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— Le seigneur Dragon voulait nous voir ? trouva le courage de demander Sunamon.

Egwene et Elayne avaient-elles monté ensemble toute cette affaire ? Bien sûr que non ! Comme les hommes, les femmes ne faisaient pas de pareilles choses. Vraiment ? Oui, vraiment. C’était une coïncidence, rien de plus. Découvrant qu’il était libre, Elayne avait décidé de se déclarer. Il n’y avait rien de plus.

— Les impôts ! s’écria Rand.

Les Hauts Seigneurs ne bougèrent pas, pourtant Rand eut l’impression qu’ils reculaient. Il détestait devoir traiter avec ces hommes. Ses lectures étaient tellement plus importantes.

— Baisser les impôts, seigneur Dragon, ce serait un précédent, et pas un bon.

Mince et grisonnant, Meilan était grand pour un Tearien – à peine une demi-tête de moins que Rand – et aussi imposant et dur qu’un Défenseur. Devant le Dragon, il se tenait légèrement voûté et ses yeux noirs exprimaient à quel point il détestait ça. Cela dit, il n’avait pas aimé non plus que Rand leur demande à tous de ne plus se faire plus petits que nature. Aucun des nobles ne s’était redressé, mais Meilan s’était senti bien plus humilié que les autres d’avoir été percé à jour.

— Les paysans ont toujours payé sans difficulté, continua Meilan. Si nous baissons les impôts, ces crétins se plaindront le jour où nous les remettrons à leur niveau actuel. Comme s’il s’agissait d’une augmentation ! Et nous risquons d’avoir des émeutes sur les bras, seigneur Dragon.

Rand vint se placer à côté de Callandor, la fabuleuse épée qui parvenait à briller plus fort que les dorures et les pierreries du détestable présentoir. Une façon de rappeler à ces gens qui il était et de quel pouvoir il disposait.

Egwene… Avoir de la peine parce qu’elle ne l’aimait plus était d’un crétinisme achevé. Pourquoi aurait-elle dû conserver pour lui des sentiments qu’il n’éprouvait plus pour elle ? Pourtant, il souffrait. En même temps, il était soulagé, mais pas d’une manière agréable…

— Si vous chassez des hommes de leur ferme, c’est là que vous aurez des émeutes.

Trois livres étaient empilés quasiment aux pieds de Meilan. Les Trésors de la Pierre de Tear, Les Voyages dans le désert et Transactions avec le territoire de Mayene. Toutes les clés se trouvaient dans ces ouvrages et dans les diverses traductions du Cycle de Karaethon. Restait à les découvrir et à les introduire dans les bonnes serrures…

Rand se força à se concentrer sur les Hauts Seigneurs.

— Vous pensez qu’ils regarderont mourir leur famille sans rien faire ?

— Les Défenseurs de la Pierre ont déjà réprimé des émeutes, seigneur Dragon, dit Sunamon. Et dans les campagnes, nos gardes peuvent s’en charger. Les paysans ne vous dérangeront pas, je vous le garantis.

— Il y en a trop, de toute façon, intervint Carleon, sursautant quand Rand le foudroya du regard.

Il s’expliqua à la hâte :

— C’est à cause de la guerre civile au Cairhien, seigneur Dragon. Les Cairhieniens ne nous achètent plus de grain, et nos silos débordent. À ce rythme, la récolte de cette année risque de pourrir. Et celle de l’année prochaine, qu’en ferons-nous ? Que la Lumière me brûle, seigneur Dragon, mais il faudrait qu’une partie de ces paysans cesse de labourer et de planter.

L’homme sembla s’apercevoir qu’il en avait trop dit, même s’il aurait été incapable de préciser pourquoi. Rand se demanda si ce type avait la moindre idée de la façon dont la nourriture arrivait sur sa table. L’or et le pouvoir, voilà tout ce qui l’intéressait.

