Выбрать главу

— Je vais où ça me chante… (Selene dévisagea Rand et fronça les sourcils.) Tu as été marqué, mais ça n’a aucune importance. Tu m’appartenais et tu es toujours à moi. Toutes les autres t’ont accompagné un bout de chemin, et leur heure de gloire est révolue. Aujourd’hui, je viens réclamer ouvertement ce qui est à moi.

Rand soutint le regard de Selene. Marqué ? Parlait-elle de ses mains ? Et que voulait-elle dire par « tu es à moi » ?

— Selene, dit-il d’un ton conciliant, nous avons eu de bons moments ensemble… et de beaucoup moins bons. Je n’oublierai jamais ton courage, ni ce que tu as fait pour moi. Mais entre nous, il n’y a jamais eu que l’amitié de compagnons d’armes. Nous avons voyagé ensemble, et ça s’arrête là. Tu vas t’installer ici, dans les plus beaux appartements, et tu retourneras au Cairhien quand la paix y sera revenue. Si c’est dans mes cordes, je m’assurerai qu’on te restitue tes domaines.

— Tu as vraiment été marqué, fit Selene avec un sourire glacé. Des domaines au Cairhien ? J’en ai peut-être eu jadis, mais ce pays a tant changé que plus rien n’est comme avant. Selene est un nom d’emprunt bien commode, Lews Therin. Celui que j’ai adopté, c’est Lanfear.

Rand eut un rire étranglé.

— Une mauvaise plaisanterie, Selene. Je pourrais lancer de mauvaises blagues sur le Ténébreux en prétendant être un Rejeté. Et pour ta gouverne, je m’appelle Rand.

— Nous nous nommons les Élus, dit très calmement Selene. Élus pour gouverner le monde à tout jamais. Nous vivrons éternellement. Et toi aussi, en faisant le bon choix.

Inquiet, Rand plissa le front. Selene croyait dur comme fer à ce qu’elle disait. Le terrible voyage jusqu’à Tear devait l’avoir déstabilisée. Pourtant, elle n’avait pas l’apparence d’une folle. Calme, sereine, sûre d’elle…

D’instinct, Rand chercha à entrer en contact avec le saidin. Il essaya… et se heurta à un mur invisible qui le coupait de la Source.

— Tu n’es pas…, commença-t-il. (Selene sourit.) Par la Lumière ! tu dis la vérité…

Rand recula lentement. S’il s’emparait de Callandor, il aurait au moins une arme. Pas un angreal, dans la situation présente, mais une bonne lame quand même. Pourrait-il s’en servir contre une femme comme Selene ? Non, contre Lanfear, une des Rejetés !

Son dos heurtant quelque chose, Rand se retourna pour voir de quoi il s’agissait. Il n’y avait rien. Ou plutôt, une muraille invisible. De l’autre côté, Callandor brillait de tous ses feux. Frappant l’obstacle du poing pour défouler sa rage, il rencontra une surface aussi dure que la roche.

— Je ne peux pas te faire totalement confiance, Lews Therin. Pas encore…

Lanfear approcha. Rand envisagea de la ceinturer, tout simplement. Il était plus grand et plus fort, ça ne faisait pas de doute. Mais sans possibilité de canaliser, il risquait de finir prisonnier d’un tissage tel un chaton qui s’est pris les pattes dans une longueur de ficelle.

— Pas en présence de cet objet…, continua Lanfear en désignant Callandor. Il existe seulement deux artefacts plus puissants utilisables par un homme. Un des deux n’a pas été détruit, je le sais… Non, Lews Therin, je ne peux pas encore me fier à toi.

— Ne m’appelle plus ainsi ! Je me nomme Rand. Rand al’Thor.

— Tu es Lews Therin Telamon… Physiquement, il n’y a pas de points communs, à part la taille, mais je reconnaîtrais l’esprit qui se cache derrière ces yeux même si je te retrouvais dans un berceau. (Lanfear éclata de rire.) Si je t’avais découvert à l’époque où tu vagissais contre le sein de ta mère, tout aurait été tellement plus facile ! Si j’avais été libre de… (Elle se rembrunit.) Veux-tu voir ma véritable apparence ? Tu ne t’en souviens pas non plus, pas vrai ?

