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D’autres cordes protégeaient les présentoirs en bois poli et les vitrines qui n’étaient pas disposés le long des murs. Au plafond, un ensemble sophistiqué de petites ouvertures laissait entrer généreusement la lumière. De toute évidence, Egwene s’était transportée en rêve dans une Tanchico tout ce qu’il y avait de diurne.

« Une fantastique exposition d’artefacts datant d’Âges depuis longtemps révolus. Celui des Légendes, bien sûr, mais aussi ceux qui l’ont précédé. Et cette fabuleuse collection est ouverte à tous, même les gens du peuple, trois jours par mois et à l’occasion des fêtes. »

Eurian Romavni ne cachait pas son enthousiasme, surtout au sujet de l’inestimable exposition de figurines en cuendillar – six exemplaires conservés dans une vitrine qui trônait au milieu de la salle. Les jours d’ouverture, quatre gardes personnels de la Panarch veillaient en permanence sur ces merveilles. L’auteur s’extasiait également tout au long de deux pages sur les ossements de fantastiques bêtes « jamais vues par un œil humain ». Et il n’exagérait pas. Dans un coin de la salle, Egwene découvrit le squelette de ce qui aurait pu être un ours, n’étaient deux dents de devant longues comme son avant-bras. Dans le coin d’en face se dressait une créature à quatre pattes plutôt fine au cou si long que son crâne arrivait à mi-hauteur du plafond.

Il y avait d’autres extraordinaires squelettes, un peu partout sur le périmètre de la salle, tous assez anciens pour que la Pierre de Tear, en comparaison, soit considérée comme un bâtiment récent. Après être passée du bon côté de la corde, la Rêveuse traversa la salle lentement pour ne rien manquer du spectacle.

Dans une vitrine, au milieu d’une série de statuettes pas plus grandes que sa main, Egwene remarqua une très ancienne figurine. Apparemment nue comme au jour de sa naissance, mais drapée dans sa chevelure qui lui tombait jusqu’aux chevilles, cette femme n’avait rien de différent des autres personnages. Pourtant, il émanait d’elle une impression de douce chaleur que la Rêveuse reconnut aussitôt. C’était un angreal, elle en aurait mis sa main au feu. Mais pourquoi la Tour Blanche ne l’avait-elle pas récupéré d’une façon ou d’une autre ?

Un peu plus loin, Egwene s’arrêta devant un présentoir où reposaient un collier articulé – du travail de joaillier très précis – et deux bracelets, le tout en métal noir mat. Frissonnante, elle capta l’obscurité et la douleur qui émanaient de ces bijoux. Une très ancienne douleur, terriblement forte.

Dans une autre vitrine, un bijou couleur argent – une étoile à trois pointes dans un cercle, semblait-il – paraissait taillé dans un matériau qu’Egwene ne put pas identifier. Rayé et porteur de minuscules trous, ce bijou était encore plus ancien que les plus vieux ossements. À dix pas de distance, la jeune femme avait capté des ondes de fierté et de vanité.

Un objet lui sembla familier, même si elle aurait été bien incapable de dire pourquoi. Reléguée au fond d’un des présentoirs, comme si on n’avait pas été sûr que cet article méritait d’être exposé, la moitié supérieure d’une statuette en pierre blanche brillante dépérissait sur son étagère. Une sphère en cristal dans sa main tendue, la femme immortalisée par un sculpteur affichait un mélange de calme, de dignité et de sage autorité. Entière, la statuette aurait mesuré quelque chose comme un pied de haut. Mais pourquoi cette sensation de familiarité ? Comme si la sculpture implorait Egwene de la prendre…

Alors que ses doigts se refermaient sur la statuette, la jeune femme s’avisa qu’elle avait enjambé la corde.

De la folie, puisque je ne sais pas de quoi il s’agit.

Mais il était trop tard, de toute façon…

Dès qu’Egwene eut la statuette en main, le Pouvoir jaillit de son corps, passa dans la sculpture, revint en elle, puis en sortit de nouveau – un mouvement qui semblait vouloir être perpétuel. La sphère de cristal lança des éclairs aveuglants et avec chacun d’eux, la jeune femme eut l’impression que des aiguilles s’enfonçaient dans son cerveau. Avec un cri de douleur, elle lâcha la statuette et se prit la tête à deux mains.

