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» Je ne suis pas très calée sur ces questions, cela dit. Depuis mon enfance, je veux devenir une Far Dareis Mai. Dans la vie, tout ce que je désire, c’est la Lance et la compagnie de mes sœurs.

— Personne ne veut te trouver un mari, assura Egwene, sentant la vibrante conviction de la guerrière.

Aviendha sursauta.

Nynaeve se racla la gorge. Pensait-elle à Lan ? se demanda Elayne. C’était possible, à la façon dont ses joues avaient rosi.

— Egwene, dit-elle d’un ton un peu trop énergique, je suppose que tu n’as rien découvert. Sinon, tu nous aurais dit quelque chose.

— J’ai fait chou blanc, avoua Egwene. Mais Amys a dit… Aviendha, quel genre de femme est-elle ?

La guerrière baissa les yeux sur le tapis.

— Elle est dure comme la montagne et impitoyable comme le soleil. Mais elle sait marcher dans les rêves ; donc, elle est à même de te former. Cela dit, une fois qu’elle t’aura mis la main dessus, elle te tirera par les cheveux dans la direction qu’elle estimera juste. Face à elle, Rhuarc seul est capable de résister. Les autres Matriarches ne la contredisent pas, c’est tout dire. Mais elle sera un très bon professeur pour toi.

— Ce n’était pas le sens de ma question… Se retrouver dans un lieu inconnu peut-il la perturber ? Par exemple, être dans une ville ? Verrait-elle des choses qui ne sont pas là ?

Aviendha éclata de rire.

— La perturber ? Trouver un lion dans son lit à son réveil ne la perturberait pas ! Elle était à l’origine une Promise, ne l’oublie pas, et en vieillissant, elle ne s’est pas adoucie, tu peux me croire.

— Qu’a donc vu cette femme ? demanda Nynaeve.

— « Voir » n’est pas le verbe exact… Enfin, je crois. Elle a dit que le mal se tapit à Tanchico. Un mal pire que celui que peuvent faire les hommes. Il peut s’agir de l’Ajah Noir. S’il te plaît, Nynaeve, ne me bombarde pas d’objections. Les rêves doivent être interprétés, et mon hypothèse est plausible.

Nynaeve s’était rembrunie en entendant parler du mal qui se tapissait à Tanchico, et son humeur ne s’améliora pas quand Egwene l’implora de ne pas la harceler. Parfois, Elayne aurait bien secoué comme des pruniers ces deux tigresses. Voulant éviter une éruption volcanique, elle intervint :

— C’est très plausible, oui, Egwene ! Tu as trouvé quelque chose, dirait-on. Ce résultat dépasse mes espérances et celles de Nynaeve. N’est-ce pas, Sage-Dame ?

— C’est possible…, marmonna Nynaeve.

— Possible, oui…, répéta Egwene, pas vraiment ravie. Nynaeve a raison : je dois progresser. Si j’étais formée, je n’aurais pas eu besoin qu’on me parle de ce « mal ». Et j’aurais trouvé l’endroit où se cache Liandrin. Amys peut me donner des cours, et c’est pour ça que je dois aller la voir.

— Dans le désert des Aiels ? s’écria Nynaeve.

— Aviendha peut me conduire à cette forteresse des Rocs Froids, affirma Egwene, regardant ses deux compagnes avec un mélange de défi et d’angoisse. Si j’étais sûre que les sœurs noires sont à Tanchico, je ne vous laisserais pas y aller seules. Mais avec l’aide d’Amys, je peux découvrir où elles sont. Et aussi… Eh bien, je ne sais pas trop, mais j’ai la certitude que je serai bien plus utile qu’actuellement. Ce n’est pas un abandon, vous comprenez ? Et je vous confierai l’anneau de pierre. Vous connaissez assez bien la Pierre pour y revenir sans coup férir dans le Monde des Rêves. Je vous rejoindrai à Tanchico et je vous ferai profiter des leçons d’Amys. S’il vous plaît, soyez d’accord avec moi ! Je peux apprendre tant de choses, puis les mettre à votre service. Nous aurons toutes les trois la même formation, au bout du compte. Amys marche dans les rêves – elle sait ce qu’il faut savoir sur Tel’aran’rhiod. Comparées à nous, Liandrin et ses compagnes seront des ignorantes. Vous n’êtes pas en train de vous dire que j’essaie de me défiler, pas vrai ? Si c’est le cas, je n’irai pas.

