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Perrin, lui, essayait de ne pas entendre les femmes.

Assise à une autre table, Faile aiguisait ses couteaux, sa pierre à affûter produisant un grincement régulier. Un arc reposait devant elle et un carquois rempli de flèches pendait à sa ceinture. La jeune femme s’était révélée une très bonne archère. La connaissant, Perrin espérait qu’elle ne découvrirait jamais qu’elle utilisait un arc d’enfant. Bien trop têtue pour l’admettre, elle était néanmoins incapable d’armer un arc long de Deux-Rivières.

Après avoir ajusté la position de sa hache pour qu’elle n’appuie pas contre son flanc, Perrin tenta de se focaliser sur le sujet dont il débattait avec les hommes assis autour de la même table que lui. Ses interlocuteurs non plus n’étaient pas tous très concentrés, mais ce n’était pas une raison…

— Les femmes ont des lampes, marmonna Cenn, et nous, on doit faire avec du suif.

Fidèle à sa légende de mauvais coucheur, le vieil homme foudroya du regard le chandelier et ses deux misérables bougies.

— Laisse tomber, Cenn, soupira Tam en sortant sa pipe et sa blague à tabac. Pour une fois, n’en fais pas toute une affaire.

— Si nous devions lire ou écrire, dit Abell d’un ton plutôt impatient, nous aurions aussi des lampes.

Le bandage qui enveloppait la tête du père de Mat ne le disposait probablement pas à l’indulgence.

Sans doute pour rappeler au vieux couvreur qu’il était le bourgmestre, Bran remit bien droit le médaillon qui pendait sur sa poitrine.

— Concentre-toi sur les affaires en cours, Cenn. Je refuse que l’un de vous fasse perdre son temps à Perrin.

— Je pense qu’on devrait avoir des lampes, insista Cenn. Et si je lui faisais perdre son temps, Perrin me le dirait.

Perrin exhala un long soupir. Ses paupières pesaient des tonnes et il aurait donné cher pour que ce soit au tour de quelqu’un d’autre de représenter le Conseil. Haral Luhhan, Jon Thane, Samel Crawe… Bref, tous les candidats possibles, sauf l’insupportable Cenn.

Cela dit, son rêve, hélas irréalisable, aurait été qu’un de ces hommes mûrs se tourne vers lui et déclare :

— Ce sont les affaires du bourgmestre et du Conseil, fiston. File jouer du marteau devant ton enclume, et nous te ferons connaître tes ordres.

Bien loin de là, tous s’inquiétaient de lui faire perdre son temps, ce qui ne les empêchait pas d’en référer à lui pour tout et n’importe quoi. Son temps ? Depuis la première attaque, une semaine plus tôt, combien y en avait-il eues ? Il avait lui-même fini par perdre le compte.

Voir un bandage autour de la tête d’Abell le mettait hors de lui. Mais les Aes Sedai n’intervenaient plus que sur les blessés graves, laissant les autres se débrouiller seuls. Pourtant, il n’y avait pas tant de cas graves que ça. Mais comme Verin l’avait sèchement fait remarquer, même les Aes Sedai avaient des limites. Apparemment, préparer les pierres des catapultes les fatiguait beaucoup.

Dans cette occurrence très particulière, Perrin regrettait que les Aes Sedai aient des limites. Car s’il n’y avait pas beaucoup de blessés graves pour l’instant, ça risquait de ne pas durer.

— Et où en sommes-nous avec les flèches ?

C’était ça, le sujet de la conversation.

— Eh bien, on ne peut pas se plaindre, répondit Tam en allumant sa pipe avec une des bougies. On récupère pratiquement toutes celles qu’on tire, le jour, en tout cas. La nuit, les Trollocs ont tendance à venir chercher leurs morts, sans doute pour alimenter leurs chaudrons. Ces projectiles-là sont donc perdus.

Les autres hommes étaient aussi en train de sortir ou de bourrer leur pipe. Cenn, lui, pleurnichait parce qu’il avait – disait-il – oublié sa blague à tabac. Son crâne chauve luisant à la lumière du chandelier, Bran lui passa la sienne en grommelant.

