Выбрать главу

Rand se rembrunit. Même s’il n’avait rien dit, il aurait voulu tenir ses amies le plus loin possible de l’Ajah Noir, Egwene n’en doutait pas. À dire vrai, elle s’étonnait qu’il n’ait pas déjà tenté de les renvoyer à la tour. Peut-être se doutait-il que Nynaeve et elle le poursuivraient de leur courroux – le genre qui pique comme un cactus ! – s’il leur faisait ce coup-là.

— C’est à notre programme, mais pas pour tout de suite…

L’heure avait sonné de passer au second motif de cette visite. Mais Egwene n’aurait pas cru que ce serait si difficile. Elle allait le blesser, alors qu’il n’était déjà pas bien gai. Mais il fallait le faire. Comme si elle avait froid, la jeune femme s’enveloppa dans son écharpe rouge.

— Rand, je ne peux pas t’épouser !

— Je sais.

Egwene en cilla de surprise. Apparemment, il encaissait mieux que prévu. Mais au fond, c’était préférable.

— Je ne veux pas te faire du mal, crois-moi, mais je ne veux pas me marier avec toi.

— Je comprends. Étant donné ce que je suis, aucune femme…

— Espèce d’abruti, ça n’a rien à voir avec ce que tu es ! Je ne t’aime pas ! Enfin, pas comme on doit aimer quelqu’un pour vouloir l’épouser.

Rand en resta un instant bouche bée.

— Tu ne m’aimes pas…, souffla-t-il, surpris et cruellement touché.

— Essaie de comprendre…, fit Egwene d’un ton moins péremptoire. Les gens changent, et les sentiments aussi. Quand on est séparés, on évolue différemment… Je t’aime comme un frère, peut-être même plus que ça, mais pas assez pour devenir ta femme. Tu comprends ?

Rand eut un sourire mélancolique.

— Je suis vraiment le roi des crétins ! Je n’ai pas imaginé que tu avais pu changer aussi. Egwene, je ne veux pas t’épouser non plus… Je n’ai pas voulu changer, mais c’est arrivé tout seul. Si tu savais combien c’est important pour moi. Ne plus avoir besoin de faire semblant… Ne plus avoir peur de te blesser. Je n’ai jamais désiré te faire du mal, Egwene. Jamais !

La jeune femme faillit sourire. Avec la ferveur qu’il affichait, le courage de Rand était presque convaincant.

Presque…

— Je suis heureuse que tu le prennes si bien… Et je ne voulais pas te blesser non plus. Et maintenant, je vais vraiment devoir y aller. (Egwene se leva et posa un baiser sur la joue du jeune homme.) Tu trouveras quelqu’un d’autre.

— Bien sûr, dit Rand en se levant à son tour.

Il ne ment pas si mal, pour un homme…

— Oui, j’en suis certaine !

Sortant avec la satisfaction du devoir accompli, Egwene traversa l’antichambre tout en se débarrassant de l’écharpe, abominablement chaude, et en se coupant du saidar.

Si Elayne s’en tenait au plan qu’elles avaient mis au point, elle n’aurait plus qu’à cueillir Rand comme un fruit mûr. Connaissant la Fille-Héritière, Egwene savait qu’elle s’occuperait bien de lui dans un premier temps. Dans un deuxième temps, il faudrait absolument intervenir sur cette affaire de contrôle du Pouvoir. Tout ce qu’on disait était peut-être vrai – les histoires d’oiseau et de poisson – mais ça n’était pas une raison pour abandonner. Il fallait agir, donc, trouver un moyen s’imposait. Si l’horrible blessure et la folie menaçante étaient des problèmes repoussés au « deuxième temps », ils ne s’en poseraient pas moins un jour ou l’autre. Coûte que coûte !

Les hommes de Deux-Rivières, disait-on, étaient les plus têtus du monde. Certes, mais c’était de la gnognotte à côté des femmes du territoire !

8

Des têtes dures

Le voyant suivre Egwene des yeux, puis fixer la porte, l’air hagard, Elayne se demanda si Rand avait conscience qu’elle était encore dans la pièce. De temps en temps, le jeune homme secouait la tête, comme s’il menait un débat intérieur ou tentait de s’éclaircir les idées.

