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— Les hommes sont difficiles à comprendre, compatit Nynaeve.

— Je n’aurais vraiment pas cru qu’il était si… si…, commença Egwene.

La Fille-Héritière et l’ancienne Sage-Dame ne surent jamais la suite, car la porte s’ouvrit si violemment qu’elle alla rebondir contre le mur.

Elayne s’unit au saidar… et rougit d’embarras quand le battant baladeur vint percuter la main tendue de Lan.

La Fille-Héritière décida de rester en contact avec la Source. À tout hasard…

Ses larges épaules emplissant l’encadrement de la porte, le Champion, visiblement furieux, rivait sur Nynaeve des yeux bleus qui lançaient des éclairs.

L’aura du saidar enveloppait aussi Egwene, et là encore, elle ne disparut pas.

— Tu m’as fait croire que tu retournerais à Tar Valon, dit Lan à Nynaeve.

Elayne aurait juré qu’il ne voyait qu’elle dans la pièce.

— Tu l’as déduit de mes propos, mais je ne l’ai jamais dit.

— Vraiment ? Tu parlais de partir aujourd’hui, et tu mentionnais dans le même souffle les deux Suppôts des Ténèbres qui devaient embarquer pour Tar Valon. Qu’aurais-je dû en conclure ?

— Mais je n’ai jamais…

— Par la Lumière, femme ! ne joue pas sur les mots avec moi !

Elayne et Egwene échangèrent un regard inquiet. Cet homme exerçait d’habitude un contrôle d’acier sur ses nerfs, mais là, il avait atteint son point de rupture. Coutumière des explosions de colère, Nynaeve, en revanche, restait d’un calme impressionnant.

Non sans effort, Lan parvint à se ressaisir. Le visage de pierre, il redevint le guerrier impassible que rien ne perturbait – en surface seulement, aurait juré Elayne.

— Je n’aurais pas su où tu allais si tu n’avais pas commandé un carrosse afin de rejoindre un vaisseau en partance pour Tanchico. J’ignore pourquoi la Chaire d’Amyrlin vous a autorisées à quitter la tour – ni pourquoi Moiraine vous a chargées d’interroger des sœurs noires –, mais vous êtes des Acceptées, pas des Aes Sedai ! Tanchico est un endroit dangereux, sauf peut-être pour une Aes Sedai dont un Champion surveille attentivement les arrières. Je vous interdis de partir !

— Si je comprends bien, fit Nynaeve, très détachée, tu contestes les décisions de Moiraine et de la Chaire d’Amyrlin ? Aurais-je mal compris ce qu’est un Champion ? Lan, je croyais que tu avais juré d’accepter et d’obéir, entre autres choses. Je comprends que tu t’inquiètes, et ça me touche – c’est peu de le dire, crois-moi ! –, mais nous avons tous un devoir à accomplir. Nous partons, et tu dois t’y résigner.

— Pourquoi Tanchico ? Pour l’amour de la Lumière, explique-moi !

— Si Moiraine ne te l’a pas dit, c’est peut-être pour une raison, non ? Nous devons accomplir notre devoir, comme toi.

Tremblant de rage – oui, tremblant ! –, Lan serra les mâchoires. Puis il parla d’un ton bizarrement hésitant :

— Tu auras besoin de soutien, à Tanchico. Quelqu’un qui empêche un maudit voleur de te planter son couteau dans le dos afin de voler ta bourse. Tanchico était une ville sans loi avant la guerre, et on affirme que c’est encore pire aujourd’hui. Nynaeve, je pourrais… te protéger.

Elayne fronça les sourcils. Lan ne pouvait pas avoir l’intention de… Non, c’était impossible !

Nynaeve ne broncha pas, comme s’il n’avait rien dit d’extraordinaire.

— Ta place est aux côtés de Moiraine.

— Moiraine…

Le front ruisselant de sueur, le Champion lutta pour parler :

— Je peux… il faut… Nynaeve, je…

— Tu resteras avec Moiraine tant qu’elle ne te libérera pas de votre lien. C’est compris ?

Sortant de sa bourse une feuille de parchemin soigneusement pliée, Nynaeve la lança à Lan. Il la déplia, la lut, cilla et lut une seconde fois, comme s’il n’en croyait pas ses yeux.

Elayne connaissait le contenu de la lettre.

