Выбрать главу

Prudent, il évita de regarder Faile pour le moment.

Raen arriva, vêtu de la même veste verte, mais avec un pantalon plus rouge que le rouge lui-même, si une telle chose pouvait exister. Cet assortiment de couleurs donna le tournis à Perrin, qui n’avait pas besoin de ça pour se sentir mal assuré sur ses jambes.

— Voilà deux fois que nous t’accueillons, Perrin, et là encore, tu pars sans un festin d’adieu. Il te faudra revenir vite, pour que nous puissions combler cette lacune.

Estimant qu’il tiendrait debout seul, Perrin se dégagea de l’emprise des femmes et posa une main sur l’épaule du Chercheur.

— Venez avec nous, Raen… À Champ d’Emond, personne ne vous fera de mal. Et vous y serez de toute façon plus en sécurité qu’ici, alors que des Trollocs rôdent.

Raen parut hésiter.

— Comment fais-tu pour semer ainsi le doute dans mon esprit ? souffla-t-il. (Il tourna le dos à Perrin et haussa le ton.) Perrin nous propose de l’accompagner dans son village, où nous serons à l’abri des Trollocs. Qui opte pour cette solution ?

Les Tuatha’an présents froncèrent les sourcils. Quelques femmes serrèrent leurs enfants contre elles, et les petits se cachèrent la tête dans leur jupe comme si cette seule idée les terrorisait.

— Tu vois, Perrin ? demanda Raen. Pour nous, la sécurité, c’est de voyager, pas de nous terrer dans un village. Je te promets que nous ne camperons pas deux soirs au même endroit. Et nous avancerons toute la journée entre les campements.

— Ça ne suffira peut-être pas, Raen.

— Ton inquiétude me touche, mais si la Lumière le veut, il ne nous arrivera rien.

— Le Paradigme de la Feuille, intervint Ila, ne consiste pas seulement à refuser la violence. Il nous apprend aussi à accepter les événements. La feuille tombe quand son heure sonne et elle ne se plaint pas. Tant que notre heure n’aura pas sonné, la Lumière nous protégera.

Perrin eut envie d’insister, mais la chaleur et la compassion de ces gens dissimulaient une inébranlable conviction. Convaincre Bain et Chiad de porter une robe et de renoncer à leurs lances – voire en persuader Gaul – aurait été plus facile que faire changer d’avis un Tuatha’an. Alors, tout un campement…

Raen serra la main de Perrin. Comme si c’était un signal, les Zingara commencèrent à étreindre les jeunes gens de Deux-Rivières. Des adieux plutôt joyeux, les belles souhaitant bon voyage aux héros en les invitant à revenir bientôt.

Presque tous les hommes participèrent à ces effusions. Un peu à l’écart, les mains dans les poches et la mine morose, Aram manifesta ouvertement son hostilité face à ces simagrées. Lors de leur précédente rencontre, Perrin l’avait trouvé plutôt vindicatif, une caractéristique étrange pour un Zingaro.

Bien entendu, les hommes ne se contentèrent pas de serrer la main de Faile. Pendant qu’ils l’enlaçaient, certains parmi les plus jeunes faisant montre d’un enthousiasme un peu trop appuyé, Perrin réussit à ne pas tirer la tête. En serrant les dents, il parvint même à sourire.

Il nota quand même qu’aucune femme beaucoup plus jeune qu’Ila n’osa le prendre dans ses bras. Même quand elle se laissait étouffer par l’étreinte d’un grand dadais de Zingaro vêtu comme un bouffon, Faile faisait le vide autour de lui à la manière d’un molosse. À moins d’avoir du gris sur les tempes, toutes les Zingara, après un rapide coup d’œil à la jeune Quêteuse, renonçaient à témoigner leur affection à Perrin.

Wil, lui, sembla réussir à embrasser toutes les femmes du camp. Idem pour Ban, malgré son nez proéminent. Pour une fois, Ihvon lui-même s’en donnait à cœur joie.

Et Faile allait finir avec une côte cassée, si tous ces malotrus continuaient !

Les Zingari finirent par reculer, à l’exception de Raen et Ila, dégageant ainsi un espace libre autour des héros de Deux-Rivières. Le Chercheur s’inclina alors, les mains sur la poitrine.

