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Les Aielles la dévisageaient. Même à moitié floues, ces deux femmes n’avaient rien à envier à Siuan Sanche sur le plan du regard qui tue. En particulier Bair… Par bonheur, il en fallait plus pour intimider Nynaeve, mais elle estima prudent de ne plus envenimer les choses.

— Elayne et moi, nous avons besoin d’aide… L’Ajah Noir tourne autour de quelque chose qui peut nuire à Rand. Si les sœurs noires trouvent avant nous cette arme, elles risquent de contrôler le Dragon Réincarné. Alors, si vous pouvez dire ou faire quelque chose pour nous aider…

— Aes Sedai, dit Amys, avec toi, une demande d’assistance sonne comme une exigence…

Nynaeve fit la grimace. Une exigence ? Enfin, elle s’était montrée quasiment suppliante. Une exigence ! Vraiment…

Mais les Aielles ne remarquèrent pas la réaction de Nynaeve. Ou elles choisirent de l’ignorer.

— Cela dit, une menace contre Rand al’Thor… Nous ne pouvons laisser une telle arme aux Ténèbres. Il y a un moyen d’empêcher ça…

— C’est trop dangereux, intervint Bair. Cette jeune femme en sait encore moins long qu’Egwene quand elle est venue à nous. C’est trop risqué pour elle.

— Dans ce cas, je pourrais…, commença Egwene.

Les deux Aielles lui coupèrent la parole.

— Tu dois achever ta formation, dit Bair. Aller au-delà de tes limites finira par te perdre.

— Tu n’es pas à Tanchico, déclara Amys en même temps que sa compagne, tu ne connais pas les lieux et tu ne peux pas éprouver le même besoin que Nynaeve. C’est elle, la chasseuse.

Sous ce feu croisé, Egwene capitula sans combattre.

Les deux Matriarches s’affrontèrent du regard. Au bout d’un moment, Bair leva son châle pour se cacher le visage. Une façon de signifier qu’elle ne dirait plus rien sur le sujet et s’en lavait les mains.

— C’est dangereux, confirma Amys.

À entendre les deux Aielles, respirer était terriblement risqué dans le Monde des Rêves.

— Je…

Nynaeve se tut, pétrifiée par le regard d’Amys devenu encore plus dur – un exploit qui à première vue aurait semblé impossible. Conservant dans sa tête une image très précise des vêtements qu’elle voulait porter – bien sûr, ça n’avait aucun rapport avec le reste, mais ça lui semblait très important –, Nynaeve reformula ce qu’elle voulait dire :

— Je serai prudente.

— Ça, je n’y crois pas, fit Amys, mais je ne vois pas d’autre solution. La clé, c’est le besoin. Quand il y a trop de monde dans une forteresse, le clan doit se diviser et le « besoin » vital, c’est qu’il y ait de l’eau dans la nouvelle forteresse. Quand on ne sait pas où en trouver, il arrive qu’on fasse appel à une Matriarche. Le besoin, dans cet exemple, est de trouver un canyon pas trop éloigné du premier et doté d’un point d’eau. En se concentrant sur le besoin, on approche de ce qu’on désire. Et en se concentrant encore, on s’en approche davantage. Chaque pas vous conduit vers l’objectif jusqu’à ce qu’on soit non seulement dans un canyon, mais à côté du point d’eau ou de l’endroit requis pour forer un puits. Nynaeve, ce sera plus difficile pour toi, parce que tu ne sais pas exactement ce que tu cherches. Mais l’intensité du besoin compensera peut-être ce désavantage. De plus, tu as quand même une idée de l’endroit où il te faudra chercher. Ce palais que tu évoquais…

» Mais il y a un risque, et tu dois en être informée. (La Matriarche se pencha en avant, son regard perçant rivé dans celui de Nynaeve.) Chaque pas se fait avec les yeux fermés. À l’aveuglette… Impossible de savoir où tu seras quand tu les rouvriras. N’oublie pas : trouver le point d’eau ne sert à rien s’il est dans un nid de vipères. Les crocs d’un serpent venimeux tuent aussi rapidement ici que dans le monde réel. Et les femmes dont nous a parlé Egwene semblent encore plus redoutables que des reptiles.

