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— La Chaire d’Amyrlin est une femme charmante, mon seigneur… Elle me demande comment je passe le temps et me complimente sur ma coiffure. Elle doit espérer que je choisirai bientôt entre Darvan et Goemal, mais ça m’est impossible. (Min écarquilla les yeux, un bon moyen, selon elle, de sembler perdue et vulnérable.) Ils sont si mignons ! Qui donc as-tu dit ? Ta sœur, la Fille-Héritière ? Non, la Chaire d’Amyrlin n’en a pas dit un mot, à ma souvenance. Quel était l’autre nom ?

Min entendit Gawyn grincer des dents.

— Nous ne devrions pas ennuyer maîtresse Elmindreda avec ça, intervint Galad. C’est notre problème. À nous de découvrir le mensonge et de faire ce qu’il faut.

Min écouta à peine, car quelque chose venait d’attirer son attention. Un homme de haute taille aux longs cheveux noirs bouclés tombant sur ses épaules qui allait et venait sous l’œil attentif d’une Acceptée. Logain… Ou plutôt l’ombre de Logain, désormais toujours accompagné par une Acceptée. Chargée de l’empêcher de s’évader ou d’éviter qu’il se suicide ? Les deux, probablement, même si dans son état, il ne devait guère songer à s’enfuir.

Min avait déjà vu le faux Dragon. En revanche, c’était la première fois qu’elle apercevait autour de sa tête un halo jaune et bleu. Ce fut fugitif, certes, mais impossible à rater.

Logain avait prétendu être le Dragon Réincarné. Capturé puis apaisé, il ne gardait sûrement plus qu’un très vague souvenir de sa gloire usurpée. De cette aventure, il gardait uniquement le désespoir des apaisés. Comme si on lui avait arraché la vue, l’ouïe et le goût, il ne lui restait plus que l’envie de mourir, un sort de toute façon inévitable pour les hommes comme lui – et dans un assez bref délai.

Logain tourna la tête vers la jeune femme, qui n’aurait pas juré qu’il la voyait vraiment. Mais que signifiait ce halo annonciateur de gloire et de puissance ? Min devrait absolument en parler à la Chaire d’Amyrlin.

— Le pauvre gars…, souffla Gawyn. Je ne peux pas m’empêcher de le prendre en pitié. Le laisser en finir serait plus humain. Pourquoi le condamner à vivre ?

— De la pitié, lui ? s’écria Galad. Il n’en mérite pas. As-tu oublié ce qu’il était et ce qu’il a fait ? Combien de milliers de morts, avant sa capture ? Combien de villes brûlées ? Que son calvaire soit un avertissement pour ses émules.

Gawyn acquiesça à contrecœur.

— Pourtant, il a eu des fidèles. Certaines de ces villes furent brûlées parce qu’elles avaient pris son parti.

— Je dois partir, dit Min en se levant.

Galad recouvra aussitôt toute sa galanterie.

— Pardonne-nous, maîtresse Elmindreda, nous ne voulions pas t’effrayer. Logain ne peut pas te faire de mal, parole de Galad !

— Je… en sa présence, je me sens mal. Vraiment, il faut que j’aille m’étendre.

Gawyn sembla très sceptique. Il s’empara pourtant du nécessaire de la jeune femme.

— Laisse-moi t’accompagner un bout de chemin, implora-t-il, feignant une grande inquiétude. Ce nécessaire est trop lourd pour quelqu’un qui ne se sent pas bien. Je ne voudrais pas que tu t’évanouisses.

Min eut envie d’arracher le nécessaire à ce jeune coq et de l’assommer avec. Mais Elmindreda ne se comportait pas ainsi.

— Merci, seigneur Gawyn ! Tu es si gentil. Non, seigneur Galad, inutile de m’accompagner aussi. Assieds-toi sur le banc et lis ton traité. Jure de le faire, sinon, j’en serais bouleversée.

Histoire de ponctuer sa tirade, Min battit des cils.

Sa tactique fonctionna. Laissant Galad sur le banc, elle s’éloigna, Gawyn sur les talons. Maudite robe, qui lui interdisait de partir à la course ! Mais Elmindreda n’était pas du genre à courir, et encore moins à relever très haut l’ourlet de sa robe, sauf quand elle dansait. Laras avait été très claire sur ce point : une seule course, et elle aurait dévasté presque irrémédiablement l’image d’Elmindreda.

