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Bien, il allait se montrer courtois, s’il le fallait. Mais quel titre devait-on donner à la dirigeante de Mayene ?

— Ma dame… (En principe, cette solution passe-partout ne pouvait pas choquer – et dans le cas contraire, tant pis !) Pourquoi vous aurais-je… invitée… à cette heure tardive ?

Berelain eut un rire de gorge à la fois profond et mélodieux. Même dans son cocon de vide, Rand en eut la chair de poule et tous ses poils se hérissèrent. Prenant pour la première fois vraiment conscience de la tenue de sa visiteuse, il s’empourpra de nouveau, et jusqu’à la pointe des oreilles, cette fois.

Elle ne sous-entend pas que… ? Enfin, c’est impossible ? Par la Lumière ! nous n’avions pas échangé plus deux mots avant ce soir !

— Qui sait, seigneur Dragon, j’ai peut-être envie de parler ?

Berelain laissa tomber sur le sol sa robe blanche, révélant une combinaison de soie encore plus fine qui méritait amplement d’être appelée un « déshabillé ». Dévoilant les épaules de la jeune femme, cette tenue offrait également une vue plongeante sur ses seins à la peau d’albâtre.

Incapable de détourner le regard, Rand se demanda vaguement comment cette fascinante poitrine pouvait tenir droit sans soutien.

— Comme moi, seigneur Dragon, vous êtes très loin de chez vous. Et la nuit, on se sent encore plus seul…

— Demain, je serai ravi de parler avec vous.

— Le jour, vous n’êtes jamais tranquille… Les pétitionnaires, les Hauts Seigneurs, les Aiels…

Berelain haussa très légèrement les épaules.

Rand se répéta qu’il devait regarder ailleurs, mais autant se convaincre d’arrêter de respirer. C’était la première fois, lorsqu’il se réfugiait dans le Vide, qu’il avait conscience à ce point de ses réactions.

— Les Aiels me font peur, continua Berelain, et je n’aime pas les seigneurs de Tear, qu’ils soient « hauts » ou non.

Sur le deuxième point, Rand la croyait volontiers. Sur le premier, en revanche, il avait plus que des doutes. Cette femme, avoir peur de quelque chose ?

Que la Lumière me brûle ! elle est dans la chambre d’un type bizarre – pour être gentil –, presque déshabillée, et c’est le type en question, moi en l’occurrence, qui est nerveux comme un chat dans un chenil. Et tout ça malgré le Vide…

Bref, il était temps de mettre un terme à cet entretien avant qu’il… dérape.

— Il serait préférable que vous retourniez dans votre chambre, ma dame.

« Et que vous mettiez une cape… Une cape très épaisse… », eut envie d’ajouter Rand. Ou plutôt une partie de lui-même, pour être honnête.

Berelain eut l’air interloquée.

— Seriez-vous influencé par les manières guindées de Tear, seigneur Dragon ? Ou cette… retenue… est-elle de rigueur sur le territoire de Deux-Rivières ? Chez moi, nous ne sommes pas si… collet monté.

— Ma dame…, commença Rand sur un ton somme toute assez « guindé ».

Et si elle n’aimait pas ça, tant pis pour elle !

— Je suis fiancé à Egwene al’Vere, savez-vous ?

— Cette Aes Sedai, seigneur Dragon ? Si c’en est vraiment une. Elle paraît bien jeune – et peut-être trop – pour porter la bague et le châle.

À entendre Berelain, Egwene était une gamine. Or, la Première Dame devait avoir un an de plus que Rand, lui-même aîné de deux ans de sa promise…

— Seigneur Dragon, je n’ai pas l’intention de m’interposer entre vous. Si elle appartient à l’Ajah Vert, épousez-la donc ! Pour ma part, je ne voudrais surtout pas m’unir au Dragon Réincarné ! Pardonnez-moi si j’outrepasse mes droits, mais comme je l’ai déjà dit, à Mayene, nous ne sommes pas… guindés. Puis-je vous appeler Rand ?

