Выбрать главу

— Une coutume de Mayene…, ironisa-t-elle. Les Teariens ont souvent recours à des tueurs, et les gardes ne peuvent pas être en permanence assez près pour intervenir. Je déteste qu’on m’attaque, paysanne ! Alors, écoute bien ce que je vais faire. Je te volerai le forgeron et je m’amuserai avec lui jusqu’à ce que je m’en lasse. J’en fais un serment d’Ogier, ma fille ! Il est très séduisant, avec ses larges épaules, ses bras musclés et ses yeux jaunes. Encore un peu rustre, c’est vrai, mais tout peut s’arranger. Mes courtisans lui apprendront à se vêtir et le débarrasseront de cette affreuse barbe. Où qu’il aille, je le trouverai et je m’en emparerai. Tu le récupéreras quand j’en aurai fini avec lui. S’il veut encore de toi.

Recouvrant son souffle, Faile se leva et dégaina un autre couteau.

— Après avoir découpé ces vêtements que tu fais mine de porter, je te traînerai devant lui pour que tu avoues n’être qu’une sale truie.

Lumière, aide-moi ! je me comporte et je parle comme une paysanne !

Le plus grave, c’était qu’elle pensait chaque mot qui sortait de sa bouche.

Berelain adopta une posture défensive. À l’évidence, elle avait l’intention d’utiliser ses mains, pas le couteau – elle le tenait comme un éventail !

Faile avança sur la pointe des pieds.

Rhuarc se matérialisa entre les deux belligérantes. Les toisant, il les délesta de leur arme avant qu’elles aient compris ce qui se passait.

— Vous n’avez pas vu assez de sang aujourd’hui ? demanda-t-il. Parmi tous les gens que je soupçonnais de vouloir troubler la paix, vos noms venaient en dernier.

Faile regarda l’Aiel, bouche bée. Sans crier gare, elle pivota sur elle-même et lui décocha un direct. Aucun colosse ne pouvait encaisser sans broncher un tel coup dans les côtes.

Se déplaçant comme s’il ne la regardait pas, Rhuarc lui saisit le poignet au vol et lui tordit le bras dans le dos. Le dos bien droit, Faile espéra qu’il n’allait pas lui déboîter l’épaule.

D’un ton presque mondain, l’Aiel s’adressa à Berelain :

— Toi, tu vas aller dans ta chambre, et tu n’en sortiras pas avant le lever du soleil. Je ferai en sorte qu’on ne t’apporte pas de petit déjeuner. Avoir faim te rappellera qu’il y a des lieux et des endroits pour se battre…

— Je suis la Première Dame de Mayene ! On ne me donne pas d’ordres comme à une…

— File dans ta chambre !

Faile se demanda si elle ne pouvait pas profiter de cette diversion pour flanquer un coup de pied à l’Aiel. Il dut sentir ses muscles se tendre, car il accentua la pression sur son poignet, la forçant à tomber à genoux.

— Si tu résistes, dit Rhuarc à Berelain, nous répéterons notre première conversation. Ici même…

Berelain devint alternativement blême et écarlate.

— Très bien… Si tu insistes, je…

— Je ne t’ai pas proposé une conversation ! Si tu es encore là quand j’aurai compté jusqu’à trois… Un…

Berelain souleva l’ourlet de sa robe et détala. Dans sa hâte, elle n’oublia cependant pas de tortiller des hanches.

Faile savoura cet étrange spectacle qui valait bien de se faire presque arracher un bras. Suivant lui aussi Berelain du regard, Rhuarc eut un petit sourire.

— Tu as l’intention de me tenir toute la nuit ? grogna Faile.

L’Aiel la lâcha et glissa les deux couteaux dans sa ceinture.

— Eh ! ils sont à moi !

— Confisqués ! La punition de Berelain aura été d’être envoyée au lit comme une enfant devant toi. La tienne est de perdre des armes auxquelles tu tiens. Je sais que tu en as d’autres. Si tu contestes ma décision, je les prendrai aussi. Je refuse qu’on trouble la paix !

Faile foudroya Rhuarc du regard, mais elle n’insista pas. Les couteaux étaient sortis de l’atelier d’un artisan de génie. Des armes parfaitement équilibrées.

— C’était quoi, votre « première conversation », pour qu’elle file comme ça ?

