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Rand tenta en vain de bouger.

Une lame incurvée décolla la tête de sanglier des épaules humaines du Trolloc.

Dégageant sa lame, un quatrième Trolloc eut un rictus qui dévoila sa denture de chèvre. Ses oreilles frémissant à côté de ses cornes, il resta un instant immobile, puis détala à la vitesse du vent dans le fracas que produisaient ses sabots sur le sol de marbre.

Sonné, Rand se dégagea tant bien que mal du cadavre et se releva.

Un Trolloc m’a sauvé ? Un Trolloc ?

Couvert de sang – le fluide visqueux et noir des monstres –, Rand sonda le couloir dans la direction où avait filé son sauveur. Au bout de ce corridor, deux Myrddraals se battaient en duel, leurs lames s’entrechoquant à une vitesse incroyable. Ils disparurent bientôt dans un couloir latéral, les éclairs blancs qui jaillissaient de leurs armes se volatilisant avec eux.

Je suis fou ! Voilà la vérité. Je suis dingue et c’est une hallucination délirante.

— Tu prends des risques fous à courir partout avec cette misérable épée.

Rand se retourna et découvrit Lanfear. Elle avait repris l’apparence d’une fille aussi jeune que lui et peut-être plus. Tirant sur l’ourlet de sa robe quand elle enjamba la dépouille de la noble dame, elle avança sans plus d’émotion que s’il s’était agi d’un tronc d’arbre.

— Tu te construis une cabane avec des brindilles alors que d’un claquement de doigts, tu pourrais faire jaillir du sol des palais de marbre. Ces Trollocs, il t’aurait suffi de le vouloir pour les massacrer en un clin d’œil et t’approprier ce qui leur tient lieu d’âme. Au lieu de ça, ils ont failli te tuer. Il faut que tu te formes. Viens avec moi.

— Quand es-tu intervenue ? Le Trolloc qui m’a sauvé, c’était ton œuvre ? Ou les Myrddraals qui se battaient ? Réponds !

Lanfear dévisagea Rand un moment avant de secouer presque tristement la tête.

— Si je te le disais, tu t’attendrais à ce que ça se reproduise, et ça pourrait te coûter la vie. Aucun de mes compagnons ne sait où je suis et ça me va très bien. N’espère pas que je me compromette pour t’aider.

— Espérer que tu m’aides ? Alors que tu veux m’attirer dans le camp des Ténèbres ? Tes bonnes paroles ne me feront pas oublier qui tu es.

Rand canalisa le Pouvoir. Décollant du sol, Lanfear alla s’écraser contre une tapisserie – assez fort pour que ça lui arrache un grognement. Le jeune homme la maintint ainsi, les bras en croix et les pieds en l’air, épinglée comme un papillon sur une scène de chasse délicatement tissée.

Comment avait-il coupé Egwene et Elayne du Pouvoir ? Il fallait qu’il se le rappelle.

Soudain, il décolla à son tour du sol et alla s’écraser contre le mur, en face de Lanfear. Une force invisible lui écrasait la poitrine, l’empêchant de respirer.

— Tout ce que tu peux faire, Lews Therin, dit la Rejetée, qui semblait n’avoir aucune peine à aspirer de l’air, je peux le faire aussi, et bien mieux que toi.

Malgré sa posture peu glorieuse, Lanfear demeurait impassible. Le vacarme de la bataille se rapprocha un instant, puis s’éloigna de nouveau.

— Tu utilises une infime fraction de ton potentiel et te détournes de tout ce qui te permettrait d’écraser tes ennemis. Où est Callandor, Lews Therin ? Toujours dans ta chambre, comme un ornement inutile ? Maintenant que tu l’as libérée, crois-tu être le seul à pouvoir la manier ? Si Sammael est ici, il s’en emparera et la retournera contre toi. Moghedien elle-même la volerait pour t’empêcher de l’avoir. Et s’attirer des avantages en la cédant à un Élu.

Rand lutta contre ce qui le retenait. Rien ne bougea, à part sa tête, qui oscillait furieusement de droite à gauche. Callandor entre les mains d’un Rejeté ? Un mâle ? L’idée seule le rendait fou de rage et de frustration. Il canalisa, tentant de faire sauter ses entraves, mais il aurait tout aussi bien pu n’y avoir rien à faire sauter.

