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Que la Lumière brûle cette garce !

— Je ne me sers pas intelligemment de mon temps, dit Nynaeve à voix haute.

Le son se répercuta parmi les colonnes rouges. En l’absence des autres femmes, cette forêt de pierre semblait encore moins engageante qu’avant. Comme si le risque qu’un monstre en jaillisse était plus élevé. Bref, il était temps de ficher le camp d’ici !

Avant de partir, Nynaeve se dota de nouveau de deux tresses et se vêtit d’une robe de soie verte. Alors qu’un voile apparaissait sur son nez et sa bouche, elle ajouta des perles de jade vert dans ses cheveux. La métamorphose lui déplaisait profondément, mais elle était indispensable. Si une sœur noire utilisait un des ter’angreal volés pour s’introduire dans le Monde des Rêves – plus précisément dans la version onirique du palais de la Panarch – elle penserait en la voyant avoir affaire à une Tarabonaise conduite en ce lieu par un songe ordinaire. Cela dit, certaines de ces femmes connaissaient l’ancienne Sage-Dame de vue. Saisissant une de ses tresses, elle s’aperçut avec satisfaction qu’elle était désormais blonde comme les blés.

Ça, je n’aurais pas cru que c’était possible… Je me demande à quoi je ressemble… Peut-on encore me reconnaître ?

Un miroir en pied se matérialisa soudain à côté de Callandor. Voyant son reflet, Nynaeve écarquilla les yeux. Elle avait pris l’apparence de Rendra ! Alors que son ancienne image revenait sous la nouvelle, elle décida d’usurper pour un temps l’identité de l’aubergiste. Une couverture parfaite, non ?

Et dire qu’Egwene la croyait incapable de prudence !

Nynaeve ferma les yeux et se concentra sur Tanchico. Le palais de la Panarch… Une arme mystérieuse… Le besoin… Protéger le Dragon Réincarné…

Autour de la jeune femme, les contours de Tel’aran’rhiod se brouillèrent. Se sentant… glisser, elle attendit un peu puis rouvrit les yeux pour découvrir ce qu’elle avait « trouvé ».

Elle était dans une chambre à coucher aussi grande que les six proposées par les Trois Pruniers. Des frises décoraient les murs de plâtre blanc et des lampes dorées pendaient au plafond. Les montants sculptés du lit représentaient des branches lestées de feuilles et de fleurs.

Sur le lit, une femme encore loin de l’âge mûr était allongée contre l’un des montants, le dos bien droit. Dotée d’une bouche en cœur, comme l’actuelle incarnation de Nynaeve, c’était une très jolie personne. Sur le sommet de son crâne reposait une couronne de feuilles de trèfle en or rehaussée de rubis, de perles et d’une pierre de lune plus grosse qu’un œuf d’oie. Sur les épaules, la belle aux cheveux noirs tressés portait une large étole brodée de représentations d’arbres sur toute sa longueur. À part ces deux accessoires, en guise de vêtements, la femme arborait un très fin film de sueur sur sa peau délicate.

Son regard voilé était rivé sur la femme allongée voluptueusement sur un sofa, le dos tourné à Nynaeve. Aussi vaporeuse qu’Egwene un peu plus tôt, cette inconnue petite et mince aux cheveux noirs détachés portait une tenue de soie – chemisier et jupe plissée – qui ne correspondait en rien aux standards locaux de la mode. Sans avoir besoin de le voir, Nynaeve devina que le visage pointu de cette femme – une caractéristique qui lui donnait un faux air de renard – était dominé par de grands yeux bleus. Et même si les liens d’Air qui retenaient la Panarch au montant étaient invisibles pour elle – tant qu’elle ne serait pas furieuse – l’ancienne Sage-Dame n’eut pas besoin de plus d’indices pour conclure qu’elle regardait le dos de Temaile Kinderode.

— … tu apprends tant de choses quand tu utilises tes rêves au lieu de gaspiller ton sommeil…, acheva de dire Temaile avec son accent du Cairhien – encore plus net quand elle parlait en riant. Tu ne t’amuses pas ? Quelle chanson veux-tu que je t’enseigne ? Oui, je sais ! J’ai aimé plus de mille marins. (Elle brandit un index menaçant.) Mais efforce-toi de mémoriser toutes les paroles, Amathera. Tu sais que je n’aimerais pas devoir… Que regardes-tu comme ça ?

