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Alors que sa compagne et lui avalaient les marches – sans qu’il en ait vraiment conscience, car sans Faile, il les aurait négociées quatre par quatre – Perrin capta des relents de vieille sueur et les vestiges d’un parfum douceâtre. Il n’y prêta guère d’attention, car il pensait à ce qu’il allait dire à Rand.

Pourquoi as-tu tenté de me tuer ? Serais-tu déjà cinglé ?

Il n’y avait pas de manière diplomatique de poser de pareilles questions. Et de toute façon, il ne s’attendait pas à obtenir des réponses diplomatiques.

Lorsqu’il déboucha dans un couloir obscur, Faile toujours à son bras, Perrin découvrit le dos d’un Haut Seigneur et des deux gardes du corps qui l’accompagnaient. Dans la forteresse, seuls les Défenseurs étaient autorisés à porter l’armure. Cela dit, ces trois hommes arboraient une épée sur la hanche gauche. Ce n’était pas inhabituel, bien entendu, mais leur présence à cet étage, dans les ombres, et leur façon de fixer la lumière brillante, au fond du couloir, n’avaient rien de normal.

La lumière venait de l’antichambre des appartements qu’on avait alloués à Rand. Ou qu’il s’était appropriés… À moins que Moiraine l’ait contraint manu militari à s’y installer.

Dans l’escalier, Perrin et Faile n’avaient fait aucun effort pour être discrets. Trop concentrés, les trois hommes ne s’aperçurent d’abord pas de leur arrivée. Puis l’un des gardes en cape bleue tourna la tête comme s’il voulait faire passer une crampe dans sa nuque. Dès qu’il aperçut Perrin, le type ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes. Ravalant un juron, il fit face au jeune homme et commença à dégainer son épée.

L’autre garde fut à peine plus lent. Comme son compagnon, il semblait à la fois prêt à en découdre et vaguement gêné, ses yeux évitant de croiser ceux de l’apprenti forgeron.

Perrin capta une forte odeur de peur. Elle montait aussi du Haut Seigneur, même s’il se contrôlait bien mieux que ses hommes.

Lissant sa barbe pointue, le Haut Seigneur Torean se retourna avec une grâce languide, comme s’il était à un bal mondain. Puis il tira de sa manche un mouchoir bien trop imbibé de parfum et tamponna son nez saillant qui paraissait soudain bien modeste dès qu’on le comparait à ses oreilles. Sa veste de soie aux manchettes de satin rouge, somptueuse, soulignait peu charitablement la banalité de ses traits. Avec un regard plein de réprobation pour Perrin, présentement en manches de chemise, il se tamponna de nouveau le nez puis inclina légèrement la tête.

— Que la Lumière vous éclaire, dit-il poliment.

Quand son regard croisa celui de Perrin, il se hâta de le braquer ailleurs, mais son expression ne changea pas.

— Vous allez bien, j’espère ? ajouta-t-il avec une courtoisie un peu trop appuyée.

Perrin ne se formalisa pas du ton dédaigneux du noble. En revanche, il serra les poings quand il le vit regarder Faile de la tête aux pieds, comme s’il évaluait une pouliche.

— Que la Lumière vous éclaire, Haut Seigneur Torean, dit l’apprenti forgeron d’une voix qui ne trahit pas sa colère. Je me réjouis de vous voir participer à la protection du seigneur Dragon. Dans votre position, bien des gens seraient mécontents de le savoir ici.

Torean fronça ses sourcils un peu trop fins.

— Une prophétie s’est réalisée et Tear a joué dans cette prédiction le rôle qui lui était alloué. Le Dragon Réincarné, après tout, guidera peut-être mon pays vers une plus grande destinée encore. Quel idiot serait mécontent d’une telle éventualité ? Mais il se fait tard, et je vous souhaite une excellente nuit…

Torean regarda une dernière fois Faile – avec une étrange moue –, puis il se mit en chemin un peu trop hâtivement, s’éloignant de l’antichambre vivement éclairée. Comme deux molosses bien dressés, ses gardes du corps lui emboîtèrent le pas.