— Je l’ai fait ! s’exclama Egwene.

Les deux Aielles la foudroyèrent du regard et Nynaeve la sentit frémir.

— Avant de vous connaître, précisa Egwene. Nous n’étions pas encore à Tear…

Le besoin… Maintenant qu’elles lui avaient fourni quelque chose d’utile, Nynaeve se sentait beaucoup mieux disposée envers les Matriarches.

— Vous devrez veiller sur Egwene, dit-elle, serrant son amie contre elle pour montrer que ce n’étaient pas des paroles en l’air. Bair, tu as raison. Elle essaie toujours d’en faire un peu trop. Elle est comme ça depuis toujours.

Curieusement, Bair fronça les sourcils à l’intention de l’ancienne Sage-Dame.

— Je ne trouve pas, dit Amys. Désormais, elle est une élève docile. Pas vrai, Egwene ?

La jeune femme eut une moue volontaire. Pour penser qu’une femme de Deux-Rivières pouvait accepter qu’on la qualifie de « docile », il fallait bien mal la connaître.

Pourtant, à la grande surprise de Nynaeve, son amie ne dit rien. À l’évidence, les Matriarches étaient aussi peu commodes que les Aes Sedai…

Consciente que son heure était presque écoulée, Nynaeve décida de brusquer un peu les choses. Si Elayne la réveillait, il risquait de lui falloir des heures avant de se rendormir.

— Dans sept jours, dit-elle, une de nous deux vous retrouvera ici.

Egwene acquiesça.

— Dans sept jours, Rand se sera présenté à presque tous les chefs de tribu et de clan, et les Aiels seront tous derrière Celui qui Vient avec l’Aube.

Les Matriarches cillèrent toutes les deux et Amys tira sur son châle, mais Egwene ne s’en aperçut pas.

— La Lumière seule sait ce que Rand voudra faire à ce moment-là, conclut-elle.

— Dans sept jours, enchaîna Nynaeve, nous aurons pris à Liandrin ce que ses complices et elle cherchent avec tant d’acharnement.

Un vœu pieux… Plus vraisemblablement, l’Ajah Noir détiendrait l’arme mystérieuse.

Repensant à leur réaction, Nynaeve en déduisit que les Matriarches n’étaient pas certaines de voir tous les Aiels se rallier à Rand. Egwene doutant de son côté des intentions du jeune homme, personne dans cette affaire n’avait l’ombre d’une certitude. Mais il aurait été inutilement cruel d’ajouter encore du poids au fardeau d’Egwene en évoquant tout ce qui à Tanchico était également loin d’être gagné.

— Au moment du prochain rendez-vous, assura donc Nynaeve, nous aurons capturé toutes ces femmes et elles seront en route pour la Tour Blanche afin d’être jugées. S’il le faut, nous les mettrons dans des sacs, comme on le fait pour les oies.

— Nynaeve, souffla Egwene, essaie d’être prudente. Je sais que ce mot ne fait pas partie de ton vocabulaire, mais essaie quand même. Et fais part de ce conseil à Elayne. Elle est moins… téméraire… que toi, mais pas tant que ça, tout compte fait.

Amys et Bair posèrent chacune une main sur l’épaule d’Egwene. En un clin d’œil, Nynaeve se retrouva seule dans le Cœur de la Pierre.

Essayer d’être prudente ? Stupide enfant ! La prudence était le premier souci de Nynaeve. Et pourquoi Egwene avait-elle eu cette hésitation sur le mot « téméraire » ? Aurait-elle voulu dire autre chose ? Au lieu de tirer sur sa natte, Nynaeve croisa les bras. Plus que probablement, il valait mieux qu’elle ne sache pas ce qu’avait failli dire la jeune femme.

Soudain, elle s’avisa qu’elle avait oublié de mentionner Egeanin. Au fond, c’était peut-être mieux, parce que ç’aurait réveillé chez Egwene de douloureux souvenirs. Des semaines après avoir été libérée, la pauvre petite faisait encore des cauchemars d’où elle émergeait en criant qu’elle ne voulait pas être enchaînée. Mieux valait enterrer tout ça. D’autant plus qu’Egwene ne rencontrerait sûrement jamais la Seanchanienne.