— Tu es libre, rappela Elayne. Bien sûr, tu me manqueras, mais on ne nous a pas promis que nous resterions ensemble jusqu’à la fin de cette histoire.

— Mais vous laisser partir seules… Non, il faut que je vous accompagne. Si les sœurs noires sont vraiment à Tanchico, vous aurez besoin de moi.

— Absurde, lâcha froidement Nynaeve. Il te faut une formation. À long terme, ça nous fera plus de bien que de t’avoir avec nous à Tanchico. De plus, nous ne savons même pas si nos ennemies y sont. Et si c’est le cas, Elayne et moi nous en sortirons très bien. Cela dit, nous pouvons découvrir que ce « mal », c’est tout simplement la guerre. La Lumière m’en soit témoin, il n’est guère de démon plus cruel… Avec un peu de chance, nous serons revenues à la tour avant toi. Mais sois prudente dans le désert des Aiels. C’est un endroit dangereux. Aviendha, tu veilleras sur elle ?

Avant que la guerrière ait pu répondre, quelqu’un frappa à la porte puis entra sans attendre qu’on l’y invite. C’était Moiraine. Après un examen minutieux des trois jeunes femmes – et sans rien trahir des conclusions qu’elle avait atteintes à leur sujet –, elle déclara froidement :

— Joiya et Amico sont mortes.

— C’était le but de cette attaque ? demanda Nynaeve. Tout ça pour les éliminer ? Ou pour les abattre s’il se révélait impossible de les libérer ? J’étais certaine que Joiya, pour afficher une telle sérénité, devait attendre des secours. Elle mentait, faut-il conclure. Je n’ai jamais cru en son repentir.

— Ce n’était sans doute pas l’objectif principal de l’assaut, dit Moiraine. Pendant la bataille, le capitaine, très sagement, a gardé ses hommes en poste dans le donjon. Ils n’ont pas vu l’ombre d’un Myrddraal ni d’un Trolloc. Mais après l’attaque, ils ont trouvé les prisonnières mortes, la gorge tranchée. Après qu’on eut cloué leur langue à la porte de leur cellule.

À sa manière de parler, Moiraine aurait très bien pu être en train d’évoquer une robe à repriser.

Elayne eut l’estomac retourné par cette description.

— Je ne leur aurais pas souhaité un sort pareil… La mort, peut-être, mais pas comme ça. Que la Lumière illumine leur âme !

— Il y a longtemps qu’elles avaient vendu leur âme aux Ténèbres, dit Egwene, presque aussi pâle que son amie. Qui a fait ça ? Des Hommes Gris ?

— Je doute que ce soit dans leurs cordes, répondit Moiraine. Mais les Ténèbres ont des ressources qui dépassent notre imagination, semble-t-il.

— Semble-t-il, oui…, dit Egwene en tirant sur sa chemise de nuit. S’il n’y a pas eu tentative de les libérer, il faut en conclure qu’elles disaient la vérité. On les a tuées parce qu’elles parlaient trop.

— Ou pour les empêcher de continuer, ajouta Nynaeve, sinistre. Avec un peu de chance, nos ennemis ignorent ce qu’elles nous ont dit. Joiya s’était peut-être vraiment repentie, mais je n’y crois pas.

Elayne imagina ce que c’était d’être dans une cellule, le visage pressé contre la porte afin qu’on puisse vous tirer la langue hors de la bouche et…

Elle frissonna mais parvint à se reprendre.

— On les a peut-être exécutées pour les punir de s’être laissé capturer.

Elayne préféra ne pas mentionner une hypothèse encore plus dérangeante. Cette exécution avait peut-être pour but de les inciter à croire ce que les prisonnières avaient raconté. Mais quand on doutait déjà beaucoup, mieux valait ne pas en rajouter…

— Pour les punir ? répéta Nynaeve, aussi troublée qu’Egwene.

Sur bien des points, et Elayne les admirait pour ça, les deux villageoises étaient plus endurcies que la Fille-Héritière. Mais elles n’avaient pas grandi au sein de la cour de Caemlyn, où les complots fleurissaient, passant comme elle leur enfance à entendre de terribles histoires sur la façon dont on jouait au Grand Jeu dans les maisons du Cairhien et de Tear.