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— J’ai commis une erreur, dit le jeune homme. Non, c’est trop banal. Je ne trouve pas les bons mots.

— Tu ne t’es pas trompé, assura Faile. Tu as fait ce qui semblait logique dans les conditions données. Je ne comprends pas comment les Trollocs ont pu nous prendre à revers. Gaul n’est pas du genre à se tromper sur la position de l’ennemi. Ihvon a raison : n’importe qui peut se faire surprendre. Mais tu as assumé tes responsabilités, nous sortant de ce piège.

Perrin secoua la tête, aggravant sa douleur au côté.

— C’est Ihvon qui nous a sauvés. Moi, j’ai provoqué la mort de vingt-sept hommes. (Il tenta de s’asseoir pour regarder Faile en face.) Certains étaient mes amis. Et je les ai conduits à leur fin.

Faile appuya sur les épaules du blessé pour le forcer à se rallonger. Le peu de résistance qu’il parvint à lui opposer en disait long sur sa faiblesse.

— Tu feras des acrobaties demain, quand nous devrons te remettre sur ta selle. Pour le moment, calme-toi ! Ihvon ne nous a pas sauvés. La seule chose qui l’intéressait, c’était que vous vous en sortiez tous les deux, puisqu’il avait mission de te ramener. Sans toi, les hommes se seraient éparpillés dans toutes les directions, et nous serions tous devenus des proies faciles. Un étranger comme Ihvon n’aurait pas réussi à les fédérer. Quant à tes amis… (Faile se rassit, l’air accablée.) Mon père dit qu’un général peut pleurer les morts ou s’occuper des vivants, mais pas faire les deux à la fois.

— Je ne suis pas un général, Faile. Simplement un crétin de forgeron qui a cru pouvoir se servir des autres pour se faire justice – ou peut-être pour se venger. J’ai toujours le même objectif, mais je n’entraînerai plus personne dans mon combat.

— Tu crois que les Trollocs vont s’en aller parce que tes motivations ne sont pas assez nobles ?

Le ton furibard de sa compagne incita Perrin à relever la tête, mais elle le contraignit à la reposer sur l’oreiller – sans grand ménagement, pour être honnête.

— Ces monstres sont-ils moins affreux ? As-tu besoin, pour les combattre, d’une autre raison que leur monstruosité, justement ? Tu veux savoir ce que mon père disait d’autre ? Le pire péché d’un général, ce n’est pas de se tromper ou d’être vaincu, c’est d’abandonner les hommes qui comptent sur lui.

On tapa à la porte, puis un jeune Zingari, beau et mince, passa la tête à l’intérieur de la roulotte. Souriant d’abord à Faile, il étudia un moment Perrin.

— Mon grand-père a dit que c’était toi… Et si ma mémoire ne me trompe pas, Egwene est originaire de ce trou perdu, non ? Mais tes yeux ? Tu as choisi de suivre Elyas, finalement ? Courir avec les loups… J’aurais parié que tu n’adopterais pas le Paradigme de la Feuille.

Aram, soupira intérieurement Perrin. Le petit-fils de Raen et Ila. Le même sourire de bellâtre que Wil. Bref, un type qu’il n’aimait pas.

— Va-t’en, Aram ! Je suis fatigué.

— Egwene est avec toi ?

— Elle est devenue une Aes Sedai, mon gars. Si tu lui demandais une danse, elle t’arracherait le cœur avec le Pouvoir. Dégage !

Aram sursauta et referma vivement la porte.

Perrin reposa la tête sur l’oreiller.

— Il sourit trop…, murmura-t-il. Je ne supporte pas les hommes qui montrent sans arrêt leurs dents.

Faile toussota, comme si elle s’étranglait. Perrin la regarda et vit qu’elle se mordait la lèvre inférieure.

— J’ai avalé de travers, dit-elle en se levant d’un bond.

Gagnant la tablette sur laquelle Ila avait préparé son onguent, elle s’empara d’une carafe vert et rouge et remplit d’eau une chope bleu et jaune.

— Tu veux boire quelque chose ? demanda-t-elle à Perrin. Contre la douleur, Ila a laissé une poudre. Ça t’aidera à dormir.

— Je ne veux rien avaler ! Faile, qui est ton père ?

