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— Pourquoi jouez-vous les servantes ? demanda Moiraine.

— Parce que celle qui est ici a refusé d’entrer, répondit Chiad.

Rand eut un rire amer.

— Même les domestiques en savent assez pour ne pas vouloir me fréquenter. Posez ça quelque part…

— Rand, il ne te reste pas beaucoup de temps… Ici, les gens commencent à s’habituer à toi, pourrait-on dire, et ils redoutent beaucoup moins ce qui leur est familier. Leur grande peur, c’est l’inconnu ! Combien de semaines, ou de jours, avant que quelqu’un tente de te planter une flèche dans le dos ou d’empoisonner ta nourriture ? Combien de temps avant qu’un Rejeté attaque ? Ou qu’une autre bulle dérive dans la Trame ?

— N’essayez pas de m’impressionner, Moiraine !

Couvert de sang, à moitié nu et appuyé à Callandor pour ne pas tomber, Rand parvint quand même à parler avec une sereine autorité :

— Je ne fuirai pas non plus à cause de vous !

— Ne tarde pas trop à choisir ton destin, en tout cas. Et tiens-moi informée de ce que tu entends faire, pour changer un peu. Mon savoir ne te sera d’aucune utilité si tu refuses mon aide.

— Votre aide ? Je l’accepterai, mais c’est moi qui décide, pas vous.

Rand regarda Perrin comme s’il essayait de lui dire muettement quelque chose que les autres ne devaient pas entendre.

L’apprenti forgeron ne comprit pas de quoi il s’agissait. Rand finit par renoncer à se faire comprendre.

— J’ai besoin de sommeil, soupira-t-il. Si vous vouliez bien sortir, tous autant que vous êtes. Nous parlerons demain.

Rand regarda Perrin, lui faisant deviner qu’il n’était pas visé par son agacement.

Moiraine approcha des deux Aielles, qui se penchèrent afin qu’elle puisse leur parler à l’oreille. N’entendant que de vagues murmures, Perrin se demanda si l’Aes Sedai, sachant qu’il avait une ouïe exceptionnelle, utilisait le Pouvoir pour l’empêcher de comprendre. Il n’eut plus aucun doute quand Bain répondit, car il ne distingua pas un mot non plus.

Mais l’Aes Sedai ne s’en était pas prise à son odorat. Les yeux rivés sur Rand, les Aielles dégageaient une forte odeur de méfiance. Pas de peur, mais bien de méfiance, comme si le Dragon était un énorme animal qu’il fallait approcher très prudemment.

Moiraine se tourna soudain vers Rand.

— D’accord, nous parlerons demain, dit-elle. Tu peux rester perché sur ton coffre comme une perdrix qui attend le chasseur, si ça t’amuse.

Lan regarda Rand et sembla sur le point de dire quelque chose. Mais il finit par suivre son Aes Sedai en silence.

— Rand ? souffla Perrin.

— Nous faisons ce qui s’impose, répondit le jeune homme, les yeux toujours baissés sur Callandor. Oui, c’est ce que nous faisons…

Perrin sentit de la peur émaner de son ami. Acquiesçant, il suivit Rhuarc et sortit avec lui de la pièce.

Moiraine et Lan n’étaient déjà plus en vue. L’officier au plumet regardait la porte à dix pas de distance, comme s’il avait décidé de cette stratégie sans que les quatre Aielles qui le foudroyaient du regard y soient pour quelque chose.

Les deux autres Promises étaient restées avec Rand, s’avisa Perrin. Et il entendait des voix monter de la pièce.

— Posez ça quelque part, répéta Rand. Et laissez-moi seul.

— Si vous pouvez vous levez, dit Chiad d’un ton moqueur. Levez-vous, et nous partirons !

Perrin entendit un bruit d’eau qu’on versait dans une cuvette.

— Nous avons l’habitude des soins aux blessés, dit Bain, apaisante. Et quand ils étaient petits, je faisais la toilette de mes frères…

Rhuarc ferma la lourde porte, et Perrin n’entendit plus rien.

