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— J’ai déjà entendu ça…, dit Egwene. Un jour, j’ai entendu ton père parler d’une méthode de concentration qu’il utilisait pour remporter les compétitions de tir à l’arc. Il appelait ça la Flamme et le Vide…

Rand acquiesça – non sans mélancolie, nota Egwene. Le mal du pays, sans doute. Et son père qui devait lui manquer.

— C’est bien une leçon de Tam. Lan recourt lui aussi à cette méthode, pour l’escrime. Une personne que j’ai rencontrée, Selene, m’a dit que ça se nommait la Fusion. Beaucoup de gens connaissent cette technique, même si presque tous lui donnent des noms différents. Mais j’ai découvert la suite tout seul : une fois dans le vide, j’ai conscience de la présence du saidin comme si c’était une lueur juste à la périphérie de mon champ de vision. Rien n’existe, à part cette lumière et moi. Ni pensée ni émotion… Au début, je devais procéder très lentement, phase par phase, mais à présent, tout arrive en même temps. Enfin, presque tout. Et quand tout se passe bien.

— Le néant, soupira Elayne en frissonnant. Pas d’émotions. Voilà qui ne ressemble pas à ce que nous faisons.

— Si, c’est très proche, au contraire, affirma Egwene. Rand, nous procédons un peu différemment, c’est tout. J’imagine être un bouton de rose jusqu’à ce que je le sois devenue. C’est l’équivalent de ton vide. Mes… pétales… s’ouvrent sous la lumière du saidar et je me laisse emplir de vie, de chaleur, de clarté et d’émerveillement. Je m’abandonne au Pouvoir, et ce faisant, je le contrôle. Ce fut le plus difficile à apprendre : comment maîtriser le saidar en me soumettant à lui. Aujourd’hui, ça m’est si naturel que je n’y pense même plus. C’est la clé de tout, Rand, j’en suis sûre ! Tu dois apprendre à t’abandonner !

Le jeune homme secoua la tête.

— Ça n’a aucun rapport avec ce que je fais… Me laisser emplir de Pouvoir ? Moi, je dois m’emparer du saidin et le tenir fermement. Parfois, je referme la « main » sur le néant, mais une chose est sûre : si j’attendais que ça vienne, je pourrais patienter jusqu’à la fin des temps. Quand j’ai saisi le saidin, il se déverse en moi, c’est vrai. Mais si je m’abandonnais… (Rand se passa une main dans les cheveux.) Egwene, si je relâchais ma vigilance, même une minute, le saidin me consumerait. C’est comme un fleuve de métal en fusion, un océan de feu ou toute la lumière du soleil réunie en un seul point. Je dois lutter pour que cette force m’obéisse et pour qu’elle ne me détruise pas. (Il eut un profond soupir.) Je sais ce que tu veux dire quand tu parles de vie, de clarté, de chaleur et d’émerveillement, mais moi, la souillure me donne envie de vomir. Pourtant, les couleurs me semblent plus vives et les odeurs plus puissantes. Tout devient plus réel, en un sens. Malgré le danger, je n’ai jamais envie de me couper du Pouvoir… Mais il tente de me dévorer, et… Egwene, tu dois regarder la vérité en face. La Tour Blanche a raison au sujet des hommes capables de canaliser. Et du destin qui les attend.

La jeune femme secoua la tête.

— Je me résignerai quand j’aurai eu la preuve que c’est vrai…

La conviction d’Egwene sonnait un peu faux, comme si quelque chose venait de l’ébranler. Le récit de Rand semblait être un reflet déformé de sa propre expérience, les similitudes servant surtout à mettre en valeur les différences. Mais bon, il y avait des similitudes. Une raison pour ne pas baisser les bras.

— Peux-tu distinguer les flux ? L’Air, l’Eau, l’Esprit, la Terre et le Feu ?

— Parfois… Pas très souvent. Je prends ce qu’il me faut pour faire ce que j’ai prévu… Je pioche au hasard, en un sens. C’est très étrange. Parfois, je dois faire quelque chose, je réussis, mais je sais seulement après comment j’ai fait – voire ce que j’ai fait ! C’est un peu comme me remémorer des éléments oubliés. Mais ensuite, je n’oublie plus et je peux recommencer. Enfin, le plus souvent…

— Donc, tu te souviens, insista Egwene. Comment as-tu fait pour embraser ces guéridons ?