« Tout ce que fait la personne porteuse de ce document est couvert par mon autorité, consécutivement à des ordres que j’ai donnés. J’entends qu’on ne lui fasse pas obstacle et qu’on lui obéisse.

Siuan Sanche

Gardienne des Sceaux

Flamme de Tar Valon

Et Chaire d’Amyrlin »

Un document identique se trouvait dans la bourse d’Egwene. Là où elle allait, cependant, nul ne savait quel bien ça lui ferait.

— Ce texte t’autorise à faire ce que tu veux ! s’exclama Lan. Tu peux parler au nom de la Chaire d’Amyrlin. Pourquoi aurait-elle donné une telle arme à une Acceptée ?

— Ne pose pas de questions auxquelles je ne sais pas répondre, dit simplement Nynaeve.

Elle ajouta avec un sourire :

— Mais estime-toi heureux que je ne t’ordonne pas de danser pour moi.

Elayne réprima un petit sourire. Quand la Chaire d’Amyrlin leur avait remis les lettres, Nynaeve avait parlé de « faire danser un Champion ». Aucune de ses amies n’avait eu le moindre doute sur l’identité du Champion en question…

— Tu n’en es pas loin…, soupira Lan. Cette façon de disposer de moi ! Le lien, mes serments… et enfin cette lettre…

Reprenant le document, Nynaeve le remit dans sa bourse en faisant mine de ne pas voir la lueur presque féroce qui passait dans les yeux du Champion.

— Tu te surestimes, al’Lan Mandragoran… Nous faisons ce que nous devons faire, comme tu t’y résigneras.

— Me surestimer ? Moi, je me surestime, Nynaeve al’Meara ?

Lan bondit si brusquement sur Nynaeve qu’Egwene, d’instinct, faillit l’emprisonner dans un tissage d’Air.

Alors qu’elle regardait l’homme qui fondait sur elle, n’en croyant pas ses yeux, Nynaeve décolla soudain du sol, deux bras noués autour de sa taille, et reçut le baiser le plus fougueux qu’on puisse imaginer. Au début, elle tenta de détourner la tête et martela de coups de poing la poitrine de Lan. Mais sa résistance fut de courte durée. Les mains sur les épaules de son amoureux, elle cessa de se défendre.

Quand le Champion la reposa sur le sol, elle tituba un peu tout en tirant sur sa robe d’une main, l’autre remettant de l’ordre dans ses cheveux.

— Tu n’as pas le droit… (Le souffle court, Nynaeve prit le temps de respirer à fond.) Je ne serai pas le jouet d’un homme devant le monde entier. Tu m’entends ?

— Le monde entier ? Non, tes amies, simplement… Mais si elles ont des yeux, elles ont aussi des oreilles. Tu as su trouver une place dans mon cœur alors que je le croyais rempli par le devoir. Là où je faisais pousser des pierres et de la poussière, tu as planté des fleurs. Tout au long du voyage que tu t’entêtes à vouloir faire, n’oublie pas ceci : s’il t’arrivait malheur, je ne te survivrai pas longtemps.

Lan fit à Nynaeve un de ses très rares sourires. Sans adoucir vraiment son visage de pierre, ça le rendait un rien moins… minéral.

— Souviens-toi aussi que ma volonté ne plie pas souvent si facilement, même face à une lettre de la Chaire d’Amyrlin.

Lan s’inclina avec grâce. Un instant, Elayne crut qu’il allait embrasser la bague au serpent.

— Tu as ordonné, et j’obéis…

Un serment ironique ou la stricte vérité ?

Dès que Lan fut sorti, Nynaeve se laissa tomber au bord du lit comme si elle autorisait enfin ses genoux à se dérober. Pensive, elle regarda la porte.

— Embête un peu trop le chien le plus docile, fit Elayne, citant un proverbe andorien, et il finira par mordre. Et on peut trouver plus docile que Lan.

Nynaeve foudroya du regard l’impertinente Fille-Héritière.

— Il est insupportable, dit Egwene. Parfois, il n’y a pas d’autre adjectif pour le qualifier. Nynaeve, pourquoi t’es-tu comportée ainsi ? Il était prêt à t’accompagner, et tu rêves de le libérer de Moiraine. N’essaie pas de nier, ça crève les yeux.