Le jeune homme se surprit à soupirer mélancoliquement. Quand elle avait parlé de s’unir au Dragon Réincarné, Berelain avait eu comme une lueur dans le regard – une expression fugitive, aussi, presque imperceptible. Si elle n’avait jamais envisagé cette possibilité, elle venait de le faire. Épouser le Dragon Réincarné, pas Rand al’Thor – l’homme des prophéties, pas le berger de Deux-Rivières.

Cette démarche ne le choquait pas vraiment. Chez lui, certaines filles jetaient leur dévolu sur n’importe quel homme qui brillait un tant soit peu dans les diverses joutes de Bel Tine ou de la Fête du Soleil. Et il n’était pas rare non plus qu’une femme en « pince » pour le propriétaire du plus gros troupeau ou des champs les plus fertiles.

Mais il aurait bien aimé que Berelain soit attirée par Rand al’Thor…

— Ma dame, il est temps que vous partiez !

Berelain avança vers le jeune homme.

— Rand, je sens tes yeux sur moi… Je ne suis pas une gamine de ton village encore dans les jupes de sa mère, et je sais que tu veux…

— Me prends-tu pour un homme de pierre, femme ?

Berelain recula d’instinct. Mais elle se ressaisit très vite, reprit sa marche en avant et tendit les bras vers Rand.

— Les muscles de tes bras semblent aussi durs que la pierre… Si tu penses devoir me brutaliser, brutalise-moi, ça n’a aucune importance, tant que tu me touches.

Quand elle caressa le visage de Rand, des étincelles parurent jaillir du bout des doigts de Berelain.

Sans réfléchir, Rand canalisa le Pouvoir à travers le lien qu’il n’avait toujours pas coupé. Comme si une muraille d’Air la repoussait, Berelain recula, les yeux écarquillés de surprise.

C’était bien de l’Air, constata Rand. Plus souvent qu’à son tour, il faisait des « miracles » sans avoir la première idée de ce qu’il fabriquait… Au moins, quand il avait réussi quelque chose, il se souvenait en général du protocole, histoire de pouvoir recommencer.

Le mur invisible fit onduler bizarrement le tapis, poussa la robe jetée par Berelain, fit subir le même sort à une botte abandonnée par Rand lorsqu’il s’était déshabillé et malmena un repose-pieds tendu de cuir rouge sur lequel trônait un exemplaire ouvert de l’Histoire de la Pierre de Tear, d’Eban Vandes.

En même temps que Berelain, la muraille d’Air poussait ces objets vers le mur. À savoir, à la distance de sécurité minimale pour Rand…

Conscient qu’il ne risquait plus rien, il verrouilla ce qu’il nommait le « flux », faute d’avoir trouvé un meilleur terme, et n’eut donc plus besoin de maintenir la muraille en elle-même. Un long moment, il réfléchit à ce qu’il venait de faire afin d’être sûr de pouvoir recommencer le cas échéant. Ce « miracle » semblait très utile, en particulier le « verrouillage ».

Ses yeux noirs toujours écarquillés, Berelain, les mains tremblantes, tentait de déterminer les contours de sa prison invisible. Le repose-pieds, la robe, la botte et le livre d’histoire gisant devant elle, la jeune femme était presque aussi blanche que son troublant déshabillé.

— Même si je le regrette fort, dit Rand, nous n’aurons plus d’autres conversations, sauf en public.

Les regrets n’avaient rien d’hypocrite. Car enfin, cette femme était superbe.

Que la Lumière me brûle ! je suis le dernier des crétins !

Certes, mais pourquoi ? Parce qu’il s’était laissé prendre par la beauté de Berelain, ou parce qu’il était assez bête pour la renvoyer ?

— Pour tout dire, il serait judicieux que vous partiez le plus vite possible. Vous avez ma parole que Tear ne fera plus d’ennuis à Mayene.

Une promesse valable tant que Rand serait de ce monde – voire jusqu’à ce qu’il ait quitté la Pierre – mais quand on maniait le bâton, il fallait aussi savoir user de la carotte. Un baume pour la fierté blessée de Berelain et un cadeau qui l’empêcherait de quitter Tear en tremblant de terreur.