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— Je n’ai pas pu m’empêcher d’entendre, Faile… Si tu vas à Caemlyn, peux-tu emporter mes notes avec toi ? Histoire qu’elles soient en sécurité en attendant que je les récupère ? (Presque tendrement, Loial rectifia la position du carnet.) À Caemlyn, ils font de très jolis livres… Perrin, excuse-moi de t’avoir interrompu. (S’il parlait au jeune homme, l’Ogier continuait à regarder Faile.) Cette femme est faite pour toi. Tu devrais voler librement, mon ami, comme un faucon. Et elle aussi.

Après avoir tapoté l’épaule de Perrin, Loial gagna sa paillasse et s’étendit face contre le mur.

— Il est très fatigué, dit Perrin, comme si ce n’était pas très important.

Cet ahuri d’Ogier risquait de tout faire rater !

— Si tu pars ce soir, tu seras à Colline de la Garde aux environs de l’aube. Il faudra que tu bifurques un peu vers l’est, où il y a moins de Trollocs… C’est très important pour moi. Enfin, pour Champ d’Emond. Tu acceptes la mission ?

Faile regarda Perrin en silence – si longtemps, qu’il se demanda si elle allait lui répondre. Les yeux bizarrement brillants, elle se leva, s’assit sur les genoux du jeune homme et lui caressa la barbe.

— Il faudrait la tailler un peu… J’aime beaucoup, mais je ne voudrais pas qu’elle te tombe sur la poitrine.

Perrin en resta bouche bée. Faile utilisait souvent cette tactique – changer abruptement de sujet –, mais quand elle était menacée d’avoir tort lors d’une dispute.

— Faile, j’ai vraiment besoin que tu délivres ce message.

Les doigts de Faile se refermèrent sur la barbe du jeune homme et elle secoua la tête comme si elle était en proie à un rude conflit intérieur.

— J’irai, mais mon départ a un prix… Avec toi, je dois toujours en passer par des difficultés. Au Saldaea, ce ne serait pas à moi de demander… Mon prix est un… un mariage. Je veux t’épouser.

— Moi aussi, je veux t’épouser, répondit Perrin. Ce soir, nous pourrons prononcer nos vœux devant le Cercle des Femmes, mais pour le mariage, il faudra attendre un an… Quand tu reviendras de Caemlyn…

Faile tira sur la barbe de Perrin presque assez fort pour en arracher une touffe.

— Je veux t’épouser ce soir. Sinon, pas de départ !

— Si c’était possible, je le ferais, mais Daise Congar me fracassera le crâne si je viole nos coutumes. Pour l’amour de la Lumière, Faile, accepte la mission et je t’épouserai dès le premier jour où ce sera possible.

Ce n’était pas un mensonge. S’il vivait jusque-là.

Soudain très concentrée sur la barbe du jeune homme, Faile commença à parler lentement, mais son débit s’accéléra à mesure que son discours se compliquait.

— Eh bien… j’ai mentionné en passant… oui, tout à fait en passant… à maîtresse al’Vere, en fait, que nous voyagions ensemble depuis pas mal de temps. Je ne sais pas comment c’est venu dans la conversation, mais elle a affirmé, avec le soutien de maîtresse Congar – surtout, ne va pas croire que j’en aie parlé à tout le monde ! – elle a affirmé, donc, que nous pouvions probablement – enfin, plutôt sûrement – considérer que nous sommes, eh bien selon vos coutumes, en quelque sorte fiancés. L’année de délai permet de s’assurer que les gens vont bien ensemble, ce qui est notre cas, comme tout le monde peut le voir – et là, je suis aussi effrontée qu’une de ces mangeuses d’hommes de l’Arad Doman ou une de ces chipies de Tear, mais gare à toi si tu oses seulement penser à Berelain – et… Mais je bavarde, je bavarde, et tu…

Perrin interrompit sa compagne en l’embrassant avec toute la passion et la… compétence… dont il était capable.

— Tu veux bien m’épouser ? demanda-t-il, un peu essoufflé, quand il eut fini. Ce soir ?

Sans trop savoir s’il s’était montré le plus performant en matière de passion ou de compétence, Perrin supposa qu’il avait été plutôt bon, puisque Faile l’incita à répéter six fois sa demande en mariage, comme si elle était trop remuée pour comprendre ce qu’il disait.

