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— Pardon ? La chasse à l’ours ? Le soleil ? De quoi parles-tu ?

— Tu vas y aller tout seul, finalement. Moi, je file au lit.

— Si c’est ce que tu veux…, marmonna Perrin. J’aurais cru que tu étais aussi curieuse que moi de savoir ce qui nous est arrivé.

— Eh bien, tu te trompais… Je ne brûle pas vraiment d’envie de rencontrer le… hum… de rencontrer Rand. Voilà un moment que je l’évite, et j’ai l’intention de continuer. Sans moi, vous aurez une conversation très agréable. Surtout s’il y a du vin sur la table.

— Tu racontes n’importe quoi, marmonna Perrin en se passant une main dans les cheveux. Si tu veux aller te coucher, ne te gêne pas, mais essaie de me tenir des propos compréhensibles.

Faile dévisagea un moment Perrin, puis elle se mordit la lèvre inférieure – pour ne pas éclater de rire, semblait-il.

— Perrin, à certains moments, je crois que c’est ta naïveté que je préfère !

Cette voix chantante était proche d’un rire, nul n’aurait prétendu le contraire.

— Va voir ton… ami, et raconte-moi tout demain matin. Si tu en as envie.

Après lui avoir fait baisser la tête d’une main légère, Faile lui posa un baiser sur les lèvres, puis elle fila à la vitesse du vent.

Perplexe, Perrin la suivit du regard jusqu’à ce qu’elle ait disparu de l’escalier – sans que Torean se soit montré. Parfois, il aurait juré que cette femme ne parlait pas la même langue que lui.

Haussant les épaules, il avança vers la lumière.

L’antichambre était en réalité une vaste pièce circulaire de quelque cinquante pas de diamètre. Éclairé par une centaine de lampes dorées qui pendaient du plafond, le sol en marbre noir veiné d’or semblait d’une seule pièce. Sur toute la circonférence de la salle, des colonnes de pierre rouge semblaient monter la garde, ajoutant à la majesté de ce qui était l’antichambre des appartements royaux, dans les temps reculés où des souverains régnaient sur Tear – avant qu’Artur Aile-de-Faucon ait placé sous sa seule autorité toutes les terres qui s’étendaient entre la Colonne Vertébrale du Monde et l’océan d’Aryth. Après la chute de son empire, Tear n’avait pas retrouvé ses rois, et leurs appartements, depuis mille ans, étaient le domaine réservé des souris et de la poussière. Au fil des siècles, aucun Haut Seigneur n’était jamais devenu assez puissant pour prétendre se les approprier.

Au milieu de la salle, cinquante Défenseurs se tenaient en cercle, impeccables dans leur plastron tout aussi brillant que leur casque. Leurs lances formant une haie d’où pas une pointe ne dépassait d’un pouce, ils pouvaient faire face à des attaques venant de toutes les directions – la configuration requise, s’ils prétendaient protéger de n’importe quel attaquant l’actuel seigneur de la Pierre.

Le chef de ces hommes, un capitaine identifiable aux deux courtes plumes blanches qui ornaient son casque, affichait quasiment la même raideur militaire qu’eux. Une main sur le pommeau de son épée et l’autre sur sa hanche, il se rengorgeait de son importance.

Une odeur de peur et de doute montait de ces soldats. On eût dit des hommes qui vivaient sous une falaise effritée et qui étaient presque parvenus à se convaincre qu’elle ne s’écroulerait pas. Du moins pas tout de suite. Enfin, peut-être…

Perrin approcha, ses bottes claquant sur le marbre. Tournant la tête vers le nouveau venu, l’officier hésita quand il vit que ce dernier ne semblait pas vouloir s’arrêter pour subir l’interrogatoire de rigueur. Comme tout le monde à Tear, il connaissait Perrin, bien entendu. Un colosse qui voyageait avec une Aes Sedai et avait pour ami le seigneur Dragon. Pas le genre d’homme qu’un capitaine des Défenseurs pouvait importuner.