Rand essaya de décliner cette offre, mais sa langue refusa de lui obéir. Par le passé, il avait vu deux des Rejetés ensemble, Aginor et Balthamel, les deux premiers à se libérer après trois mille ans de captivité dans les sceaux de la prison du Ténébreux. Aginor était décomposé autant qu’on pouvait l’être sans avoir rendu l’âme – et encore, ça se discutait. Balthamel cachait son visage derrière un masque et ne dévoilait rien de sa chair, comme s’il avait eu peur de la voir ou que quelqu’un d’autre l’aperçoive.

L’air ondula autour de Lanfear quand elle se métamorphosa. Sous sa véritable apparence, elle était plus vieille que Rand, à l’évidence, mais la notion d’âge n’était pas vraiment pertinente. Il s’agissait plutôt d’une maturité supérieure. Qui ajoutait à sa beauté, si c’était possible. Une fleur épanouie comparée à un joli bouton… Même en sachant qui elle était vraiment, Rand en eut la bouche sèche et la gorge serrée.

Lanfear dévisagea Rand, ses yeux noirs pleins de confiance – mais légèrement intrigués, comme si elle se demandait ce que le jeune homme voyait. Le résultat de sa recherche dut la satisfaire, puisqu’elle sourit de nouveau.

— J’étais inhumée dans des profondeurs, dit-elle, piégée dans un sommeil sans rêves au sein duquel le temps ne s’écoulait pas. La Roue tournait sans m’accorder la moindre importance. À présent, tu me vois telle que je suis et je te tiens entre mes mains. (Elle tendit une main et passa sur la joue de Rand un index à l’ongle acéré.) Le temps des jeux et des subterfuges est révolu, Lews Therin. Depuis une éternité…

— Tu veux me tuer ? Que la Lumière te brûle ! je…

— Te tuer ? lâcha Lanfear, incrédule. Te tuer ! Je veux que tu sois à moi pour toujours. Car tu m’appartenais avant que cette mijaurée aux cheveux de paille ait jeté son dévolu sur toi. Avant même qu’elle te connaisse, tu m’aimais !

— Et toi, tu aimais le pouvoir !

Rand eut un instant de confusion. Ces mots semblaient justes – ils l’étaient, tout simplement – mais d’où étaient-ils donc montés, pour sortir ainsi de sa bouche ?

Selene-Lanfear parut aussi déconcertée que lui, mais elle se ressaisit vite.

— Tu as appris beaucoup de choses…, dit-elle. Et accompli des exploits dont je ne t’aurais pas cru capable, sans aide. Mais tu avances toujours à l’aveuglette dans un labyrinthe obscur, et ton ignorance risque de te tuer. Certains de mes compagnons te redoutent trop pour attendre. Sammael, Rahvin, Moghedien… Peut-être d’autres, mais pour ces trois-là, je suis certaine. Ils t’attaqueront, Lews Therin. Eux ne voudront pas te convertir. Ils approcheront par la ruse et te tueront dans ton sommeil. Parce qu’ils ont peur de toi, justement. Mais il y a aussi ceux qui peuvent te former, te réapprendre ce que tu savais jadis. Quand ce sera fait, nul n’osera s’opposer à toi.

— Me former ? Tu veux que je devienne le disciple d’un Rejeté ?

Un homme qui était un Aes Sedai durant l’Âge des Légendes… Un mâle capable de canaliser le Pouvoir et d’éviter tous les pièges ? Un maître qui…

Une proposition qu’on lui avait déjà faite, par le passé…

— Non ! Même si c’était vrai, je refuserais ! Mais pourquoi mes pires ennemis voudraient-ils m’aider ? Je les combats, et toi avec ! Je déteste chacun de tes actes, toutes les valeurs que tu défends.

Sombre crétin ! Tu es piégé et tu lances des défis stupides, comme un imbécile classique, dans un récit, qui énerve son ravisseur et finit par en payer les conséquences.