Elle aurait préféré savoir comment il s’y était pris pour que les meubles dansent. Avec un tissage d’Air et d’Eau, ce devait être faisable, mais…

Plus tard ! Pour commencer, il fallait aborder des choses simples. Allumer et éteindre une bougie, par exemple, le genre de choses à la portée de n’importe quelle novice.

Rand eut une moue chagrinée…

— Je n’en sais rien, avoua-t-il, très embarrassé. Quand je veux allumer une lampe ou faire flamber du bois dans la cheminée, j’y parviens facilement, mais sans savoir comment. Avec le feu, je n’ai pas vraiment besoin de réfléchir.

Un phénomène presque normal, pour une fois. Parmi les cinq Pouvoirs, le Feu et la Terre étaient les plus forts parmi les Aes Sedai masculins de l’Âge des Légendes. Alors que l’Air et l’Eau restaient plutôt l’apanage des femmes, l’Esprit se répartissait très également entre les deux sexes. Pour recourir à l’Air et à l’Eau, lorsqu’elle maîtrisait un tissage, Egwene n’avait pas besoin de réfléchir non plus.

Mais cette constatation ne les avançait pas beaucoup…

— Et pour éteindre les flammes ? demanda Elayne. Dans ce cas, j’ai eu le sentiment qu’il te fallait réfléchir.

— C’est la première fois que j’ai procédé ainsi… J’ai retiré la chaleur présente dans les guéridons pour la propulser dans la pierre de la cheminée. Parce qu’une cheminée, justement, ne pouvait pas être perturbée par cet apport de chaleur…

Elayne poussa un petit cri et replia son bras gauche contre son torse – un réflexe protecteur instinctif. Egwene eut une moue compatissante. Quelque temps plutôt, le bras gauche de son amie avait été grièvement brûlé parce qu’elle avait tenté d’exécuter la manœuvre décrite par Rand – avec une vulgaire lampe ! Sheriam avait menacé de laisser les brûlures guérir toutes seules. Au bout du compte, elle ne l’avait pas fait, mais c’était un coup de chance, car ne jamais aspirer la chaleur était un des premiers conseils que recevaient les novices. Pour éteindre une flamme, on pouvait recourir à l’Air ou à l’Eau, mais utiliser le Feu pour l’aspirer conduisait au désastre qu’on s’attaque à une étincelle ou à un incendie. Selon Sheriam, ce n’était pas une affaire de puissance. Une fois aspirée, la chaleur ne pouvait plus être rejetée, y compris par la plus formidable Aes Sedai qui eût jamais reçu son châle à la Tour Blanche. Des sœurs avaient brûlé vives en jouant à ce jeu dangereux.

— Pourquoi me regardez-vous comme ça ? demanda Rand.

— Je crois que tu viens de me fournir la preuve dont je parlais, soupira Egwene.

— Vraiment ? Dois-je comprendre que vous allez abandonner ?

— Non ! s’écria la jeune femme.

Elle se reprocha cet éclat, parce qu’elle n’était pas en colère contre Rand. Enfin, pas vraiment… Au fond, elle n’aurait su dire après qui elle en avait.

— Mes formatrices avaient peut-être raison, mais il doit y avoir un moyen… Pour l’instant, je ne vois pas lequel.

— Tu as essayé, dit Rand. Et je te remercie. Toi aussi, Elayne. Ça n’a pas marché, mais vous n’y êtes pour rien.

— Il doit y avoir un moyen…, marmonna Egwene.

— Et nous le trouverons, assura Elayne.

— J’en suis sûr, mentit Rand avec un enjouement forcé. Mais pas aujourd’hui… Je suppose que vous allez me laisser ? (Une éventualité qui semblait lui inspirer des sentiments mitigés.) Ce matin, il faut vraiment que je parle des impôts aux Hauts Seigneurs. Les mauvaises années, ils pensent pouvoir pressurer les paysans autant que les bonnes et sans les contraindre à la mendicité… Quant à vous, l’interrogatoire des prisonnières vous réclame, je suppose.