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— Il est désespéré, fit Nynaeve d’un ton compatissant qui visait Rand, mais sûrement pas l’Aes Sedai. Désespéré et en train de chercher sa voie.

— En matière de désespoir, je n’ai rien à lui envier, dit Moiraine. J’ai passé ma vie à le chercher et je ne le laisserai pas échouer, si je peux l’en empêcher. Je suis presque assez désespérée pour… (Elle se mordit la lèvre inférieure.) Disons simplement que je suis prête à faire tout ce qu’il faut.

— Mais ça ne suffit pas, souligna Egwene. Alors, qu’envisagez-vous de plus ?

— Vous avez d’autres centres d’intérêt, tenta d’éluder l’Aes Sedai. L’Ajah Noir…

— Non ! cria Elayne avec toute l’autorité (et la fureur, à voir ses phalanges blanchir tant elle serrait fort le devant de sa robe) d’une future reine. Non, non et non ! Vous gardez beaucoup de secrets, Moiraine, mais celui-là, il faut le partager avec nous. Qu’avez-vous l’intention de faire à Rand ?

En imagination, la Fille-Héritière se vit en train de secouer Moiraine comme un prunier pour lui arracher la vérité.

— Lui faire ? Rien du tout ! Mais puisque tu insistes… Au fond, il n’y a aucune raison que vous ne sachiez pas, toutes les trois. Vous avez vu ce qu’on appelle le Grand Trésor ?

Assez bizarrement, pour un peuple qui se méfiait du Pouvoir de l’Unique, les gens de Tear conservaient dans la Pierre une collection d’artefacts à peine moins fabuleuse que celle de la Tour Blanche. Selon Elayne, c’était parce qu’ils avaient été obligés de garder Callandor pendant des siècles. Au milieu d’autres merveilles, la fantastique épée avait une petite chance de passer inaperçue – ou au moins, presque inaperçue. Mais le Grand Trésor, tout aussi bizarrement, n’avait jamais été exposé, croupissant au sous-sol dans une succession de salles poussiéreuses et remplies à craquer. Lors de sa première visite, la Fille-Héritière avait constaté que les verrous, toujours fermés, n’étaient plus que des amas de rouille – quand il restait une porte, car beaucoup étaient tombées en poussière.

— Nous avons passé toute une journée dans ces catacombes, dit Nynaeve, pour voir si Liandrin et ses complices avaient pris quelque chose. Je dirais que non, mais tout est recouvert de poussière et de moisissure… Il faudrait dix bateaux pour transporter tout ça à la tour. Les sœurs pourraient peut-être identifier et classer ces objets. Moi, ça me dépasse…

La tentation de lancer une pique à Moiraine étant trop forte, elle ajouta :

— Tu saurais déjà tout ça, si tu nous avais accordé un peu de temps.

L’Aes Sedai ne réagit pas. Plongée dans ses pensées, elle murmura quelques mots, se parlant tout haut.

— Il y a un ter’angreal très spécial dans cette collection… Un portique distordu en pierre rouge… Si je ne parviens pas à faire bouger Rand, je devrai peut-être franchir ce seuil mystérieux…

À voir trembler légèrement la pierre bleue, sur le front de Moiraine, on devinait qu’elle ne brûlait pas d’envie de vivre cette expérience.

Entendant mentionner un ter’angreal, Egwene toucha d’instinct le corsage de sa robe. Dans une petite poche qu’elle avait cousue elle-même se nichait un anneau de pierre. Un ter’angreal très puissant, bien que petit… Elayne comprise, trois femmes seulement savaient qu’elle le détenait, et Moiraine ne faisait pas partie du lot.

Comme les angreal et les sa’angreal, les ter’angreal étaient des vestiges de l’Âge des Légendes. Moins rares que les autres artefacts, ils utilisaient le Pouvoir au lieu de l’amplifier. Chacun était conçu pour remplir une seule et unique fonction – apparemment en tout cas – mais nul n’aurait su dire si c’était celle qu’ils avaient (pour certains) aujourd’hui.