Quand la sculpture s’écrasa sur le sol et se brisa, la sphère explosa. Aussitôt, les aiguilles disparurent, laissant seulement le souvenir lancinant de la douleur – et une sensation de vertige qui retourna l’estomac d’Egwene, la forçant à fermer les yeux pour que la salle cesse de danser la farandole autour d’elle.

La statuette était sans nul doute un ter’angreal. Mais pourquoi cette douleur, alors qu’elle l’avait seulement touchée ? Parce que l’artefact, brisé en deux, ne pouvait pas accomplir la tâche pour laquelle il était conçu ? Mais quelle tâche ? Au fond, Egwene n’avait aucune envie de le savoir. Étudier le fonctionnement d’un ter’angreal était terriblement risqué. Au moins, l’artefact était maintenant trop cassé pour présenter le moindre danger. Dans le Monde des Rêves, en tout cas.

Mais pourquoi semblait-il m’appeler ?

Le vertige se calmant, Egwene rouvrit les yeux. La sculpture était revenue sur son étagère, aussi « entière » qu’avant sa chute. D’étranges choses se produisaient dans Tel’aran’rhiod, mais ça, c’était un peu trop bizarre pour la jeune femme. De plus, elle n’était pas là pour vivre des expériences de ce genre. Avant tout, elle devait trouver le moyen de sortir du palais de la Panarch. Enjambant de nouveau la corde, elle se hâta de quitter la salle, mais en essayant quand même de ne pas courir.

Il n’y avait pas âme qui vive dans le palais, bien entendu. Pas d’« âme » humaine, en tout cas… Des poissons aux couleurs vives nageaient dans les bassins des grandes fontaines qui coulaient joyeusement dans les cours entourées d’une promenade à colonnes et dominées par un balcon à la balustrade ajourée aux allures de délicate dentelle minérale. Des nénuphars flottaient sur l’eau à côté de fleurs blanches aussi grandes que des assiettes. Dans le Monde des Rêves, un lieu ressemblait en tout point à ce qu’il était dans la réalité – ou ce qu’on tenait pour tel. La seule différence, c’étaient les gens.

Dans les couloirs, Egwene remarqua des lampes dorées très sophistiquées, la mèche encore intacte, et elle sentit une odeur d’huile parfumée en monter. Ses pieds ne soulevaient pas la moindre poussière en foulant le tapis qui n’avait sûrement jamais été battu, dans Tel’aran’rhiod.

Une seule fois, la jeune femme aperçut quelqu’un. Un homme en armure d’apparat dorée et embossée, son casque à pointe également doré surmonté de plumes d’aigrette sous le bras, qui avançait devant elle en appelant :

— Aeldra ! Aeldra, viens voir ça ! J’ai été nommé seigneur capitaine de la Garde de la Panarch. Aeldra !

L’inconnu fit un pas de plus… et se volatilisa soudain.

Ce n’était pas un Rêveur, ni même quelqu’un qui utilisait un ter’angreal comme l’anneau de pierre ou le disque de fer d’Amico. Non, il s’agissait d’un homme dont le rêve s’était égaré dans un monde dont il ne soupçonnait pas l’existence et dont il ignorait les dangers. Les gens qui mouraient inexplicablement dans leur sommeil étaient bien souvent des victimes de Tel’aran’rhiod. Cet inconnu, lui, était tiré d’affaire, de retour dans un songe normal et douillet.

Dans la Pierre de Tear, sur une table de chevet, une bougie brûlait toujours. Le temps imparti à Egwene était compté.

La jeune femme accéléra le pas et atteignit une grande porte sculptée qui donnait sur l’extérieur. Au pied d’un majestueux escalier de marbre blanc s’étendait une grande place déserte. À partir de là, Tanchico se déroulait dans toutes les directions sur les collines environnantes, des centaines de bâtiments blancs brillant au soleil à côté de tours élancées et de dômes pointus, certains de ces derniers étant dorés. Le Cercle de la Panarch, un grand mur rond de pierre blanche, se dressait à un quart de lieue de là, sur un site un peu moins élevé que le palais, bâti sur une des collines au sommet le plus plat.