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Mat interrogea du regard la jeune femme.

Egwene se décida à lui parler du portique distordu, ce ter’angreal qui délivrait des réponses quand on le traversait. Elle insista cependant sur les conséquences des questions idiotes et des demandes concernant les Ténèbres, sans parler des dangers que même les Aes Sedai ne connaissaient pas. Très flattée que Mat se soit tourné vers elle, la jeune femme devait néanmoins lui mettre un peu de plomb dans la tête.

— Tu dois t’en souvenir, Mat ! Les questions frivoles risquent de te coûter la vie. Alors, si tu utilises ce portique, tu devras être sérieux, pour une fois. Et surtout, pas l’ombre d’une question liée aux Ténèbres !

Mat écouta avec une incrédulité croissante. Quand la jeune femme eut terminé, il s’exclama :

— Trois questions ? C’est comme le conte de Bili, non ? Tu entres, tu y passes une nuit et tu ressors dix ans plus tard avec une bourse éternellement pleine d’or et…

— Matrim Cauthon, si tu ne racontais pas n’importe quoi, pour une fois dans ta vie ? Tu sais très bien que les ter’angreal ne sont pas des accessoires de contes pour enfants. Tu dois être conscient des risques ! Les réponses que tu cherches sont peut-être là, mais tu ne dois surtout pas essayer sans l’accord de Moiraine. Promets-le-moi ! Si tu me déçois, je te conduirai à elle au bout d’un hameçon, comme une vulgaire truite. Tu sais que j’en suis capable.

Mat ricana.

— Quoi que dise Moiraine, tu me crois assez fou pour tenter le coup ? Entrer dans un de ces ter’angreal de malheur ? Mon plan est d’avoir le moins de rapports possible avec le Pouvoir, pas le contraire. Tu peux oublier ça !

— Mat, c’est la seule chance que tu as.

— Selon toi, peut-être, mais pas pour moi ! Mieux vaut n’en avoir aucune que tenter celle-là.

Malgré l’agressivité du jeune homme, Egwene eut envie de lui passer un bras autour des épaules. Mais elle s’en abstint, certaine qu’il en profiterait pour lui jouer un mauvais tour à sa façon – par exemple lui pincer les fesses. Depuis le jour de sa naissance, Mat était un incorrigible farceur. Mais il avait besoin d’aide, et elle n’avait pas grand-chose à lui proposer.

— Je suis désolée… Que vas-tu faire ?

— Continuer à jouer aux cartes, je suppose. Si je me trouve des adversaires… Défier Thom aux pierres, et écumer les tavernes en quête de parties de dés juteuses. Je ne suis pas consigné à la forteresse, que je sache… (Mat suivit du regard une mince servante aux yeux noirs qui devait avoir environ son âge.) Je trouverai bien de quoi passer le temps…

Maîtrisant son envie de le gifler, Egwene posa la question qui lui brûlait les lèvres :

— Mat, quand tu affirmes ne pas envisager de partir, c’est la vérité, n’est-ce pas ?

— Pourquoi ? Tu me dénoncerais à Moiraine, dans le cas contraire ? (Mat leva les mains pour apaiser par avance le courroux de son amie.) Ne t’emballe pas ! De toute façon, ce n’est pas d’actualité. Je ne prétends pas que filer me déplairait, mais je ne le ferai pas. Ça ne te suffit pas ? (Il se rembrunit.) Egwene, tu n’as jamais le mal du pays ? Il ne t’arrive pas de souhaiter que rien de tout ça ne se soit produit ?

Une question surprenante, venant de Mat. Mais qui ne décontenança pas la jeune femme.

— Non. Malgré tout, ma réponse est « non ». Et toi ?

— Moi ? Ce serait idiot, non ? J’adore les villes, après tout, et celle-là devra faire l’affaire pour le moment. Egwene, tu veux bien ne pas parler de notre conversation à Moiraine ?

— Pourquoi ça ?

Venant de Mat, une telle demande ne pouvait qu’être suspecte.

Gêné, le jeune homme haussa les épaules.

