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Les pigeons s’envolèrent et la femme les imita, se dirigeant vers les toits les plus proches avant de disparaître sans crier gare.

Egwene sourit. Presque chaque nuit, elle rêvait qu’elle volait comme un oiseau. N’était-elle pas dans un songe ? Bondissant dans les airs, elle prit elle aussi son envol en direction des toits. Pensant au ridicule de sa situation, elle perdit un peu d’altitude. Voler ? Les gens ne volaient pas, voyons ! Peut-être, mais elle oui, et cette idée, lui redonnant confiance, lui permit de redresser son vol. Dans ce rêve, elle avait les mêmes talents qu’un oiseau, et voilà tout ! Sentant le vent lui fouetter le visage, elle eut envie de rire aux éclats.

Elle survola le Cercle de la Panarch, une arène de terre battue entourée de gradins. Comment imaginer tant de gens rassemblés au même endroit ? Par exemple pour regarder un feu d’artifice donné par la Guilde des Illuminateurs ? À Champ d’Emond, les feux d’artifice étaient un événement rarissime. Dans sa vie, elle en avait vu peut-être deux ou trois, et chaque fois, les adultes étaient au moins aussi excités que les enfants.

Comme un faucon, Egwene survola des palais, des manoirs, des boutiques, des entrepôts, des écuries et d’humbles habitations. Elle passa à côté de dômes surmontés par un minaret doré et une girouette en bronze et de tours dont les balcons, de loin, évoquaient autant de cols de dentelle. Dans les cours, des chariots et d’autres véhicules attendaient le bon vouloir de leur propriétaire. Le port débordait de navires, comme les bras de mer, entre les péninsules. Comme ailleurs dans la cité, tout semblait en assez mauvais état, mais aucun détail, dans tout ça, ne portait la marque de l’Ajah Noir. Du moins, selon Egwene.

Un moment, elle envisagea de se représenter Liandrin avec l’espoir d’être automatiquement attirée vers l’endroit où se cachaient les sœurs noires. Connaissant trop bien le visage de poupée, les nattes blondes, le regard satisfait et la bouche à la moue supérieure de son ennemie, elle n’aurait aucun mal à l’imaginer. Mais si ça fonctionnait, elle risquait de tomber sur Liandrin ici, dans le Monde des Rêves, et de rencontrer en même temps d’autres traîtresses. Pour ça, elle n’était pas assez préparée.

Vraiment ? Dans ce cas, si des sœurs de l’Ajah Noir étaient à Tanchico – dans le Monde des Rêves –, ne s’exposait-elle pas dangereusement ? Un seul coup d’œil leur suffirait à repérer une femme qui volait avec les pigeons et ne disparaissait pas en quelques instants. Troublée, Egwene perdit de nouveau de l’altitude, mais volontairement, cette fois. Volant plus bas que le niveau des toits, elle remonta les rues moins rapidement qu’avant, mais toujours plus vite qu’un cheval lancé au galop. Si elle se précipitait vers les sœurs noires, tant pis ! Mais elle ne pouvait pas s’arrêter et attendre qu’elles lui tombent dessus.

Idiote ! s’admonesta-t-elle. Si elles savent que tu es ici, elles t’ont peut-être déjà tendu un piège.

Egwene envisagea de fuir son rêve pour se retrouver en sécurité dans son lit, à Tear. Mais elle n’avait rien découvert. S’il y avait quelque chose à découvrir…

Une grande femme apparut soudain dans une rue, devant elle. Vêtue d’une large jupe marron et d’un ample chemisier blanc, l’inconnue portait un châle marron sur les épaules et une écharpe pliée autour du front afin de retenir la crinière de cheveux blancs qui cascadait jusqu’à sa taille. Bien que sa tenue fût des plus ordinaires, elle arborait une multitude de colliers et de bracelets en or ou en ivoire – et parfois en un mélange des deux. Les poings plaqués sur les hanches, les sourcils froncés, elle regardait intensément Egwene.

Une autre imbécile qui s’est égarée en rêve dans un endroit où elle n’a aucun droit d’être et qui n’en croit pas ses yeux.