Perrin se massa le front. Quelle question avait-il eu l’intention de poser ensuite ? Les pieux ! Désormais, la plupart des combats se déroulaient juste devant cette ligne de défense. Combien de fois les monstres y avaient-ils ouvert une brèche ? Trois ? Quatre ?

— Chacun est-il muni d’une lance ou d’une autre arme dotée d’une hampe ? Pouvons-nous en fabriquer d’autres ?

Étonné par le silence qui suivit sa question, Perrin s’avisa que tous ses interlocuteurs le dévisageaient.

— Tu as déjà demandé ça hier, répondit patiemment Abell. Et Haral t’a répondu que toutes les faux et les fourches ont été reconverties en armes. Pour le moment, nous en avons trop.

— Oui, oui… Je me souviens… Mais ça m’était sorti de l’esprit.

Un fragment de phrase, prononcé à la table des femmes, attira l’attention de Perrin.

— … il faudrait en informer les hommes…, venait de dire Marin, comme si elle répétait quelque chose qui était déjà venu dans la conversation.

— Bien sûr que non ! affirma Daise, elle aussi à mi-voix. Si ces idiots découvrent que nous nous rationnons, ils voudront nous imiter, et nous ne pouvons pas les laisser faire…

Perrin ferma les yeux et tenta de ne plus rien entendre. Daise avait raison. Parce qu’ils se battaient, les hommes avaient besoin de reconstituer leurs forces. Les deux Aielles et Faile faisaient exception à cette règle, bien sûr, mais au moins, sa compagne avait le bon sens de rester à l’écart quand on en venait au corps à corps au milieu des pieux. C’était exactement pour ça qu’il lui avait déniché un arc. Cette femme avait un cœur de lionne et plus de courage que deux hommes.

— Tu devrais filer au lit, Perrin, suggéra Bran. Si tu continues à dormir une heure de-ci de-là, tu n’iras pas bien loin…

Perrin se gratta la barbe avec ce qu’il espéra faire passer pour une mâle vigueur.

— Je dormirai plus tard… Quand ce sera fini. Les hommes se reposent-ils assez ? J’en ai vu monter la garde alors qu’ils auraient dû…

La porte principale s’ouvrit soudain pour laisser entrer le très mince Dannil Lewin. Arc au poing, très excité, il portait à la hanche une des épées du tonneau. Quand il avait le temps, Tam assurait la formation des bleus et un des Champions lui donnait parfois un coup de main.

Avant que Dannil ait pu ouvrir la bouche, Daise lui lança :

— As-tu grandi dans une étable, Dannil Lewin ?

— Tu pourrais effectivement manifester plus d’égards à ma porte, renchérit Marin al’Vere.

Une façon, également, de rappeler à Daise qui était chez qui…

— Je m’excuse, maîtresse al’Vere, fit Dannil, la tête rentrée dans les épaules. Et veuillez me pardonner, Sage-Dame. Désolé de cette intrusion, mais j’ai un message pour Perrin. (Comme s’il craignait que les femmes lui mettent encore des bâtons dans les roues, il se précipita vers la table des hommes.) Les Capes Blanches nous ont amené un homme qui veut te parler – à toi et à personne d’autre. Ce type est grièvement blessé, et les Fils l’ont laissé à l’entrée du village. Si on tente de le transporter jusqu’ici, il ne survivra pas…

Perrin se leva.

— Je viens.

Au moins, il ne s’agissait pas d’une attaque. La nuit, c’était encore pire…

Faile prit son arc et rejoignit son compagnon avant qu’il ait atteint la porte. Au pied de l’escalier, dans les ombres, Aram se leva aussi et hésita. Très souvent, Perrin oubliait la présence du Zingaro, tant il se tenait tranquille. Avec sa veste à rayures jaunes et son épée dans le dos, il avait vraiment une drôle d’allure. Sans parler de son visage fermé, très inhabituel chez les membres de son peuple. Depuis le jour où il s’était emparé d’une épée, Raen et Ila ne lui avaient plus adressé la parole. Et Perrin avait eu droit au même traitement.

— Si tu veux venir, bouge-toi ! lança l’ancien apprenti forgeron.