— Que ferez-vous quand le Cairhien recommencera à acheter du grain ? demanda Rand. De plus, est-ce le seul pays qui en ait besoin ?

Mais pourquoi Elayne s’était-elle déclarée ? Qu’attendait-elle de lui ? « Apprécier », « bien aimer »… Comme les Aes Sedai, les femmes savaient jouer avec les mots. Voulait-elle dire qu’elle l’aimait ? Non, c’était du délire. Un cas typique d’orgueil excessif.

— Seigneur Dragon, fit Meilan, à la fois agressif et faussement patient, comme s’il s’adressait à un enfant, si la guerre civile s’arrêtait aujourd’hui, le Cairhien pourrait seulement nous acheter une infime partie de la récolte. Et il en irait de même pendant deux ou trois ans. Et pour répondre à votre autre question, ce royaume est depuis toujours notre unique client.

Toujours ?

Depuis la guerre des Aiels, soit une vingtaine d’années. Aveuglés par ce qu’ils faisaient depuis « toujours », ces gens ne voyaient pas ce qui leur crevait les yeux. Ou ils refusaient de le voir, peut-être. Quand les choux poussaient comme le chiendent à Champ d’Emond, on pouvait parier que la pluie ou les piérides du chou avaient fait des ravages à Promenade de Deven ou Colline de la Garde. Et quand Colline de la Garde ployait sous les navets, il y en avait pénurie à Champ d’Emond ou à Promenade de Deven.

— Proposez-le à l’Illian, dit Rand.

Qu’attendait donc Elayne de lui ?

— Ou à l’Altara…

Il aimait vraiment beaucoup la Fille-Héritière, mais Min avait aussi une place dans son cœur. Enfin, il le pensait. Avec ces deux femmes, il ne parvenait pas à faire le tri dans ses sentiments.

— En plus des barges et des bateaux fluviaux, vous avez une flotte de bâtiments adaptés à la mer. Et s’il vous en faut plus, louez-les à Mayene.

Oui, il aimait bien ces deux femmes… Mais aller plus loin… Presque toute sa vie, il avait soupiré après Egwene. Pas question de recommencer avant d’être sûr et certain de ses sentiments.

Si on en croit Transactions avec le territoire de Mayene, le… Non, arrête ça et concentre-toi sur ces fouines ! Sinon, elles t’échapperont et te mordront au passage.

— Payez ces navires avec du grain. La Première Dame se laissera convaincre, si la transaction est intéressante. Surtout si vous y ajoutez un traité…

La façon de parler qu’aimaient ces gens, et qu’ils employaient eux-mêmes. « Traité », par exemple, était un de leurs mots fétiches.

— L’engagement de ne pas agresser Mayene en échange des navires, je dirais…

Au fond, il devait bien ça à Berelain !

— Nous commerçons peu avec l’Illian, seigneur Dragon. Ce sont des menteurs et des vautours !

Tedosian semblait scandalisé et Meilan renchérit :

— Avec Mayene, nous avons toujours eu recours à la force, seigneur Dragon. Pas question de courber l’échine.

Rand prit une grande inspiration et les Hauts Seigneurs retinrent leur souffle. Ça finissait toujours ainsi. Il essayait de raisonner avec eux et ne réussissait jamais. Selon Thom, les Hauts Seigneurs avaient la tête aussi dure que la Pierre, et c’était très bien vu.

Quels sont mes sentiments pour elle ? Elle est jolie et je rêve souvent d’elle…

Qui, elle ? Elayne ou Min ?

Assez ! Un baiser n’est jamais qu’un baiser.

Oubliant Elayne – et les femmes en général –, Rand entreprit d’expliquer à ces têtes de mule ce qu’il convenait de faire.

— Pour commencer, vous allez diminuer des trois quarts les impôts des fermiers, et de moitié ceux de tous vos autres sujets. Pas d’objections ! Faites-le, c’est tout. Ensuite, vous irez voir Berelain pour lui demander – lui demander, j’insiste – un prix pour les navires…