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En haut de l’escalier, Egwene avait une vue parfaite sur l’Ouest et les bras de mer des deux autres péninsules qui, avec celle-ci, composaient la capitale du Tarabon. Tanchico était une plus grande cité que Tear et peut-être même que Caemlyn.

Un si vaste champ de recherche, sans même savoir ce qu’on cherchait… Un indice de la présence de l’Ajah Noir ? Quelque chose qui indiquait l’existence d’une menace contre Rand ? Rien du tout ? Si elle avait été une Rêveuse expérimentée en pleine possession de son don, Egwene aurait sûrement su ce qu’elle cherchait – tout en étant capable d’interpréter ce qu’elle voyait. Mais il ne restait plus personne pour la former.

Les Matriarches étaient censées savoir déchiffrer les rêves. Devant les réticences d’Aviendha, quand elle l’avait interrogée, Egwene avait renoncé à questionner les autres Aiels. Si une Matriarche était en mesure de lui apprendre des choses, elle le découvrirait par elle-même, à condition d’en trouver une.

Alors qu’elle posait le pied sur la première marche blanche, Egwene fut soudain transportée dans un autre endroit.

De grandes flèches de pierre formaient un cercle autour d’elle, l’emprisonnant dans une arène où la chaleur étouffante transformait son souffle en une sorte de vent sec du désert. Ici, la brise semblait sortir directement d’une fournaise. Au-delà de l’arène, des arbres racornis se dressaient çà et là dans un paysage à part ça vierge de végétation.

Même si elle n’en avait jamais vu en chair et en os, Egwene reconnut le lion niché entre deux rochers, à moins de vingt pas d’elle. Le fauve ne la regardait pas, les yeux rivés sur un spectacle qui se déroulait à quelque cent pas de lui. Devant un buisson d’épineux, un grand sanglier couvert de soie retournait la terre avec son groin sans remarquer l’Aielle qui approchait furtivement, une lance prête à voler dans les airs. Vêtue comme ses compatriotes présentes dans la Pierre, la guerrière portait son shoufa, mais elle avait le visage découvert.

Le désert des Aiels ! pensa Egwene, stupéfaite. Je m’y retrouve parce que j’ai pensé à une Matriarche. Quand apprendrai-je à faire attention à mes idées, quand je suis dans le Monde des Rêves ?

L’Aielle s’immobilisa, le regard braqué sur Egwene et non sur le sanglier. Si c’en était un, car il ne semblait pas avoir la silhouette requise…

L’Aielle n’était pas une Matriarche, avait compris Egwene au premier coup d’œil. Ne portant plus la tenue de son ordre guerrier, selon ce qu’avait entendu dire Egwene, une Promise qui voulait devenir une Matriarche devait « abandonner la Lance ». Il devait donc s’agir d’une Aielle égarée dans le Monde des Rêves, comme le militaire dans le palais. S’il s’était retourné, il aurait d’ailleurs lui aussi vu la Rêveuse…

Egwene ferma les yeux et se concentra sur sa seule véritable image mentale de Tanchico : le squelette géant, dans la grande salle.

Quand elle rouvrit les yeux, elle se retrouva devant l’imposante relique. Cette fois, elle remarqua que le squelette reconstitué tenait avec du fil de fer, le travail étant si ingénieux qu’on ne s’en apercevait pas à première vue. La moitié de statuette était sur son étagère, la sphère de cristal intacte. Egwene n’en approcha pas, ce coup-ci, et elle resta également loin du collier et des bracelets dont émanaient tant de douleur et de souffrance. L’angreal, la femme de pierre, se révéla une très forte tentation.

Et qu’en ferais-tu si tu la prenais ? Tu es là pour enquêter, et rien de plus. Respecte ta feuille de route, femme !