Soudain, il fut libre et bascula en avant, continuant à se débattre avant d’avoir compris que ça ne servait plus à rien. Bien entendu, ça n’avait non plus aucun rapport avec ses dérisoires tentatives…

Il regarda Lanfear, toujours en suspension, l’air très détendue. Elle essayait de l’amadouer, de l’inciter à se montrer moins dur avec elle. Que faire des flux qui la retenaient ? Les nouer et la laisser en plan ? Dans ce cas, elle risquait de détruire la moitié de la Pierre en essayant de se libérer. Si un Trolloc ne la tuait pas, la prenant pour une résidente des lieux. Cette idée n’aurait pas dû troubler Rand, car la mort d’une Rejetée n’avait rien d’un drame, mais abandonner une femme, ou quiconque d’autre, en pâture aux Trollocs le répugnait.

Voyant le calme de Lanfear, Rand cessa de s’inquiéter pour elle. Tant qu’elle ne serait pas coupée du Pouvoir, nul dans la Pierre ne pourrait lui faire du mal. S’il pouvait trouver Moiraine afin qu’elle tisse un bouclier…

Une nouvelle fois, Lanfear prit la décision à sa place. Le choc en retour des flux brisés faisant sursauter Rand, elle se réceptionna souplement sur le sol. Sous le regard de son geôlier dépité, elle s’écarta du mur en époussetant sa robe.

— Tu n’as pas pu faire ça…, couina Rand contre toute évidence.

— Tu crois que j’ai besoin de voir un flux pour le défaire ? Il me suffit de connaître sa nature et de savoir où il est. Tu vois, il te reste encore beaucoup à apprendre. J’aime bien que tu sois déconcerté. Tu as toujours été trop sûr de toi et trop droit dans tes bottes. Au fond, douter t’a toujours fait du bien, mais tu t’y autorises rarement. À propos, oublierais-tu Callandor ?

Rand hésitait toujours. Une Rejetée se tenait face à lui, et il ne pouvait rien faire. Se détournant, il partit au pas de course vers l’épée de cristal. Le rire de Lanfear parut le suivre longtemps.

Cette fois, il ne fit pas de détour pour affronter des Trollocs ou des Myrddraals. En fait, il ne daigna même pas ralentir quand il en vit, sauf s’ils tentaient de lui barrer le passage. Là et seulement là, son épée de flammes lui frayait un passage parmi les monstres. En chemin, il vit Perrin et Faile, lui la hache au poing et elle protégeant ses arrières avec des couteaux. Refroidis par la hache et les yeux jaunes du jeune homme, les Trollocs ne semblaient pas très combatifs. Rand continua à avancer sans hésitation. Si un Rejeté s’emparait de Callandor, tous les occupants de la forteresse seraient morts avant le lever du soleil.

À bout de souffle, Rand entra dans l’antichambre et slaloma entre les cadavres, en piétinant quelques-uns dans sa hâte de retrouver Callandor. Ouvrant les deux battants de sa porte, il vit l’épée de cristal. Trônant sur son présentoir, elle reflétait les derniers rayons du soleil couchant, comme si elle l’attendait.

Alors qu’il la voyait devant lui, intacte, il eut un haut-le-cœur à l’idée de la toucher. Un jour, il avait utilisé l’arme comme elle devait l’être. Une seule fois. Désormais, il savait ce qui l’attendait lorsqu’il recommencerait, s’en servant pour puiser plus de pouvoir dans la Source qu’aucun être humain n’en était capable sans aide. Du coup, faire disparaître sa lame rouge et or lui parut un effort surhumain. Et quand elle se volatilisa, il faillit la rappeler.

Traînant les pieds, il contourna la dépouille de l’Homme Gris et posa les mains sur la poignée de Callandor. Elle était froide comme du cristal resté trop longtemps dans le noir. Mais pas lisse au point de risquer de glisser entre ses doigts.

Une étrange sensation incita Rand à se retourner. Un Blafard se tenait dans l’encadrement de la porte, hésitant. Son visage blême sans yeux se braqua sur Callandor.