— Vous ne traitez pas Rand de la même façon que les gens de Tear, dit-il. Ils lui font des courbettes et se prosternent. Sauf erreur, je n’ai jamais entendu l’un de vous l’appeler « seigneur Dragon ».

— Le Dragon Réincarné est une prophétie des terres mouillées, dit Rhuarc. Pour nous, il est Celui qui Vient avec l’Aube.

— C’est la même chose, je crois ? Sinon, que feriez-vous ici ? Rhuarc, les Aiels sont le Peuple du Dragon, comme le disent les prophéties. Vous l’avez d’ailleurs implicitement reconnu, même si vous refusez de le dire à voix haute.

Rhuarc ignora la provocation.

— Dans vos prophéties, la chute de la Pierre de Tear et la conquête de Callandor annoncent la réincarnation du Dragon. Nos prédictions disent simplement que la Pierre devra tomber pour que Celui qui Vient avec l’Aube apparaisse pour nous rendre ce qui était à nous. Il peut s’agir du même homme, mais je doute que même nos Matriarches en soient certaines. Si Rand est cet homme, il doit accomplir certaines choses pour le prouver.

— Lesquelles ?

— S’il est cet homme, il le saura et les accomplira. S’il n’est pas cet homme, nous continuerons à chercher.

Quelque chose dans le ton de l’Aiel titilla désagréablement les oreilles de Perrin.

— Et dans ce cas, que se passera-t-il d’autre ?

— Dors bien et dans la paix, Perrin, dit Rhuarc en s’éloignant, ses bottes silencieuses sur le sol de marbre.

Le capitaine au plumet, qui empestait toujours la peur, continuait à regarder les Aielles. Malgré ses efforts, la colère et la haine transparaissaient sur son visage.

Si les Aiels décidaient que Rand n’était pas Celui qui Vient avec l’Aube…

Imaginant la Pierre abandonnée par les Aiels, Perrin regarda de nouveau le soldat et frissonna. Il fallait absolument que Faile quitte cet endroit. Il n’y avait pas d’autre possibilité. Elle devait décider de partir – sans lui.

4

Tirer les ficelles

Afin que l’encre sèche plus vite, Thom Merrilin versa du sable sur les mots qu’il venait d’écrire. Puis il remit délicatement le sable dans son flacon et referma le couvercle. Fouillant dans les piles de documents qui encombraient la table – au milieu de tout ça, les six chandelles de suif représentaient un véritable risque d’incendie, mais la lumière était indispensable –, il en sortit une feuille de parchemin froissée sur laquelle on avait griffonné quelques mots. Très soigneusement, il les compara avec ce qu’il venait d’écrire, puis se lissa la moustache – un signe de satisfaction – et autorisa un sourire à rider un peu plus son visage. Le Haut Seigneur Carleon lui-même aurait juré que ces deux phrases étaient de sa main.

« Méfie-toi. Ton mari a des doutes. »

Ces quelques mots, et pas de signature… Maintenant, Thom devait s’arranger pour que le Haut Seigneur Tedosian découvre ce message à un endroit où sa femme, étourdie, aurait raisonnablement pu le laisser…

Entendant frapper à sa porte, le trouvère sursauta. À cette heure de la nuit, il ne recevait pas de visiteur, d’habitude.

— Une minute ! lança-t-il en fourrant ses plumes, son encrier et quelques feuilles « sensibles » dans un nécessaire à écrire fatigué.

— Juste le temps d’enfiler une chemise.

Le nécessaire refermé, Thom le rangea sous la table, où il ne risquait pas trop d’attirer l’attention. Puis il balaya du regard la minuscule pièce sans fenêtres pour s’assurer qu’il n’avait rien laissé de compromettant en vue. Des cerceaux et des balles de jongleurs recouvraient littéralement son lit. Sur l’unique étagère, d’autres balles voisinaient avec son rasoir et son blaireau, des baguettes à étincelles et divers objets bien utiles pour entretenir la dextérité. Sa cape de trouvère multicolore pendait à une patère, au milieu de ses vêtements de rechange et des étuis de cuir de ses deux instruments chéris, une harpe et une flûte. Un foulard de femme rouge en soie très fine était noué autour de la sangle du plus gros étui. Un souvenir, certes, mais de qui ?