Le Bâton des Serments, par exemple, servait à lier une Aes Sedai aux Trois Serments qu’elle prononçait le jour où elle recevait le châle. Et la dernière épreuve d’une novice, avant d’accéder au statut d’Acceptée, consistait à entrer dans un ter’angreal qui la confrontait à ses terreurs les plus intimes, les faisant paraître réelles. Ou qui la transportait dans un lieu où ces horreurs existaient bel et bien. Avec les ter’angreal on ne pouvait jamais savoir. En les étudiant ou en les utilisant, des sœurs avaient été carbonisées ou tuées – quand elles ne s’étaient pas simplement volatilisées.

— J’ai vu ce « portique distordu », dit Elayne. Dans la dernière salle, tout au fond du couloir. Ma lampe s’est éteinte, et je me suis étalée trois fois avant de retrouver la sortie. (La jeune femme rosit d’embarras.) Dans un tel endroit, je n’ai pas voulu canaliser, même pour simplement rallumer ma lampe. À vrai dire, tous ces objets me faisaient penser à des détritus, comme si on avait entassé là tout ce qui se rapportait de près ou de loin au Pouvoir, mais je craignais quand même d’activer un artefact encore en état de marche et de déclencher une catastrophe.

— Et en t’étalant, comme tu dis, si tu avais accidentellement franchi ce portique ? lâcha Moiraine. Pour l’activer, il suffit de le franchir, inutile de canaliser.

— Et à quoi sert-il ? demanda Nynaeve.

— À obtenir des réponses. Trois, toutes exactes, sur le passé, le présent et l’avenir.

Elayne pensa aussitôt au conte pour enfants intitulé Bili sous la colline, mais uniquement à cause des trois réponses. En revanche, elle eut une autre idée, bien plus pratique, et ne fut apparemment pas la seule, car Nynaeve et Egwene ouvrirent la bouche au moment où elle lançait :

— Moiraine, c’est la solution de notre problème ! Nous pouvons demander si Joiya et Amico ont menti, où sont Liandrin et les autres, et quelles sœurs noires vont rester à la tour.

— Ou demander pourquoi cet objet, à Tanchico, est si dangereux pour Rand, dit Egwene.

— Pourquoi ne nous as-tu pas parlé plus tôt de ce portique ? s’indigna Nynaeve. Ça nous aurait épargné des heures et des heures à écouter les mêmes histoires.

L’Aes Sedai eut une moue accablée, puis elle écarta les mains.

— Trois inconscientes qui se jettent tête la première dans un endroit où Lan et cent autres Champions hésiteraient à mettre un pied ! Pourquoi n’ai-je pas franchi ce seuil, selon vous ? J’aurais pu demander ce que doit faire Rand pour survivre et triompher, découvrir la méthode infaillible pour vaincre les Rejetés et le Ténébreux et apprendre comment le garçon peut contrôler son don – et esquiver la folie assez longtemps pour accomplir sa mission.

Moiraine se tut, les poings plaqués sur les hanches, attendant des réactions qui ne vinrent jamais.

— Il y a des règles, reprit-elle, et des risques. On ne peut franchir ce portique qu’une fois. Une personne doit poser les trois questions et entendre les réponses avant de pouvoir sortir sans espoir de retour. Apparemment, les questions « frivoles » sont durement punies. Mais ce qui peut sembler sérieux venant d’une personne risque de paraître dérisoire venant d’une autre. Enfin, et c’est le plus important, les questions concernant les Ténèbres ont de dures conséquences.

» Évoquer l’Ajah Noir risque de valoir la mort à une sœur – ou la folie, si elle ressort indemne du portique. Quant à Rand… J’ignore s’il est possible de poser une question au sujet du Dragon Réincarné sans s’aventurer sur le terrain redoutable des Ténèbres. Vous comprenez ? Parfois, il y a d’excellentes raisons de se montrer prudente.