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Une poignée de survivants sur les centaines de membres que devait avoir comptées la caravane… Au moins, Raen était là, marchant comme s’il n’avait pas tous ses esprits, mais heureusement guidé par Ila, dont la moitié du visage était tuméfié.

Mais le Chercheur et sa femme avaient survécu, et c’était déjà beaucoup.

Quand ils atteignirent la brèche, les Tuatha’an s’arrêtèrent, les yeux rivés sur le champ de pieux et sur les défenseurs armés jusqu’aux dents. Se serrant contre les adultes, plusieurs enfants enfouirent la tête contre leur jambe pour se voiler les yeux. Une odeur de peur – non, de terreur – montait de ces malheureux. Faile mit pied à terre et courut à la rencontre des rescapés. L’enlaçant, Ila refusa cependant de faire un pas de plus. Mais elle semblait réconfortée par la présence de sa jeune amie.

— Nous ne vous ferons pas de mal ! cria Perrin.

J’aurais dû les convaincre de venir avec nous ! Par la Lumière ! j’aurais dû…

— Des Zingari ? lâcha Hari d’un ton méprisant. Qu’allons-nous faire d’une bande de voleurs qui emporteront tout ce qui n’est pas cloué au sol ?

Darl ouvrit la bouche, sans nul doute pour soutenir son frère, mais quelqu’un dans la foule fut plus rapide que lui :

— Exactement comme toi, Hari ! Sauf que tu chiperais aussi les clous !

Des éclats de rire incitèrent Darl à se taire. Mais les rieurs n’étaient pas bien nombreux, et ils regardaient quand même les Tuatha’an avec une méfiance visible.

— Hari a raison ! s’écria Daise Congar. (Jouant des coudes, elle fendit rapidement la foule.) Les Zingari sont des voleurs, et ils ne s’en prennent pas seulement aux objets. Ils volent les enfants !

Venant se camper devant Cenn Buie, elle lui brandit sous le nez un index au moins aussi gros que le pouce du vieux couvreur. Devant une femme plus grande et beaucoup plus lourde que lui, Cenn recula, cherchant refuge dans la foule.

— Cenn Buie, tu es censé appartenir au Conseil du village, mais si tu refuses d’écouter la Sage-Dame, je mettrai le Cercle des Femmes sur cette affaire, et nous la réglerons très vite.

Quelques hommes acquiescèrent en murmurant.

Cenn se gratta la tête, puis jeta un regard en coin à la Sage-Dame.

— Hum… Eh bien… Perrin, les Zingari ont une… réputation… Enfin, tu sais bien que…

Le vieux couvreur sursauta lorsque Perrin fit volter sa monture pour regarder la foule en face.

Pas mal de gens reculèrent, angoissés, mais il s’en ficha comme d’une guigne.

— Nous ne les repousserons pas ! dit-il d’un ton glacial. Pas un seul ! Voulez-vous expédier des enfants entre les griffes des Trollocs ?

Un des gamins zingari éclata en sanglots. Aussitôt, Perrin regretta ce qu’il venait de dire. Mais Cenn était rouge de honte jusqu’aux oreilles, et Daise elle-même n’avait pas l’air très fière d’elle.

— Bien sûr que nous allons les recevoir…, marmonna le vieux couvreur. (Il approcha de Daise, dressée sur ses ergots comme un coq de combat.) Et si tu veux que le Cercle des Femmes s’en mêle, je te jure que le Conseil vous remettra toutes à votre place. Si tu penses que c’est de la vantardise, essaie donc !

— Tu as toujours été un vieux fou, Cenn Buie, lâcha Daise. Tu crois que nous t’aurions laissé livrer des enfants en pâture aux Trollocs ?

Cenn Buie tenta de parler, mais avant que les mots jaillissent de sa gorge, Daise lui plaqua une main sur la poitrine et l’écarta sans ménagement de son chemin. Affichant un grand sourire, elle alla rejoindre les Tuatha’an et enlaça Ila à son tour.

— Venez avec moi… Vous pourrez tous prendre un bain chaud, et je vous trouverai un endroit où dormir. Toutes les maisons sont pleines, mais on se débrouillera. Allons, venez !