Cette fois, Egwene trouva très vite la sortie. Dans le Monde des Rêves, le temps ne s’écoulait pas comme dans la réalité. Elayne et Nynaeve étaient peut-être sur le point de la réveiller alors qu’elle n’avait même pas commencé ses recherches. N’ayant plus une minute à perdre, elle ne devait surtout pas penser aux Matriarches.

Ce simple rappel à l’ordre fit onduler le décor, autour de la jeune femme, comme s’il allait disparaître.

Concentre-toi sur ce que tu fais !

Dans la ville déserte, Egwene marcha d’un pas vif parfois pas très éloigné de la course. Les rues pavées sinueuses montaient et descendaient sans cesse et elles étaient bien entendu désertes. À part quelques pigeons à dos vert et une poignée de mouettes qui s’envolèrent à tire-d’aile à l’approche de la Rêveuse. Pourquoi des oiseaux et pas d’êtres humains ? Des mouches bourdonnaient dans l’air, des cafards et d’autres insectes rampant dans les recoins sombres. Devant Egwene, des chiens de couleurs différentes avançaient dans la rue en agitant la queue. Pourquoi des chiens et pas des hommes ?

Oubliant ces questions, Egwene se focalisa sur sa mission. C’était quoi, un indice de la présence de l’Ajah Noir ? Et de la menace contre Rand, s’il y en avait une ?

La majorité des bâtiments blancs avait des façades plâtrées craquelées sous lesquelles transparaissaient les briques ou le bois des murs eux-mêmes. Seules les tours et les plus grandes structures – des palais, supposa Egwene – étaient en pierre blanche. Là aussi, la jeune femme repéra des fissures minuscules qu’elle n’aurait sûrement pas vues à l’œil nu. Mais quand le Pouvoir était en elle, amplifiant ses perceptions, les choses cachées lui apparaissaient. Ces détails étaient-ils insignifiants, ou montraient-ils au contraire que les habitants de Tanchico entretenaient mal leur cité ? Cette hypothèse ne semblait pas plus absurde qu’une autre…

Egwene sursauta lorsqu’un homme tomba soudain du ciel devant elle en hurlant de terreur. Vêtu d’un pantalon blanc bouffant, son épaisse moustache couverte par une sorte de voile transparent, l’inconnu disparut alors qu’il était à moins de trois pieds du sol. S’il l’avait percuté, on l’aurait retrouvé mort dans son lit.

Mais il n’a probablement pas plus de rapport avec ma mission que les cafards, pensa Egwene.

Et pour le moment, elle piétinait. Devait-elle entrer dans les bâtiments ? C’était un pari un peu fou, mais quand on était désespérée, toutes les tentatives semblaient bonnes. Enfin, presque toutes… Cela dit, combien de temps lui restait-il ?

Elle commença à courir de porte en porte, passant la tête dans les boutiques, les auberges et les habitations.

Dans les salles communes, des tables et des bancs attendaient les clients en bon ordre, tout comme les chopes et les assiettes rangées sur des étagères. Parfaitement en ordre, comme si elles venaient d’ouvrir le matin même, les boutiques n’en étaient pas moins… étranges. Si on trouvait chez les tailleurs des piles de rouleaux de tissu – et toute une collection de couteaux et de ciseaux chez les couteliers –, on ne voyait pas l’ombre d’un morceau de viande sur les étalages et les crocs des boucheries.

Sur toutes les surfaces où elle passa un doigt, Egwene ne ramena pas un grain de poussière. Une propreté qui aurait satisfait sa mère, pourtant maniaque en la matière.

Dans les ruelles où étaient regroupées les habitations – de simples cubes de bois couverts de plâtre et sans fenêtres donnant sur la rue – Egwene découvrit des bancs installés devant des cheminées éteintes et des tables aux pieds sculptés sur lesquelles trônaient le plus beau saladier ou la plus belle coupe à fruits de la maîtresse de maison. Des vêtements pendaient aux patères, des chardons étaient suspendus au plafond et des outils attendaient sur des établis.