Le dos très raide, la jeune femme se retourna, tenant la chope à deux mains. Ses yeux inclinés ne trahissant aucune émotion, elle hésita encore un peu avant de répondre :

— Mon père est Davram de la maison Bashere, seigneur de Bashere, Tyr et Sidona, gardien de la frontière avec la Flétrissure, défenseur des Terres Intérieures et Maréchal de la reine Tenobia du Saldaea. Sa nièce, accessoirement.

— Par la Lumière ! Et tu me racontais qu’il était marchand de bois et de fourrure ? Si je me souviens bien, il vendait aussi des poivrons, non ?

— Et c’est la stricte vérité ! Enfin, stricte, mais pas… entière. Le domaine de mon père produit du bois de qualité, de très bonnes fourrures et des poivrons – sans parler du reste. Ses employés vendant tout ça en son nom, on peut le considérer comme un marchand. En un sens…

— Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? Me mentir ainsi… Tu es une grande dame !

Perrin foudroya sa compagne du regard. Il ne s’était jamais attendu à ça. Fille d’un marchand ou d’un militaire à la retraite, oui, mais pas…

— Et pourquoi diantre participes-tu à la Quête du Cor ? Ne me dis pas que le seigneur de Bashere et de tous les autres bleds t’a envoyée à l’aventure pour te forger le caractère ?

Sans lâcher la chope, Faile vint se rasseoir près de Perrin, le dévisageant avec une intensité qu’il ne lui avait jamais vue.

— Mes deux frères aînés sont morts, l’un en combattant les Trollocs et l’autre dans un accident de chasse. Devenue l’aînée de la famille, j’ai dû apprendre la comptabilité, la gestion de stocks et les règles du commerce. Pendant que mes jeunes frères se préparaient à la vie militaire, avec d’exaltantes aventures en perspective, j’ai dû apprendre à diriger le domaine. C’est le devoir de tout aîné. Et il n’existe rien de plus ennuyeux au monde !

» Quand mon père a emmené Maedin, mon plus jeune frère, sur la frontière avec lui – un garçon deux ans plus jeune que moi – j’ai compris que ça ne pouvait plus durer. Chez nous, les filles n’apprennent ni l’escrime ni l’art de la guerre. Mais mon père a choisi un de ses anciens soldats – à l’époque de son premier commandement – pour me tenir lieu de valet. Ce brave Eran n’a jamais rechigné à m’enseigner le maniement du couteau et le combat à mains nues. Je pense que ça l’amusait… Bref, quand mon père est parti en mission avec Maedin, j’ai appris qu’on lançait la Grande Quête du Cor, et j’ai décidé de filer en laissant une lettre d’explications à ma mère. Ensuite, j’ai eu la chance d’arriver en Illian à temps pour prêter le serment des Quêteurs.

Faile reprit le carré de tissu et épongea de nouveau le visage de Perrin.

— Tu devrais dormir un peu…

— Tu es donc dame Bashere, ou quelque chose de ce genre. Comment t’es-tu entichée d’un banal forgeron ?

— Le bon verbe est « aimer », Perrin Aybara, dit Faile d’un ton ferme qui contrastait avec la douceur de sa main. Et tu n’es certainement pas un banal forgeron. (Elle cessa d’éponger.) Que voulait dire ce jeune coq en parlant des loups ? Raen aussi a mentionné un Elyas.

Perrin en eut d’abord le souffle coupé. Pour tout arranger, il venait de reprocher à sa compagne d’avoir eu des secrets pour lui. Voilà ce qu’on obtenait quand on cédait à ses émotions les plus grossières. En d’autres termes, taper avec un marteau sans regarder revenait presque toujours à s’écraser le pouce.

Vaincu, Perrin raconta tout à Faile. Sa rencontre avec Elyas Machera, la découverte de son don de communiquer avec les loups… Puis le changement de couleur de ses yeux, leur gain en acuité, le développement de son ouïe et de son odorat, désormais très proches de ceux d’un loup.

Il parla aussi du rêve du loup, et de ce qu’il deviendrait s’il perdait totalement son humanité.

— C’est si facile… Parfois, surtout dans le rêve, j’oublie que je suis un homme. Un jour, si je ne me le rappelle pas à temps, je me transformerai en loup. Intérieurement, en tout cas. Je serai l’image à moitié fausse d’un loup, si tu préfères. Et il ne restera rien de moi.