Restait le problème de Gawyn.

— Donne-moi ce nécessaire, crétin décérébré ! lança-t-elle dès qu’ils ne furent plus dans le champ de vision de Galad. (Elle récupéra son bien d’autorité.) Quelle idée de mentionner Elayne et Egwene devant lui ? Elmindreda ne les connaît pas, leur sort l’indiffère et elle refuse qu’on parle d’elle dans une phrase où figurent leurs noms. Tu peux te fourrer ça dans le crâne ?

— Non, pas tant que tu ne m’auras pas tout expliqué. Cela dit, je suis navré. (Min n’en crut pas un mot.) Je m’inquiète, comprends-tu ? Où sont-elles ? Ces rumeurs sur la présence d’un faux Dragon à Tear ne me rassurent pas. Elayne et Egwene sont quelque part, la Lumière seule sait où, et j’ai peur qu’elles soient perdues au milieu d’une tempête semblable à celle que Logain a déclenchée au Ghealdan.

— Et s’il ne s’agissait pas d’un faux Dragon ?

— Tu dis ça parce qu’on raconte qu’il a pris la Pierre de Tear ? Les rumeurs, toujours… J’y croirai quand je verrai ça de mes yeux, et ça ne suffira pas à me convaincre. Même la Pierre n’est pas inexpugnable. Tu sais, je doute qu’Elayne et Egwene soient à Tear, mais ne pas savoir me ronge l’âme comme un acide. Si elle est blessée…

Min n’aurait su dire qui désignait ce « elle ». Le jeune homme non plus, selon elle. Même s’il la taquinait, elle était de tout cœur avec lui, mais sans pouvoir l’aider.

— Si tu pouvais au moins m’écouter et…

— Me fier à la Chaire d’Amyrlin ? Je sais… (Gawyn soupira.) Dire que Galad a trinqué avec des Capes Blanches dans plusieurs tavernes. À condition de venir en paix, tout le monde peut franchir les ponts, même les Fils de la Lumière.

— Galad ? Trinquer dans des tavernes ?

— Avec modération, bien sûr… Même pour son anniversaire, il ne lève jamais le coude plus que de raison. (Gawyn sembla se demander si c’était vraiment une critique ou plutôt un compliment.) L’essentiel est ailleurs. Il parle avec des Capes Blanches ! Et maintenant, ce livre… Si on en croit la dédicace, Eamon Valda en personne le lui a remis. « Avec l’espoir que tu trouves ton chemin. » Valda ! L’homme qui commande les Fils de la Lumière massés de l’autre côté de tous les ponts. Pauvre Galad, l’ignorance le rend fou lui aussi. Si quelque chose arrive à notre sœur ou à Egwene…

» Min, sais-tu où elles sont ? Si tu en étais informée, me le dirais-tu ? Pourquoi te caches-tu ici ?

— Parce que j’ai fait perdre la raison à deux hommes sans pouvoir me décider pour l’un d’eux !

Gawyn eut un ricanement qu’il transforma en sourire.

— Voilà une histoire que je peux croire…, fit-il, flatteur. (Il caressa Min sous le menton.) Tu es une très jolie fille, Elmindreda. Jolie et intelligente.

Min ferma le poing et essaya bel et bien de faire un œil au beurre noir à l’insolent. Mais il esquiva et elle se prit les pieds dans sa robe, manquant s’étaler.

— Gros bovin sans cervelle ! Crétin d’homme !

— Quelle grâce, Elmindreda ! railla Gawyn. Et quelle douce voix ! Un vrai rossignol ! Voire une colombe qui roucoule par une paisible soirée. (Il redevint sérieux.) Si tu apprends quelque chose, tiens-moi informé, je t’en supplie à genoux.

— Je t’informerai, oui…

Si je peux. Si ça n’est pas dangereux pour mes amies. Mais je déteste cet endroit ! Pourquoi ne puis-je pas aller rejoindre Rand ?

Min planta Gawyn là et entra dans la tour, se préparant à subir les questions d’une Aes Sedai ou d’une Acceptée se demandant ce qu’elle faisait au rez-de-chaussée et où elle comptait aller. La nouvelle concernant Logain était trop importante pour qu’elle attende sa rencontre « fortuite » avec la Chaire d’Amyrlin, en fin d’après-midi, comme d’habitude. En tout cas, elle en était persuadée, et l’impatience la faisait bouillir intérieurement.