Moins d’une demi-heure plus tard, Perrin se retrouva agenouillé en face de la jeune femme, sous le regard de Daise Congar, Marin al’Vere, Alsbet Luhhan, Neysa Ayellin et toutes les autres femmes du Cercle. Réveillé manu militari, Loial avait été bombardé témoin du marié, tout comme le brave Aram, tandis que Bain et Chiad joueraient ce rôle pour Faile.

En l’absence de fleurs, il fut impossible d’en orner les cheveux des futurs époux, mais Bain, sous la supervision de Marin, noua un long ruban rouge d’époux autour du cou de Perrin pendant que Loial, avec une adresse et une délicatesse surprenantes, en enroulait un autre autour de la chevelure noire de Faile.

Les mains tremblantes, Perrin prit celles de Faile.

— Moi, Perrin Aybara, je fais le serment de t’aimer, Faile Bashere, jusqu’à la fin de mes jours.

Jusqu’à la fin de mes jours, oui, et même après…

— Tout ce que je possède en ce monde est désormais à toi.

Un cheval, une hache et un arc. Mais j’oubliais le marteau ! Peu de choses à offrir, n’est-ce pas ? Alors, je t’offre la vie, mon amour. C’est tout ce que j’ai…

Je te chérirai, te soutiendrai, te porterai assistance, te protégerai et t’offrirai un foyer chaque jour de mon existence.

Hélas, je ne peux pas te garder avec moi. Le seul moyen de te protéger, c’est de t’éloigner de moi…

— Je suis à toi, aujourd’hui et pour toujours.

Faile retira ses mains afin de prendre à son tour celles de Perrin.

— Moi, Zarine Bashere… je…

Quelle surprise ! Elle haïssait ce prénom !

— Je fais le serment de t’aimer, Perrin Aybara…

Durant toute la déclamation rituelle, les mains de Faile ne tremblèrent pas une seconde.

54

Dans le palais

Assise à l’arrière d’une charrette à grandes roues tirée par quatre hommes au visage lustré de sueur, Elayne bouillait de colère sous le voile qui lui couvrait le visage des yeux jusqu’au menton. Ses pieds nus battant dans le vide au rythme de son agacement, elle tremblait du bout des orteils jusqu’au sommet du crâne chaque fois que le véhicule tressautait sur les pavés irréguliers d’une des rues sinueuses de Tanchico. Avec ce genre de cahots, plus on essayait de se tenir à quelque chose, et moins bien on encaissait les chocs, mais la Fille-Héritière ne pouvait pas s’empêcher de s’accrocher de toutes ses forces au berceau de la charrette.

Alors qu’elle subissait les mêmes inconvénients qu’Elayne, Nynaeve semblait parfaitement sereine… et concentrée sur de puissantes pensées. Coincée entre l’ancienne Sage-Dame et le montant latéral du véhicule, Egeanin rebondissait stoïquement au gré des irrégularités de la rue. Ses cheveux noirs tressés, elle aussi affublée d’un voile, la Seanchanienne gardait les bras croisés, comme pour défier les lois très remuantes de la physique. Au bout d’un moment, Elayne résolut de l’imiter. Si elle ne parvint pas à la même stabilité, continuant à basculer en direction de Nynaeve, l’expérience cessa d’être une torture et elle n’eut bientôt plus l’impression que ses dents du bas allaient finir par traverser celles du haut.

Même pieds nus, Elayne aurait été ravie de marcher, mais Bayle Domon s’y était catégoriquement opposé. Les passants se seraient demandé pourquoi une femme marchait à côté d’une charrette où il restait de la place, et le premier mot d’ordre de cette mission était de passer inaperçu. Bien entendu, le contrebandier n’était pas secoué comme un sac de patates. Avec la vingtaine de marins réquisitionnés pour tenir lieu d’escorte, le petit malin ouvrait le chemin à la maudite charrette.

Vingt gardes du corps constituaient selon lui un maximum. Au-delà, cela aurait éveillé les soupçons. S’il n’avait pas dû protéger trois femmes, Domon aurait sans doute opté pour une garde encore plus réduite.