» Sous son joug, j’ai dû apprendre des danses lascives et des chansons obscènes. En ricanant, elle me répète sans cesse qu’avant de partir, elle me forcera à danser et à chanter pour divertir le…
N’y tenant plus, Amathera bondit en criant de rage, sauta par-dessus le sofa, atterrit sur le dos de la sœur noire et commença à la bourrer de coups de poing.
Les bras croisés, Egeanin semblait décidée à laisser la juste punition suivre son cours, mais Elayne tissa des liens d’Air autour du torse de la Panarch. Puis, à sa grande surprise, elle parvint à la faire léviter, l’éloignant de sa victime. Les leçons de Jorin sur les tissages « lourds » semblaient avoir porté leurs fruits.
Amathera voulut décocher un coup de pied à Temaile. Après avoir raté son coup, elle foudroya du regard ses deux bienfaitrices.
— Je suis la Panarch du Tarabon, et j’entends châtier sur-le-champ cette femme !
Elayne n’aima pas beaucoup la moue boudeuse d’Amathera. Cette femme n’avait-elle donc aucune conscience de sa valeur ? de sa position ? Enfin, elle était l’égale d’un roi !
— Moi, fit froidement Elayne, je suis l’Aes Sedai qui est venue à ton secours.
S’avisant qu’elle tenait toujours le plateau, la Fille-Héritière s’empressa de le poser sur le sol. La robe blanche de domestique perturbait suffisamment son interlocutrice pour qu’il soit inutile d’en rajouter.
En tout cas, Temaile avait le visage tout rouge, et à son réveil, elle sentirait passer sa douleur. Sûrement pas autant qu’elle méritait, cependant. Si seulement il avait été possible de l’emmener… Oui, traduire au moins une de ces femmes devant la justice de la tour.
— Sans songer aux risques, nous sommes ici pour te sortir de ta prison. Une fois libre, tu pourras parler au seigneur capitaine de ta Légion, puis demander son aide à Andric. Si son armée se joint à tes hommes, chasser ces femmes du palais ne sera pas difficile. Avec un peu de chance, nous en capturerons quelques-unes et nous les ferons juger par la Tour Blanche. Mais pour commencer, il faut sortir d’ici !
— Je n’ai pas besoin d’Andric, maugréa Amathera.
Elayne aurait juré l’avoir entendue ajouter « pour l’instant »…
— Non, pas besoin… Les hommes de ma Légion sont autour du palais. Je le sais. Jusque-là, on m’a interdit de leur parler, mais lorsqu’ils me verront et qu’ils entendront ma voix, ils m’obéiront, n’est-ce pas ? Et les Aes Sedai peuvent utiliser le Pouvoir pour blesser… (Amathera ne finit pas sa phrase, mais elle baissa les yeux sur Temaile.) Vous pouvez vous en servir comme d’une arme, pas vrai ? Ça aussi, je le sais…
Peu habituée à se montrer si malicieuse, Elayne se surprit à tisser deux petits flux d’Air qui vinrent s’enrouler autour des deux tresses d’Amathera puis les soulevèrent – assez pour que la dinde boudeuse soit obligée de se tenir sur la pointe des pieds. La Fille-Héritière força la Panarch à se déplacer ainsi jusqu’à ce qu’elle soit en face d’elle, les yeux brillant d’outrage.
— Écoute-moi bien, Panarch Amathera du Tarabon ! Si tu essaies de sortir pour voir tes soldats, les complices de Temaile pourraient très bien te fourrer dans un grand sac afin de te restituer à elle. Ça ne me gênerait pas vraiment, mais les sœurs noires sauraient que mes amies et moi sommes ici, et ça, c’est hors de question. Nous allons nous faufiler dehors, sans faire de vagues, et si ce programme ne te convient pas, c’est moi qui te ligoterai et te bâillonnerai à côté de Temaile, afin que ses complices ne manquent pas de te trouver. Tu m’as bien comprise ?
Amathera hocha la tête – non sans difficulté, dans sa position ridicule. Près de la porte, Egeanin eut un grognement approbateur.
