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— Mat fait beaucoup plus qu’exagérer, j’en suis sûre !

Elayne aurait juré que Morgase était bien trop sensée pour tomber sous le charme d’un homme. Si le seigneur Gaebril, dont elle n’avait jamais entendu le nom jusqu’à ce que Mat le prononce, entendait se servir de sa mère pour augmenter son pouvoir, son réveil serait rude, ça ne faisait aucun doute.

Nynaeve rejoignit ses amies avec trois gobelets de vin luisants de condensation. Afin de ne pas tacher le bois poli, elle les posa sur un dessus de table vert et or en paille tissée.

— Si je comprends bien, dit-elle, Elayne s’est découvert un amour fou pour Rand. Egwene, en revanche, s’est aperçue qu’elle n’éprouvait rien de tel pour lui.

Les deux jeunes femmes ne cachèrent pas leur stupéfaction.

— Je ne suis pas aveugle, fit l’ancienne Sage-Dame, ni sourde, surtout quand vous ne prenez pas la peine de tenir des messes basses.

Elle but une gorgée de vin et continua d’un ton moins amical :

— Que comptez-vous faire ? Si cette garce de Berelain a des vues sur lui, il ne sera pas facile de lui faire lâcher prise. Elayne, tu es sûre de vouloir livrer cette bataille ? Tu sais qui est Rand et ce qui l’attend, même si on oublie les prophéties. La folie… la mort… Combien de temps lui reste-t-il ? Un an ou deux ? Ou le déclin commencera-t-il avant la fin de l’été ? C’est un homme capable de canaliser le Pouvoir. Tu te souviens de ce qu’on nous a enseigné ? Perds-tu de vue ce qu’il est ?

Elayne soutint sans broncher le regard de Nynaeve.

— Ça n’a aucune importance. C’est peut-être une erreur, mais je m’en fiche. Je ne changerai pas mes sentiments parce qu’on me l’ordonne.

Nynaeve eut un grand sourire.

— Il fallait que je m’en assure, dit-elle avec une chaleur sincère. Et que tu l’affirmes haut et fort, par la même occasion. Aimer un homme n’est jamais facile, mais avec celui-là, ce sera pire encore. (Le sourire s’effaça.) Mais j’attends toujours la réponse à ma première question. Que comptes-tu faire ? Berelain a l’air tendre et douce – du moins aux yeux des hommes –, mais ce n’est qu’une façade. Elle se battra comme une tigresse. Et elle est du genre à s’accrocher à quelque chose qui ne l’intéresse pas vraiment, si elle se découvre de la concurrence.

— J’aimerais l’enfermer dans un tonneau, fit Egwene en serrant son gobelet comme si c’était le cou de la Première Dame, et la renvoyer à Mayene en la forçant à voyager à fond de cale.

Nynaeve secoua la tête, faisant comme d’habitude osciller sa natte.

— C’est amusant, mais essaie de faire des propositions constructives. Et si tu n’en as pas, tais-toi et laisse Elayne décider ce qu’elle va faire.

Voyant la surprise d’Egwene, l’ancienne Sage-Dame précisa :

— Rand est son affaire, plus la tienne. N’oublie pas que tu t’es retirée du jeu.

Cette remarque aurait dû remonter le moral d’Elayne, mais il n’en fut rien.

— Ce n’aurait pas dû être comme ça…, soupira-t-elle. J’imaginais rencontrer un homme, apprendre à le connaître durant des mois voire des années, puis me rendre compte que je l’aimais. Voilà ce que je pensais vivre. Mais je connais à peine Rand, et en un an, j’ai dû lui parler six ou sept fois. Mais j’ai su que je l’aimais cinq minutes après notre rencontre.

Et ça, c’était particulièrement fou ! Mais folie ou pas, ça restait la pure vérité, et Elayne était prête à la crier devant sa mère et Lini.

Lini ? Non, peut-être pas… La nourrice avait une façon radicale de traiter les « idioties », et elle se comportait comme si la Fille-Héritière avait toujours dix ans.

— Dans l’état actuel des choses, je n’ai aucun droit d’être en colère contre Rand. Ni d’en vouloir à Berelain.

Pourtant, elle ne se gênait pas !