— Tu n’avais aucune raison d’être impoli, reprocha Faile à Perrin lorsque le noble fut assez loin pour ne pas entendre. Tu lui as parlé comme à un chien dans un jeu de quilles. Si tu veux rester ici, il faudra apprendre à te comporter avec les nobles.

— Il te regardait comme s’il avait envie de te faire sauter sur ses genoux ! Et pas comme un père, tu peux me croire.

— Tu crois que c’est le premier homme qui me regarde ? S’il avait osé faire plus que ça, je l’aurais remis à sa place d’un seul regard. Je n’ai pas besoin que tu me défendes, Perrin Aybara.

Malgré cette déclaration, nota Perrin, Faile ne semblait pas si mécontente que ça qu’il ait joué les chevaliers servants.

En se grattant la barbe, le jeune homme regarda Torean et ses gardes disparaître au bout du couloir. Comment les nobles de Tear faisaient-ils pour ne pas suer comme des porcs ? se demanda-t-il.

— Tu as remarqué, Faile ? Ses molosses n’ont pas lâché la poignée de leur épée tant qu’il n’a pas été à dix bons pas de nous !

La jeune femme tourna la tête vers les trois hommes, puis elle acquiesça gravement.

— Tu as raison… Mais il y a quelque chose que je ne comprends pas. Quand ils vous rencontrent, Mat et toi, les gens ne vous font pas des courbettes, comme face à Rand, mais ils semblent au moins aussi agressifs qu’en présence d’une Aes Sedai.

— Être un ami du seigneur Dragon n’est peut-être déjà plus une protection…

Faile ne reparla pas de quitter la forteresse, mais elle y pensa, et il aurait fallu être aveugle pour ne pas le voir. Cela dit, Perrin réussit à faire comme si de rien n’était, un progrès par rapport à leur récente conversation.

Alors qu’ils approchaient du bout du corridor, Berelain sortit de l’antichambre. Courant à demi, elle serrait contre son corps une robe de soie blanche. N’était la dignité inhérente à la Première Dame de Mayene, elle aurait sûrement couru pour de bon.

Histoire de prouver à Faile qu’il pouvait être délicieusement poli, Perrin se fendit d’une révérence dont Mat lui-même aurait eu du mal à égaler la grâce et la souplesse. En revanche, Faile se contenta de hocher la tête et de plier très vaguement un genou. Perrin s’en aperçut à peine, tant il fut troublé par l’odeur de peur – la puanteur, plutôt, comme celle qui montait d’une plaie infectée – qui émanait de Berelain.

L’angoisse de Torean n’était rien à côté…, pensa Perrin en regardant la Première Dame s’éloigner sans daigner les regarder, Faile et lui. De la panique pure emballée dans une terreur aveugle…

— Tu te rinces l’œil ? souffla Faile.

Concentré sur Berelain – et se demandant surtout ce qui avait pu la mettre dans cet état –, Perrin répondit sans réfléchir :

— Elle sentait la…

Au fond du couloir, Torean jaillit d’un corridor latéral et prit Berelain par le bras. Du long discours qu’il lui débita, Perrin comprit seulement quelques mots. Des reproches au sujet de la fierté de la jeune femme, qui l’avait poussée à dépasser les bornes, et ce qui semblait une proposition d’assistance et de protection. Le menton fièrement pointé, Berelain répondit d’une phrase lapidaire que Perrin ne comprit pas. Puis la jeune femme se dégagea et reprit son chemin, le dos bien droit comme si elle se contrôlait désormais un peu mieux.

Alors qu’il faisait mine de la suivre, Torean vit que Perrin le regardait. Après s’être une nouvelle fois tamponné le nez, il s’engouffra dans le corridor latéral.

— Même si elle sentait l’Essence de l’Aube, grogna Faile, je m’en ficherais comme d’une guigne. Cette femme ne s’intéresse pas à la chasse à l’ours, même si une peau décorerait très bien son mur. Elle traque le soleil.