Elayne ne se formalisa pas de cette « absence ». Tout ce qui prolongeait ce moment était bon à prendre. À toutes fins utiles, elle s’efforça de garder la tête et le dos bien droits et d’afficher une sérénité qui aurait pu rivaliser avec celle de Moiraine. Mais son cœur battait la chamade et elle avait l’impression d’étouffer.

Rien à voir avec l’angoisse suscitée à l’idée que Rand canalise… Dès le départ de son amie, Elayne s’était coupée du saidar. Elle voulait faire confiance à Rand, et il fallait qu’elle se fie à lui. En revanche, l’idée de ce qu’elle désirait voir arriver la mettait dans tous ses états. Au prix d’un effort surhumain, elle parvenait à ne pas jouer avec son collier ni avec le diadème qui tenait ses cheveux. Mais sa nervosité augmentait à chaque seconde. Son parfum était-il trop fort ? Non, selon Egwene, Rand aimait l’odeur des roses. La robe ? Elle l’aurait bien remontée sur ses épaules, mais…

Rand se retourna – il vacillait toujours un peu, ce qui inquiéta aussitôt sa compagne –, vit qu’il n’était pas seul et sursauta, les yeux écarquillés à cause de ce qui semblait bien être une irrépressible panique.

Elayne fut ravie qu’il réagisse ainsi, parce que sa fameuse impassibilité avait fondu dès que les yeux du jeune homme – en cet instant, des yeux aux reflets bleus, tel un ciel ourlé de brume matinale – s’étaient posés sur elle.

Se reprenant, Rand esquissa une courbette incongrue, puis il s’essuya nerveusement les mains sur le devant de sa veste.

— Je ne m’étais pas aperçu que tu étais…

Il s’interrompit, les joues roses, car avoir oublié la présence d’une femme pouvait aisément passer pour une insulte.

— Je veux dire… eh bien… en quelque sorte… (Il respira à fond et reprit tout du début.) Je ne suis pas aussi idiot que j’en ai l’air, ma dame. Mais ce n’est pas tous les jours qu’on se fait dire « je ne t’aime plus » par sa promise.

— Si tu m’appelles encore « ma dame », menaça Elayne, je te donnerai du « seigneur Dragon » et je me traînerai à tes pieds. La reine d’Andor elle-même devrait s’incliner devant toi, et je ne suis que la Fille-Héritière.

— Par la Lumière ! Ne te prosterne pas surtout !

Une réaction un peu disproportionnée par rapport à la menace, estima Elayne.

— Je te ferai grâce, Rand, si tu m’appelles par mon prénom. Elayne. Allons, répète-le !

— Elayne…

Un mot qui parut avoir du mal à sortir des lèvres du jeune homme. En même temps, il semblait le savourer comme un bon vin.

— Très bien…

Elayne se sentit un peu ridicule d’être si contente. Après tout, il avait dit son prénom, rien de plus. Et avant d’aller plus loin, elle avait besoin de savoir quelque chose.

— Ça t’a brisé le cœur ? demanda-t-elle.

Prenant conscience que sa question pouvait être mal comprise, elle précisa :

— La déclaration d’Egwene, pas d’avoir prononcé mon prénom…

— Non. Oui. Un peu. Je n’en sais rien… C’était de bonne guerre, non ?

Rand eut un petit sourire qui le fit paraître un peu moins sur ses gardes.

— Voilà que je me comporte encore comme un idiot !

— Pas à mes yeux…

— Je lui ai dit la stricte vérité, mais je pense qu’elle ne m’a pas cru. Comme j’ai en un sens refusé de croire ce qu’elle venait de me révéler. Enfin, de le croire tout au fond de moi. Si ce n’est pas une réaction de bouffon, je me demande bien ce qui peut l’être.

— Si tu me redis que tu es idiot, je vais finir par le croire…

Il ne tentera pas de la reconquérir… Cette épreuve-là me sera épargnée.

— J’ai vu le bouffon d’un seigneur du Cairhien, dit-elle d’un ton assez léger pour qu’il comprenne qu’elle plaisantait, avec son étrange habit rayé et ses clochettes. Franchement, tu serais ridicule avec des clochettes !