J’aimerais le gifler jusqu’à ce qu’il entende sonner les cloches – et pendant un an ! Quant à elle, je voudrais lui flanquer des coups de badine sur tout le chemin vers le bateau qui la ramènera à Mayene.

Cela dit, Elayne n’avait effectivement aucun droit d’agir ainsi, et ça aggravait encore sa détresse.

— Que puis-je faire ? gémit-elle soudain. Rand me regarde à peine quand on se croise.

— À Deux-Rivières, dit Egwene, quand une femme veut montrer son intérêt à un homme, elle lui met des fleurs dans les cheveux pour Bel Tine ou la Fête du Soleil. Sinon, à n’importe quel moment de l’année, elle peut lui coudre une belle chemise de fête brodée. Ou ne jamais demander à un autre homme de la faire danser.

Devant le regard ébahi de son amie, Egwene continua :

— Je ne te suggère pas de te transformer en couturière, mais il y a des moyens de lui montrer tes sentiments.

— À Mayene, on dirait que les femmes optent pour une approche plus directe, fit Elayne d’un ton un rien trop sec. C’est peut-être la solution : lui dire, tout simplement. Au moins, il saura où il en est. Et j’aurai un certain droit de…

La Fille-Héritière prit son gobelet et sirota un peu de vin.

La manière directe ? Comme une de ces dévergondées de Mayene ?

Reposant le gobelet sur le dessus de table, Elayne prit une grande inspiration et murmura :

— Que dirait ma mère ?

— Il y a plus important, rappela Nynaeve. Que feras-tu quand nous devrons partir ? Que ce soit pour Tanchico, la Tour Blanche ou ailleurs, nous devrons quitter Tear. Vas-tu lui dire que tu l’aimes et l’abandonner juste après ? Imagine qu’il te demande de rester avec lui ? Et que tu en aies envie ?

— Je partirai quand même, répondit Elayne sans hésitation, mais avec quelque rudesse, car Nynaeve n’aurait pas dû poser cette question. Si je dois accepter qu’il est le Dragon Réincarné, il doit en retour respecter mes engagements et le devoir que j’ai à accomplir. Je veux devenir une Aes Sedai, Nynaeve. Ce n’est pas une lubie, et je prends au sérieux notre mission. Crois-tu sincèrement que je vous abandonnerais, Egwene et toi ?

Egwene assura que cette idée ne lui avait jamais traversé l’esprit. Nynaeve fit de même, mais avec beaucoup moins de conviction.

Elayne regarda tour à tour ses deux compagnes.

— En fait, j’avais peur que vous m’accusiez de perdre mon temps avec des futilités alors que nous devons nous occuper de l’Ajah Noir.

Une ombre, dans le regard d’Egwene, indiqua que cette idée-là, en revanche, lui avait bel et bien traversé l’esprit.

— Rand n’est pas le seul qui risque de mourir dans un an… ou dans un mois, dit Nynaeve. Ça peut nous arriver à toutes. Les temps ont changé et nous devons nous adapter. Si tu te contentes de rêver à ce que tu désires, tu risques d’avoir quitté ce monde avant de l’obtenir.

Une manière peu rassurante de… réconforter quelqu’un. Elayne acquiesça pourtant. Elle n’était pas idiote, voilà ce que ça voulait dire. Si seulement il avait été possible de régler aussi aisément la question de l’Ajah Noir.

La jeune femme pressa le gobelet vide contre son front, histoire de le rafraîchir.

Quelle décision prendre, au sujet de Tanchico ?

7

Jouer avec le feu

Dès que le soleil pointa à l’horizon, le lendemain matin, Egwene se présenta devant la porte des appartements de Rand. Même si elle traînait les pieds, Elayne l’accompagnait. Vêtue d’une robe de soie bleue à manches longues coupées à la mode de Tear – et tirée vers le bas sur les épaules après de vives négociations –, la Fille-Héritière arborait un collier de saphirs couleur d’un beau ciel matinal qui contribuait, avec le diadème qui brillait dans ses cheveux clairs, à mettre en valeur ses magnifiques yeux azur. Malgré la chaleur accablante, Egwene portait sur les épaules une écharpe rouge aussi large qu’un châle. L’écharpe et le collier avaient été fournis par Aviendha. Très bizarrement, l’Aielle avait une imposante réserve d’accessoires vestimentaires de ce genre.