— C’est entre elle et moi… Ne t’approche plus d’elle, Faile. Je ne crois pas qu’elle ait commencé, parce qu’elle n’utilise pas de couteau. Si vous semez encore le trouble, je vous forcerai à transporter les abats. Certains nobliaux ont cru pouvoir continuer à se battre en duel après que j’ai établi la paix ici, mais l’odeur des chariots de poubelles les a convaincus d’arrêter. À ta place, je prierais pour ne pas avoir à apprendre ma leçon à ce prix.

Avant de masser son épaule, Faile attendit que l’Aiel soit parti. Cet homme la faisait penser à son père. Non que son géniteur lui eût jamais tordu le bras, mais lui aussi manquait de patience avec les trublions de tout poil, et personne n’avait jamais réussi à le prendre par surprise.

Faile se demanda si elle pouvait pousser Berelain à la faute, histoire de la voir défaillir au milieu des poubelles. Mais Rhuarc les avait menacées toutes les deux de ce châtiment. Son père aussi, tenait toujours parole.

Berelain… Quelque chose qu’elle avait dit lui trottait dans la tête.

Oui, c’était ça ! Un « serment d’Ogier »… Les Ogiers respectaient envers et contre tout leur parole. Évoquer un « Ogier parjure » revenait à parler d’un « lâche courageux » ou d’un « idiot intelligent ».

Faile ne put s’empêcher de ricaner.

— Tu veux me le voler, sale petite paonne ? Avant que tu le revoies, si tu le revois un jour, il sera de nouveau à moi.

Gloussant bêtement, Faile se remit en chemin le cœur léger… et l’épaule atrocement douloureuse.

15

Dans le portique

Mat leva sa lampe à huile et sonda l’étroit couloir qui s’enfonçait dans les entrailles de la Pierre.

« Sauf si ma vie en dépend. » C’est ça que j’ai juré ? Eh bien, que la Lumière me brûle si elle n’en dépend pas !

Avant que le doute s’empare de nouveau de lui, il avança, passant devant des portes dégondées au bois pourri – des spectres d’huis fixés à des fantômes d’encadrement. Le sol avait été récemment balayé, certes, mais l’air empestait encore la moisissure. Quand une ombre bougea dans un coin, Mat dégaina son couteau à la vitesse de l’éclair. Tout ça pour un rat effrayé qui détalait probablement vers quelque trou salvateur.

— Montre-moi la sortie et je te suivrai…, murmura Mat à l’intention du rongeur.

Pourquoi est-ce que je chuchote ? Il n’y a personne pour m’entendre.

Peut-être, mais cet endroit incitait à la discrétion. Sans doute parce qu’on y sentait peser sur sa tête tout le poids de la Pierre de Tear.

« La dernière porte », avait dit son amie. À moitié dégondée, comme les autres… Quand Mat voulut l’ouvrir d’un coup de pied, le battant s’écroula sur le sol. La pièce qu’il défendait (fort mal) débordait de caisses, de tonneaux et d’autres objets parfois empilés jusqu’au plafond. Bien entendu, tout était recouvert de poussière.

Le Grand Trésor ! On dirait plutôt la cave d’une ferme abandonnée, en pire !

Mat s’étonna que Nynaeve et Egwene n’aient pas épousseté et rangé pendant qu’elles étaient ici. Les femmes avaient une compulsion à briquer et à mettre de l’ordre, même quand ça n’était pas utile.

Sur le sol, des dizaines d’empreintes se croisaient. Sans nul doute, les deux femmes avaient eu recours à des domestiques costauds pour déplacer les objets les plus lourds. Nynaeve adorait trouver un moyen de faire trimer les hommes. Telle qu’il la connaissait, elle avait dû fondre comme un vautour sur de braves types en train de se distraire un peu.

Dans ce fouillis, Mat repéra pourtant assez vite ce qu’il cherchait. Un portique en pierre rouge qui brillait bizarrement à la lumière de sa lampe. Quand il se fut approché, l’artefact continua à lui paraître bizarre, comme s’il était tordu. En tout cas, ses yeux refusaient de suivre les contours d’un cadre dont les côtés n’étaient pas vraiment d’équerre. Pour tout dire, le grand rectangle creux semblait à un souffle de s’effondrer. Mais quand Mat le poussa légèrement, il resta debout.