Surtout dans les circonstances présentes. S’il était apparemment chargé de veiller sur le seigneur Dragon, l’officier savait très bien, même s’il faisait semblant du contraire, que ses hommes et lui étaient simplement là pour « en jeter » avec leur plastron brillant et leurs armes étincelantes. Les véritables gardes du corps du seigneur Dragon se tenaient devant sa porte, et Perrin se dirigeait vers eux.

Vers elles, plutôt. Car il s’agissait de femmes. Six Promises de la Lance, des Aielles qui avaient choisi une vie de guerrières et non la quiétude d’un foyer. Vêtues de gris et d’ocre – afin de passer inaperçues dans leur terrible désert –, elles se levèrent à l’approche de Perrin et s’interposèrent entre la porte et lui – le tout dans un silence parfait, car les semelles de leurs bottes souples montantes ne produisaient aucun bruit sur le marbre.

Pour des femmes, toutes étaient de haute taille, la plus grande faisant à peine une demi-tête de moins que Rand. La peau tannée par le soleil, leurs cheveux courts allant du blond au roux, les Promises étaient lourdement armées. Alors que deux d’entre elles brandissaient un arc avec une flèche encochée, les quatre autres étaient munies d’une rondache recouverte de peau, pour la défense, et de trois voire quatre courtes lances. Courtes, certes, mais avec des fers assez longs pour traverser de part en part le poitrail d’un homme.

— Je crains de ne pas pouvoir te laisser entrer, dit une Aielle aux cheveux couleur de flammes.

Désirant adoucir ses propos, elle eut l’ombre d’un sourire. En règle générale, les Aiels souriaient bien moins souvent que les autres peuples. Et ils affichaient rarement leurs émotions, quelles que soient les circonstances.

— J’ai peur qu’il n’ait pas envie de voir des gens, ajouta Bain.

— Je vais pourtant entrer, Bain, dit Perrin.

Sans se soucier des lances de la jeune femme, il la prit par le bras. À partir de là, il ne put plus mépriser les armes, car Bain, la Lumière seule savait comment, parvint à lui plaquer sur la gorge une pointe redoutablement acérée. Histoire de ne rien laisser au hasard, une femme aux cheveux plus clairs nommée Chiad ajouta juste à côté la pointe de sa propre lance. Une simple pression simultanée, et les deux fers se rejoindraient dans la trachée-artère du jeune homme.

Certaines que leurs compagnes contrôlaient la situation, les autres Promises n’intervinrent pas.

— Je n’ai pas le temps de discuter, fit Perrin sans se démonter. De toute façon, vous n’écoutez pas les gens qui ne sont pas d’accord avec vous. Et maintenant, je vais entrer !

Très délicatement, Perrin écarta Bain de son chemin.

Alors que Chiad n’attendait qu’un signe pour transpercer la gorge de Perrin, sa compagne éloigna sa lance du cou du jeune homme et sourit avec un peu plus de conviction.

— Aimerais-tu apprendre un jeu nommé le Baiser des Promises, Perrin ? Tu y excellerais, je crois. Au minimum, ça te mettrait un peu de plomb dans la tête…

Une des guerrières eut un rire de gorge et Chiad éloigna son arme du cou de Perrin.

Espérant que les Aielles ne remarqueraient pas que c’était la première fois depuis le début de l’incident, le jeune homme prit une profonde inspiration. Leur shoufa autour du cou comme un foulard, les six guerrières ne s’étaient pas voilées. Mais rien ne disait qu’elles devaient le faire pour tuer – même si ça signalait qu’elles y étaient disposées.

— Une autre fois peut-être, pour le jeu…, déclina poliment Perrin.

Les cinq Aielles souriaient comme si Bain venait de dire quelque chose d’autant plus amusant que son interlocuteur n’y avait strictement rien compris.

Thom avait raison : à quelque nation qu’elles appartiennent, et en quelque circonstance que ce soit, un homme qui tentait de comprendre les femmes risquait d’y perdre la raison.

Alors que Perrin saisissait la poignée de la porte – un lion d’or rampant, rien que ça ! –, Bain ajouta :

— À tes risques et périls… Rand al’Thor a déjà éjecté quelqu’un que beaucoup d’hommes tiendraient pour une compagnie mille fois plus agréable que la tienne.