— Merci, lui dis-je avec chaleur, vous m’avez probablement sauvé la vie. Mes bandits vous ont demandé après moi ?
Elle opine.
— Je leur ai dit que vous aviez traversé la cour et franchi la clôture du fond.
— Bravo. Vous connaissez ces gens-là ?
— Oui. Ils habitent le pays depuis quelque temps. Ce sont des étrangers… Ils ont racheté la conserverie abandonnée.
Des étrangers par rapport à quoi ?
— Quelle est cette île, miss ?
Elle écarte ses vasistas à franges.
— Vous ne le savez pas ?
— On m’a amené ici en hélicoptère.
— En effet, ils en ont un. Eh bien c’est l’île de Godmichey, à seize miles du comté de Cornouailles. Un coin perdu, ajoute-t-elle en souriant.
— Il y a un shérif, ici ?
— Oh, non. À quoi bon ? Il reste tout juste deux douzaines d’habitants.
Je commence à piger que cet endroit est séduisant pour des gens désireux d’y abriter un trafic clandestin.
— Le téléphone ?
— Chez le pasteur, et à la conserverie…
— Il va falloir que je contacte le pasteur, dis-je péremptoirement.
La délicieuse petite rouquine réfléchit.
— Voulez-vous prendre un bain et changer de vêtements ? Vous êtes si plein d’écailles et si malodorant que vous ressemblez à un gros poisson.
— Volontiers, mon joli petit cœur, mais où trouverais-je d’autres fringues ?
— Il y a les habits de mon père qui est mort, je pense qu’ils seront un peu justes car vous êtes très athlétique (une connaisseuse !) mais vous pouvez toujours les essayer. Venez…
Elle me conduit à un escalier de pierre qui pue l’humidité. Je la suis jusqu’au premier. Là est un logement modeste mais relativement confortable. Je pénètre dans une grande pièce où cinq petits lits sont alignés. Je regarde la jeune fille d’un air interrogateur auquel elle ne résiste pas :
— Oui, mes élèves prennent pension ici, fait-elle, j’ai passé un accord avec leurs familles. Ici, les femmes vont pêcher l’anchois avec leurs maris et cela les arrange de se décharger tout à fait de leur progéniture… Tenez, la salle de bains est ici. Pas très luxueuse, mais il y a de l’eau chaude et une baignoire sabot. Je vais essayer de vous dénicher des vêtements.
Je lui décoche le grand merci de d’Artagnan venant de s’embroquer Mme Bonacieux et je m’enferme dans la salle d’eau. Tu ne trouves pas que ça s’appelle avoir du bol, toi ?
Mon ange gardien est capricieux, parfois, mais dans l’ensemble c’est un petit emplumé qui connaît son boulot.
Quelle délectation, mon z’ami, que de l’eau chaude dans mon cas ! Je me fourbis de partout : les entre-orteils, les entre-meules, le dessous des aumônières, là que ça fait un peu nid à poussière. Je lui carbonise sa grosse savonnette à la mimiss. Plus un demi-litron d’eau de Cologne. Je me fais les ongles, je me shampouine, me lotionne, torchonne, frictionne, décape, rince-bouche.
Quand enfin je m’hasarde hors de la salle de bains, je reluis comme une pièce frappée à l’effigie du roi soleil quand elle est fleur de coin (et lui fleur de nave).
Des vêtements sont préparés sur le premier des cinq plumards. Un futal de velours, de grosses chaussettes de laine, un fort tricot de marin, des sandales de cuir.
J’arrive à m’insérer dans ces différents réceptacles. Ça craque un chouille aux entournures, mais je suis relingé et c’est là l’essentiel.
— Je peux ? demande la jolie voix de mon hôtesse.
— Et comment !
Elle paraît. Elle a posé sa blouse bleue à col blanc et elle porte un pantalon de lin bis qui lui moule le tortillard comme une pelure d’oignon moule son oignon, et un sweater-polo jaune souci qui lui exalte à la fois la chevelure et les loloches.
— C’est quoi votre nom, miss ? que je puisse réclamer la bénédiction céleste pour vous sans risquer que mes prières fassent retour pour cause d’adresse incomplète ?