Nynaeve s’avisa que la prisonnière – Amathera, la Panarch ? – la regardait. Paresseusement, Temaile commença à tourner la tête.

Nynaeve ferma les yeux.

Le besoin…

Il y eut un nouveau glissement.

Essoufflée comme si elle venait de courir sur dix lieues, Nynaeve s’adossa à une étroite colonne sans même se demander où elle était. Son cœur battait si fort qu’on devait sûrement l’entendre à des lieues à la ronde. Se retrouver dans un nid de vipères ? Eh bien, avec Temaile Kinderode on n’en était pas loin. Selon une autre sœur noire, Amico, Temaile adorait faire souffrir les gens au point que même ses complices la redoutaient. Incapable de canaliser, Nynaeve aurait pu finir attachée à un autre montant du lit d’Amathera.

Une perspective qui lui valut des frissons glacés.

Du calme ! Tu n’es plus dans cette chambre, et même si Temaile t’a vue, elle te prendra pour une Tarabonaise blonde égarée dans le Monde des Rêves.

Le contact, si contact il y avait eu, ne pouvait pas avoir été assez long pour que Temaile ait senti que cette « Tarabonaise » était capable de canaliser le Pouvoir. Car même quand Nynaeve n’avait pas accès au saidar, une Aes Sedai pouvait sentir qu’elle en avait les moyens. Mais il fallait que la rencontre dure un peu. Plus de quelques secondes, en tout cas…

Grâce à un risque calculé, Nynaeve savait désormais qu’Amathera n’était pas l’alliée de Temaile. La méthode indiquée par Amys se révélait déjà payante. Mais il faudrait aller encore plus loin. Après avoir un peu régulé sa respiration, Nynaeve regarda autour d’elle.

De fines colonnes blanches se dressaient sur tout le périmètre d’une grande salle presque aussi large que longue. Attachée à des poteaux de bois sombre poli, une corde de soie blanche délimitait un espace interdit aux visiteurs, s’interrompant uniquement pour ne pas bloquer les issues. Des vitrines et des étagères s’alignaient contre les murs, parfois séparées par des squelettes de bêtes fabuleuses eux aussi protégés par une corde de sécurité. Se rappelant la description d’Elayne, Nynaeve reconnut la salle d’exposition principale du palais. L’arme qu’elle cherchait pouvait tout à fait s’y trouver. Du coup, son prochain pas serait beaucoup moins dangereux que le premier, car il ne pouvait pas y avoir de vipères – ou une Temaile – ici.

Une jolie femme apparut soudain à côté d’une vitrine aux quatre pieds sculptés qui reposait au milieu du sol, pas contre un mur. Ses longs cheveux noirs cascadant sur ses épaules, l’inconnue n’était pas du Tarabon. Mais ce ne fut pas ce détail qui coupa le souffle de Nynaeve.

La robe de l’apparition semblait faite de brume. Parfois argentée et opaque, elle devenait en un clin d’œil grise et assez fine pour dévoiler très clairement le corps de sa propriétaire. D’où qu’elle vienne – ou plutôt, d’où qu’elle se soit projetée en rêve – la beauté brune devait avoir une imagination foisonnante pour s’être dotée d’une telle tenue. Selon toute vraisemblance, les robes provocantes qui faisaient fureur en Arad Doman n’arrivaient pas à la cheville de celle-là en matière d’attentat à la pudeur.

La femme sourit devant la vitrine, puis elle continua son chemin avant de s’arrêter au bout de la salle pour observer quelque chose. Un objet sombre exposé sur un piédestal de pierre blanc, crut voir Nynaeve.

Troublée, elle se força à lâcher ses tresses blondes. L’intruse n’allait pas tarder à disparaître. En règle générale, les rêveurs ne restaient jamais très longtemps dans Tel’aran’rhiod. Et si celle-là avait vu Nynaeve, ça n’avait aucune importance, car elle ne correspondait à aucune sœur noire décrite sur la liste. Pourtant, elle semblait quelque peu…