— Eh bien, je me suis tenu encore plus loin d’elle que de… Passons. Bref, je l’ai évitée, surtout quand elle prétendait farfouiller dans ma tête. Elle pense peut-être que je faiblis… Ne lui dis surtout rien, d’accord ?

— C’est promis, si tu me jures de ne pas approcher du ter’angreal sans sa permission. Je n’aurais d’ailleurs pas dû t’en parler…

— C’est juré ! (Mat sourit.) Je resterai loin de ce… truc, sauf si ma vie en dépend. J’en fais le serment solennel.

Une parfaite imitation de sérieux ponctuée d’un clin d’œil.

Décidément, tout changeait en ce monde, sauf ce bon vieux Mat !

9

Décisions

Les trois jours suivants, la chaleur et l’humidité parvinrent à miner jusqu’aux forces des Teariens. Alors que la ville sombrait dans une semi-léthargie, la Pierre tomba dans un sommeil profond. Les domestiques eux-mêmes semblaient travailler en dormant. La majhere faillit s’en arracher les nattes de frustration, mais elle ne réussit pas à trouver assez d’énergie pour distribuer des chiquenaudes sur les oreilles ou des coups de badine sur les doigts. Comme des bougies à moitié fondues, les Défenseurs de la Pierre s’avachissaient à leur poste et leurs officiers se souciaient davantage de trouver du vin frais que d’inspecter les rangs.

Confinés dans leurs appartements, les Hauts Seigneurs passaient le plus clair de leur temps à dormir. Quelques-uns, quittant la Pierre, partirent même chercher la fraîcheur dans leur domaine situé sur les pentes de la Colonne Vertébrale du Monde. Bizarrement, seuls les étrangers, pourtant les plus sensibles à la chaleur, continuèrent à vivre comme si de rien n’était – voire à un rythme plus élevé. Pour eux, la canicule n’était rien comparée aux heures qui s’égrenaient impitoyablement, les prenant à la gorge.

Mat découvrit très vite qu’il ne s’était pas trompé au sujet des nobliaux témoins de son affrontement contre les cartes à jouer. Non contents d’éviter le jeune homme, ils prévinrent tous leurs amis. Du coup, Mat ne trouva plus personne pour s’asseoir avec lui à une table de jeu. Mais les ravages ne se limitèrent pas à ça. L’histoire se répandant comme une traînée de poudre, plusieurs servantes enclines à se laisser cajoler se mirent également à fuir le pauvre garçon de Champ d’Emond. Mal à l’aise mais sûres de leur fait, deux d’entre elles affirmèrent même qu’il était dangereux de rester seule avec lui, d’après ce qu’on disait.

Alors que Perrin semblait immergé dans ses propres ennuis, Thom se révéla fuyant comme une anguille. Sans avoir la moindre idée sur ce qui occupait le trouvère, Mat constata qu’il était pratiquement impossible de lui mettre la main dessus, et ce à toute heure du jour ou de la nuit. En revanche, la seule personne que Mat aurait voulu ne jamais croiser – nommément, Moiraine – apparaissait comme par miracle à peu près partout où il passait. Oh ! toujours par hasard, et en général à une distance respectable, par exemple à l’autre bout d’un couloir, mais chaque fois, elle croisait son regard et semblait deviner ses pensées et ses intentions. Plus grave encore, elle paraissait savoir comment le forcer à faire ce qu’elle désirait qu’il fasse.

Tout cela n’avait guère d’influence sur un point essentiel : Mat continuait à trouver chaque matin un prétexte pour différer son départ au lendemain.

Selon son éthique personnelle, il n’avait pas promis à Egwene de rester. Mais ça revenait au même, puisqu’il ne parvenait pas à partir.

Un soir, armé d’une lampe, il descendit dans les entrailles de la Pierre et s’aventura jusque dans les salles du Grand Trésor. Après quelques minutes passées à étudier dans la pénombre des formes indéfinissables couvertes de bâches ou des caisses et des tonneaux très approximativement entassés, leur partie plate servant de présentoir pour tout un fouillis de figurines, de sculptures et d’étranges objets en cristal, en verre ou en métal, il était ressorti en courant et en marmonnant :