Marin al’Vere, Alsbet Luhhan, Natti Cauthon, Neysa Ayellin et d’autres femmes vinrent s’occuper des Zingara et des enfants. Foudroyant les défenseurs du regard, elles les forcèrent à s’écarter pour dégager le chemin. Non que quiconque eût envie de faire obstruction, désormais. Simplement, avec tant de monde, la manœuvre n’allait pas de soi…

Faile couva Perrin d’un regard admiratif, mais le jeune homme secoua la tête. Ça n’avait rien à voir avec sa condition de ta’veren. Si les gens de Deux-Rivières avaient parfois besoin qu’on leur montre le droit chemin, ils étaient assez honnêtes pour le suivre une fois que c’était fait. Hari Coplin lui-même, alors que les Zingari avançaient devant lui en direction du village, semblait un peu moins mauvais coucheur. Un peu moins seulement, car il n’y avait aucune raison d’espérer un miracle.

En passant devant Perrin, Raen leva les yeux et souffla :

— Le Paradigme de la Feuille reste quand même la bonne façon de voir… Toute créature doit mourir quand son heure sonne, et…

Le Chercheur se tut, troublé comme s’il ne se souvenait plus de ce qu’il voulait dire.

— Ils ont attaqué la nuit dernière…, dit Ila. (Articulant mal à cause de son visage tuméfié, elle avait le regard voilé, comme son mari.) Les chiens auraient pu donner l’alarme, mais les Fils de la Lumière les avaient tous tués. Nous n’avons rien pu faire.

Derrière Ila, le regard rivé sur les défenseurs, Aram frissonnait dans sa veste jaune à rayures. Presque tous les enfants pleuraient, désormais.

Le front plissé d’inquiétude, Perrin regarda les colonnes de fumée qui montaient au sud. Se tournant sur sa selle, il en vit d’autres au nord et à l’est. Même s’il devait s’agir en majorité de fermes abandonnées, les Trollocs n’avaient pas chômé pendant la nuit. Combien étaient-ils pour avoir fait tant de dégâts ? Certes, incendier une maison ne prenait pas beaucoup de temps, mais pour couvrir une telle zone, il fallait bien s’y mettre à quatre ou cinq cents. Soit l’équivalent des monstres tombés au combat le jour même. Que pouvait-on en déduire sur le nombre total de Trollocs à Deux-Rivières ? Un seul groupe ne pouvait pas avoir détruit toutes ces fermes et attaqué la caravane des Gens de la Route.

Perrin regarda les Zingari qui défilaient devant lui, le rouge lui montant au front. Ces malheureux venaient de voir mourir des parents et des amis, et il spéculait froidement sur les chiffres. Idem pour les fermes brûlées. En tendant l’oreille, il entendait les villageois émettre des hypothèses sur la signification – sinistre – de chaque colonne de fumée. Pour ces braves gens, chaque feu représentait un drame – des vies entières à reconstruire, dans le meilleur des cas, pas des chiffres…

En d’autres termes, Perrin ne servait à rien à Champ d’Emond. Faile étant occupée à secourir les Zingari, il était temps pour lui de partir à la recherche de Loial et de Gaul.

Vêtu d’une jaquette de forgeron et d’un long tablier de cuir, maître Luhhan approcha et saisit la bride de Trotteur.

— Perrin, j’ai besoin de ton aide. Les Champions veulent que je fabrique des pièces pour d’autres catapultes, mais une bonne vingtaine de villageois m’implorent de réparer les fragments d’armure que leur naïf arrière-arrière-grand-père a achetés jadis à un garde du corps de marchand plus ou moins roublard. Bref, je suis débordé !

— J’aimerais vous donner un coup de main, mais j’ai une autre mission à accomplir… De toute façon, je risque d’être un peu rouillé. Ça fait un moment que je n’ai plus travaillé devant une forge.

— Voyons, je ne te demande pas ça ! Jouer du marteau, toi ? (Le forgeron semblait sincèrement choqué.) Non, mon problème, c’est que ces idiots, chaque fois que je les envoie sur les roses, reviennent dix minutes plus tard avec un nouvel argument à la noix. Comment veux-tu que je travaille ? Toi, ils t’écouteront.