Regrettant toujours qu’il n’y ait pas un moyen de capturer Temaile, Elayne libéra les tresses de la Panarch, dont les pieds reposèrent de nouveau bien à plat sur le tapis.
— Maintenant, voyons si nous pouvons te trouver une tenue plus adaptée à une sortie furtive…
Amathera ne dit rien, mais bouda de plus belle. D’une nature généreuse, Elayne espéra que Nynaeve passait un moment plus agréable.
Dès qu’elle entra dans la salle d’exposition principale aux multiples colonnes, Nynaeve commença à jouer du plumeau. Une telle collection devait avoir en permanence besoin qu’on fasse la poussière, donc personne ne s’intéresserait au manège d’une femme de ménage. Regardant autour d’elle, Nynaeve contempla un moment un squelette reconstitué qui évoquait vaguement un cheval géant dont le cou aurait mesuré dans les vingt pieds de long. La salle immense était déserte, où que l’ancienne Sage-Dame ait la curiosité de regarder.
Mais ça pouvait changer très vite. Par exemple, si de vraies femmes de ménage déboulaient, ou si Liandrin et ses complices venaient soudain continuer leurs recherches. Le plumeau toujours brandi, juste au cas où, Nynaeve se hâta de gagner le piédestal de pierre blanche où reposaient le collier et les deux bracelets noirs. Lorsqu’elle soupira de soulagement – parce que les bijoux étaient toujours là – elle s’avisa qu’elle avait retenu son souffle durant tout le trajet. La vitrine qui contenait le sceau en pierre-cœur se trouvait à une cinquantaine de pas de là, mais chaque chose en son temps…
Enjambant la corde blanche de sécurité, Nynaeve posa les doigts sur le grand collier articulé.
Souffrance ! Douleur ! Agonie !
Frappée de plein fouet par cette tempête émotionnelle, Nynaeve crut qu’elle allait éclater en sanglots. Quel genre d’objet pouvait absorber tant de souffrance ? Retirant sa main, l’ancienne Sage-Dame foudroya les bijoux du regard. Des artefacts conçus pour contrôler un homme capable de canaliser le Pouvoir ! Liandrin et ses sœurs noires entendaient s’en servir pour plier Rand à leur volonté, le transformer en un Suppôt des Ténèbres et le forcer à servir le Père des Mensonges. Un garçon de son village sous le joug d’Aes Sedai ! Des sœurs noires, certes, mais tout autant des Aes Sedai que Moiraine avec ses maudites machinations.
Et en plus de ça, cette Seanchanienne qui s’est moquée de moi !
Frappée par cette pensée incongrue, à ce moment précis, Nynaeve comprit qu’elle tentait de se mettre en colère, histoire de pouvoir s’ouvrir à la Source Authentique. Quelques secondes plus tard, elle s’unit au saidar et le Pouvoir déferla en elle.
Juste au moment où une domestique vêtue de la même livrée qu’elle entrait dans la salle.
Malgré son impatience de canaliser le Pouvoir, Nynaeve se contint et fit mine d’épousseter le collier et les bracelets.
La domestique marchait tête baissée. Dès qu’elle serait sortie, l’ancienne Sage-Dame pourrait… Quoi ? Glisser les bijoux dans sa bourse et filer ? Mais…
Dès qu’elle sera sortie ? Pourquoi suis-je convaincue qu’elle ne restera pas pour faire le ménage ?
Nynaeve coula un regard à la domestique. La réponse était simple : la femme n’avait ni balai ni serpillière – pas l’ombre d’un plumeau non plus, et même pas un chiffon.
Quoi qu’elle vienne faire, ce n’est pas…
Soudain, Nynaeve put voir clairement le visage de la femme. Une beauté robuste, deux longues tresses noires, un sourire presque amical – mais des yeux qui semblaient à peine la voir. Rien de menaçant, en tout cas. Sauf que Nynaeve connaissait un visage très proche de celui-là…
D’instinct, elle propulsa un flux d’Air – poing d’Air aurait été plus précis – sur ce visage, avec la ferme intention de l’écraser. En un clin d’œil, l’aura du saidar enveloppa la fausse domestique et ses traits changèrent. Une version plus empreinte de noblesse et de fierté…