de mourir sonne pour tout un chacun. Peut-être en va-t-il de même pour la chanson.

Même si elle semblait aussi mélancolique que son mari, Ila lui passa un bras autour des épaules pour le consoler.

— Venez, dit-elle en tentant de cacher son malaise. Il faut entrer dans les roulottes. Les hommes seraient capables de bavasser alors que leurs vestes sont en feu… (Ila se tourna vers Faile.) Tu es très belle, mon enfant. Tu devrais peut-être te méfier de Perrin. Je l’ai toujours vu en compagnie de très jolies filles.

Faile regarda le jeune homme avec un œil froid de maquignon, mais elle n’insista pas sur ce sujet délicat.

Perrin parvint à marcher jusqu’à la roulotte de Raen, un véhicule peint en jaune strié de rouge, les rayons de ses grandes roues écarlates alternant le rouge et le jaune. Mais quand il posa le pied sur la première marche, ses jambes se dérobèrent. Ihvon et Raen durent le porter à l’intérieur, Faile et Ila les suivant promptement, puis ils le déposèrent sur le lit qui occupait toute la cloison avant de la roulotte, n’était l’étroit passage nécessaire pour accéder à la porte coulissante donnant accès au banc du conducteur.

Il s’agissait vraiment d’une maison sur roues, comme en témoignaient les rideaux rose pâle pendus devant les deux petites fenêtres latérales. Étendu sur le dos, Perrin entreprit de contempler le plafond. À l’intérieur aussi, les Zingari laissaient libre cours à leur fantaisie. Ici, le plafond était bleu ciel tandis que les grandes armoires se paraient « humblement » de jaune et de vert.

Faile ouvrit la ceinture de Perrin pour le débarrasser de sa hache et de son carquois. Ila ouvrit une des armoires et fourragea dedans.

Le « général » en déroute ne parvint pas à s’intéresser à ce qui se passait autour de lui.

— Tout le monde peut se faire surprendre, lui dit Ihvon. Apprends de cette défaite, mais ne la rumine surtout pas. Artur Aile-de-Faucon lui-même ne remportait pas toutes ses batailles.

— Artur ? (Perrin voulut éclater de rire, mais la douleur lui arracha un grognement.) Oui… Je ne lui arrive pas à la cheville, ça, c’est sûr !

Ila foudroya du regard le Champion – enfin, plutôt son épée, qu’elle semblait trouver encore pire que la hache de Perrin. Puis elle approcha du lit avec une pile de pansements pliés. Quand elle eut écarté la chemise du blessé du moignon de hampe, elle fit la grimace.

— Je ne suis pas capable de retirer cette flèche… Elle est très profondément enfoncée.

— Et barbelée, précisa Ihvon comme si c’était un détail sans importance. Les Trollocs utilisent rarement l’arc, mais quand ils le font, les flèches sont toujours barbelées.

— Dehors ! s’écria Ila. Et toi aussi, Raen. Soigner les blessés n’est pas une affaire d’hommes. Pourquoi n’irais-tu pas voir si Moshea a fini de changer la roue de sa roulotte ?

— Bonne idée, admit Raen. Nous pourrions vouloir partir demain… Perrin, en un an, nous avons fait beaucoup de chemin. Jusqu’au Cairhien d’abord, puis retour au Ghealdan, puis en route vers Andor… Partir demain, oui…

Dès que la porte rouge se fut refermée sur son mari et sur Ihvon, Ila s’adressa à Faile :

— Si la flèche est barbelée, je ne pourrai pas la retirer. S’il le faut, j’essaierai. Mais ne connais-tu pas quelqu’un qui en sache plus que moi dans ce domaine ?

— Il y a bien quelqu’un à Champ d’Emond. Mais est-il prudent d’attendre demain ?

— C’est moins dangereux que de me forcer à le charcuter… Je préparerai une potion pour calmer la douleur, et un cataplasme évitera une infection.

— Pardon ! lança soudain Perrin. Je suis là, au cas où vous auriez oublié. Arrêtez de parler comme si j’étais un objet.

Les deux femmes dévisagèrent un moment le blessé.

— Arrange-toi pour qu’il se tienne tranquille, dit Ila à Faile. Tu peux lui permettre de parler, mais surtout, qu’il ne bouge pas. Sinon, il risque d’aggraver sa blessure.

— Je m’en occupe, assura Faile.

Les dents serrées, Perrin tenta d’aider sa compagne à lui retirer sa veste et sa chemise. Comme du fer forgé de mauvaise qualité, il se sentait fragile et susceptible de plier à la moindre pression. Quatre pouces de métal étaient plantés juste au-dessus de sa dernière côte, le moignon de hampe émergeant d’une bouillie de sang et de chair…

Sans doute pour l’empêcher de voir la plaie, les deux femmes forcèrent Perrin à s’allonger. Pendant qu’Ila préparait un onguent dans un mortier en pierre grise, le premier objet sobre que le jeune homme voyait dans le camp, Faile nettoya la blessure. Quand la Zingara eut appliqué l’onguent autour de la hampe, des pansements vinrent compléter le cataplasme.

— Raen et moi, nous dormirons sous la roulotte, cette nuit, annonça Ila.

S’essuyant les mains avec un chiffon, elle baissa les yeux sur le moignon de hampe et soupira :

— J’ai cru qu’il adhérerait au Paradigme de la Feuille, ce Perrin… C’était un gentil garçon, à l’époque.

— Le Paradigme de la Feuille n’est pas fait pour tout le monde, dit Faile sans la moindre agressivité.

— Faux, il est universel, répondit Ila tout aussi pacifiquement. Mais personne ne le sait.

La Zingara sortit. S’asseyant au bord du lit, Faile épongea le visage de Perrin avec un carré de tissu. Pour une raison qui la dépassait, il transpirait beaucoup.