— Vous êtes venus en paix et vous partirez en paix. Nos feux vous accueilleront toujours, sachez-le. Dans la paix, parce que c’est l’essence même du Paradigme de la Feuille.

— Soyez en paix aussi, répondit Perrin. Je trouverai la chanson – ou quelqu’un d’autre que moi – et elle sera chantée cette année, ou une de celles qui restent à venir. Ce qui fut jadis sera de nouveau un jour, car le monde n’a pas de fin.

— Car le monde n’a pas de fin, répétèrent tous les Tuatha’an. Oui, le monde et le temps, tous deux sont sans fin.

Pendant qu’Ihvon et Faile aidaient Perrin à enfourcher Trotteur, tout ce petit monde s’offrit une nouvelle tournée d’effusions. Wil en profita pour compléter sa collection de baisers, et Ban l’imita malgré son incroyable nez.

Les blessés les plus graves furent eux aussi hissés en selle tandis que les Zingari les saluaient de la main comme s’ils étaient des voisins à eux en partance pour un long voyage.

Raen vint serrer une dernière fois la main de Perrin.

— Tu ne changeras pas d’avis ? demanda le jeune homme. Lors de notre première rencontre, tu m’as dit que le mal rôdait partout. C’est encore pire ici et maintenant, mon ami.

— Que la paix soit avec toi, Perrin, éluda le Chercheur.

— Et avec toi aussi.

Les Aiels se remontrèrent lorsque la colonne fut à une demi-lieue au nord du camp. Bain et Chiad dévisagèrent longuement Faile avant de se poster à leur place habituelle. Selon elles, que pouvait-il être arrivé à la jeune femme en une nuit ? Perrin aurait été bien en peine de le dire.

Gaul vint marcher près de Trotteur, et il n’eut pas besoin d’allonger sa foulée. Avec la moitié des hommes à pied, la colonne se traînait.

Après un regard circonspect à Ihvon, comme d’habitude, le guerrier s’adressa à Perrin :

— Ta blessure, ça va ?

C’était pire que jamais ! Chaque pas de Trotteur faisait bouger la tête de flèche.

— Je vais bien, dit Perrin sans serrer les dents. Avec un peu de chance, il y aura un bal à Champ d’Emond, ce soir. Et toi ? Tu t’es bien amusé à jouer au Baiser des Promises ? (Gaul trébucha et faillit s’étaler.) Un problème, mon ami ?

— Qui as-tu entendu proposer ce jeu ?

— Chiad… Pourquoi ?

— Chiad… Une Goshien ! Je devrais la ramener à Sources Chaudes dans la robe blanche d’une gai’shain. Chiad !

Des mots violents, mais prononcés d’un ton bizarrement doux.

— Tu veux bien éclairer ma lanterne, Gaul ?

— Un Myrddraal est moins rusé qu’une femme, et un Trolloc se bat plus loyalement.

Gaul marqua une pause, puis il ajouta, indigné :

— Et une chèvre est plus intelligente !

Accélérant le pas, le guerrier alla rejoindre les deux Promises. Sans leur parler, il chemina à côté d’elles.

— Tu y comprends quelque chose ? demanda Perrin à Ihvon, qui secoua la tête.

— S’il essaie de leur faire des ennuis, dit Faile, elles le pendront par les pieds à une branche, histoire de le calmer.

— Toi, tu as compris de quoi il retournait ?

La jeune femme ne répondit pas – un indice laissant penser qu’elle était aussi larguée que les autres.

— Je retournerai un jour dans le camp de Raen, fit Perrin. Ça fait un bail que je n’ai plus assisté à une tiganza. C’était très… instructif.

Faile marmonna entre ses dents quelque chose que Perrin entendit parfaitement :

— Méfie-toi, si tu ne veux pas finir pendu par les pieds toi aussi !

Le jeune homme en sourit de jubilation.

— Au fond, je pourrai m’en passer. N’as-tu pas promis de danser la sa’sara pour moi ? (Faile s’empourpra.) Je suppose que c’est assez proche de la tiganza. Sinon, pourquoi m’aurais-tu proposé ça ?