— Kasleen, me répond l’adorable sauveuse.
Elle ajoute en souriant :
— Malgré l’état de ces hardes, je vous préfère ainsi.
Tu me connais ? Faut pas qu’une gonzesse me préfère trop ouvertement, moi, sinon je perds vite le contrôle de ma direction.
Si tu veux mon avis, cette jeune beauté doit se faire tarter comme mille rats morts sur son îlot à la con, en compagnie de ses petits saucissons. C’est pas humain, une vie pareille. Vaut mieux le Carmel. Au Carmel, au moins y’a la télévision et des plombiers pour réparer les fuites d’eau.
À mener cette existence reculée, elle va acquérir des complexes indélébiles, Kasleen ; ultra-pernicieux. Je décide séance tenante de faire quelque chose pour elle. Si on s’entraide pas, la civilisation est compromise, tu crois pas ? Non-assistance à personne en danger d’amour, ça peut te mener loin dans les affres du remords à deux temps.
Je lui déboule ma toute grande œillade façon glauque sur fond d’azur, avec arrière-pensées sous cul tanné. On jurerait que ça la trouble (répondit cette bébête cruelle). Je propulse dans sa direction deux bras arrondis de danseur mondain sur le chantier de la guerre. Elle ne recule pas ; alors j’avance. C’est humain. Tu ferais quoi, à ma place, toi ? Pour commencer la galoche galvaudeuse, hein ? Et puis les mains au guidon, non ? Le débouclage futalien, pour continuer. Puis le dégagement de la salle des fêtes. La mise en place de ton jeu de croquet à arceaux, pas vrai ? Avec, en enchaîné direct le trombone ascendant. Exactement comme moi, mon grand. On a positivement les mêmes marottes, les deux, tu ne trouves pas ? Je lui trémulse plantigrades story, contre l’évier. Un conseil que je te donne au pesage, comme dit un de mes potes jockey : quand tu télescopes une gonzesse, embourbe-la debout, façon Clemenceau. Manière de lui exhibitionner ta force et ta souplesse. Ton potentiel d’ardeurs. Tu l’équestres sur ton point d’appui, tel Atlas soulevant le monde, et ensuite tu la promènes un brin afin de lui démontrer que tu sais jouer en marchant. Elles raffolent de cette performance, les gerces. Ça les conditionne fortement pour des avenirs plus douillets. Doré de l’avant (comme exprime Béru) t’es un mâle considéré. Respecté. T’as conquis sur elle ton bâton de maréchal (des logis accueillants).
Elle est à ce point suspendue à mon cou qu’elle m’en bloque la veine jugulaire, cette petite sauvageonne.
Je lui remonte tellement la ligne Maginot à moustache et de si frénétique façon qu’elle risque une perforation des poumons. Elle gémit en anglais, ce qui fait toujours bien dans une conversation. Ses « Aoh ! Aoh ! » m’entriquent le mental. Plus elle brame, plus mon désir s’accroît et moins ses effets se reculent. On va vers des apothéoses, mon chou. Vers des triomphes rarissimes. C’est de la besogne hors catégorie. De l’art concret poussé jusqu’à l’abstraction (avant). Quand je partirai d’elle elle aura un grand vide au cœur, moi je te le dis. Faudra qu’elle le comble avec de la paille. C’est la passion farouche, trépidante, hurlante. Heureusement que les cinq mouflets font un foin de Dieu, dans la cour, sinon notre séance bloquerait l’attention du village. Je me ferais retapisser par mes poursuivants.
Jamais mon club de golf tout terrain ne s’est montré plus résistant. T’attacherais un sac de farine de cent kilos après, il pourrait le soulever, je t’assure. Kasleen, c’est écarteleen, maintenant. Elle me quitterait pour s’asseoir sur une borne kilométrique, tu ne saurais plus à quelle distance tu te trouves de Châteauroux.
Bon, j’en passe…
Et, comme dit l’autre : des meilleurs.
M’étant remis le compteur à zéro sans majoration de tarif, j’ai droit à une collation régénératrice. Thé, puddinge, cake, marmelade.