Egwene avait la description de toutes les complices qui avaient accompagné Liandrin. Cette femme ne correspondait à aucune. Pourtant, elle ne se volatilisa pas, restant bien campée sur ses jambes tandis qu’Egwene approchait.

Pourquoi ne disparaît-elle pas ? Par la Lumière ! elle est vraiment…

Egwene saisit les flux afin de tisser la foudre ou d’emprisonner la femme dans un filet d’Air. Dans sa hâte, elle faillit tout emmêler.

— Pose-toi, gamine ! cria la femme. J’ai eu assez de mal à te trouver pour que tu ne me fasses pas le coup du fichu oiseau qui fiche le camp !

Egwene tomba comme une pierre, ses pieds percutant rudement les pavés. Secouée et titubante, elle reconnut cependant la voix de l’Aielle rencontrée plus tôt. Mais cette femme était bien plus âgée – sans être si vieille que ça, contrairement à ce que laissaient penser ses cheveux blancs. Mais la voix et les yeux bleus perçants n’autorisaient aucun doute. C’était bien la même personne.

— Ici, on peut avoir l’apparence qu’on veut, dit la femme, semblant très légèrement embarrassée. Parfois, j’aime me souvenir de… Mais oublions ça ! Tu appartiens à la Tour Blanche ? Voilà longtemps que les sœurs n’ont plus eu de Rêveuse. Très longtemps. Je suis Amys, du clan des Neuf Vallées des Aiels Taardad.

— Une Matriarche ? Oui, c’est ça ! Vous connaissez les rêves et Tel’aran’rhiod. Vous pouvez… Moi, je me nomme Egwene al’Vere. Je…

La jeune femme prit une grande inspiration. Amys n’avait pas l’air d’une personne à qui il faisait bon mentir, mais…

— Je suis une Aes Sedai de l’Ajah Vert.

L’expression d’Amys ne changea pas, à un froncement de sourcils près, peut-être. De fait, Egwene paraissait un peu jeune pour être une Aes Sedai en titre.

— J’avais l’intention de te laisser toute nue jusqu’à ce que tu demandes à porter des vêtements appropriés. Revêtir le cadin’sor comme tu as osé le faire, à croire que tu es… Mais oublions ça aussi ! Tu m’as surprise en te libérant, comme si tu avais retourné ma lance contre moi. Mais tu n’es pas encore formée, n’est-ce pas, même si tu es puissante ? Sinon, tu n’aurais pas fait intrusion en plein cœur de mon terrain de chasse – où tu n’avais à l’évidence aucune envie d’être. Et cette façon de voler… Es-tu venue dans le Monde des Rêves – oui, Tel’aran’rhiod ! – pour découvrir cette ville, où qu’elle se trouve ?

— C’est Tanchico…, soupira Egwene.

Elle ne sait pas où elle est…

Mais comment Amys avait-elle fait pour la suivre ou la retrouver ? De toute évidence, elle en savait plus sur le Monde des Rêves que la jeune femme. Et de loin !

— Vous pouvez m’aider… Je cherche des sœurs de l’Ajah Noir. Des Suppôts des Ténèbres. Je pense qu’elles sont ici, et si j’ai raison, il faut que je les trouve.

— Ce n’est pas une légende, donc…, fit Amys, presque dans un murmure. Il existe un Ajah ténébreux à la Tour Blanche. (Elle secoua la tête.) Tu es comme une jeune fille unie à la Lance qui se croit capable de lutter contre les hommes et de sauter par-dessus les montagnes. Pour elle, le risque est de récolter quelques contusions et de recevoir une salutaire leçon d’humilité. Pour toi, en ce lieu, la mort peut être au bout du chemin.

Amys regarda les bâtiments blancs, tout autour d’elle, et fit la moue.

— Tanchico ? Au Tarabon ? Cette ville agonise parce qu’elle se dévore elle-même. Le mal s’y tapit – une forme d’obscurité. C’est pire que ce que peuvent générer les hommes et même les femmes. (Amys dévisagea Egwene.) Tu ne vois rien et ne sens rien, pas vrai ? Et tu voudrais chasser des sœurs noires capables de marcher dans les rêves ? Dans Tel’aran’rhiod, qui plus est ?