Elle me bouffe des yeux, la chérie. Faudra que je lui enseigne une autre manière. Je voudrais pas avoir l’air de me vanter, mais sache qu’elle est très reconnaissante de ma royale performance. Impressionnée, quoi.
Revenue à des préoccupations moins éthérées, la v’là qui me questionne sur mon aventure. Je lui déballe grosso modo le schéma. Ensuite je la questionne sur les gens de la conserverie. Elle m’apprend que ceux-ci se tiennent à l’écart de la maigre population. La conserverie battait de l’arête depuis plusieurs années, les jeunes gens préférant partir travailler sur le continent. Un jour, l’on a appris que des Libanais avaient racheté l’affaire qu’ils se proposaient de réorganiser et de développer. En fait, ils se sont contentés de virer les derniers employés. Aucun travail n’a eu lieu.
J’achève de gloutonner ses gâteries et je dis à ma rapide conquête que je voudrais téléphoner le plus rapidement possible à la police. La môme Kasleen me conseille d’attendre la nuit pour pouvoir circuler sans être vu. En attendant, elle va prévenir le pasteur qu’un policier étranger a besoin de son aide et qu’il viendra lui rendre visite dans la soirée.
Je lui vote un rabe de galoche sur les muqueuses et vais me pagner dans sa chambre en attendant que ça se tasse.
XV
Pittoresque personnage que le révérend Mickmack.
Tu sais, ces masques qui se composent d’un nez, de grosses lunettes d’écaille et de pommettes rouge vif ?
Eh bien c’est lui. Plus un menton en galoche et une denture qu’il n’a pas fini de se carrer dans le clapoir car on la lui a refilée trois tailles trop grande. Il a le cheveu très plaqué et en longueur, des étiquettes en vol de mouette, et un regard besbythérien dans les tons huître avariée.
Kasleen me présente. Le pasteur me sourit, me dit comment-allez-vous-très-bien-merci-et-vous-pas-mal-allons-tant-mieux-prenez-seulement-un-siège.
Ce qui est éminemment gentil, mais pourquoi « seulement un siège » ? Comme si mon cul en exigeait deux !
Après quoi, se contentant d’un minimum d’explications, il se met à actionner la manivelle d’un téléphone qui a dû être apporté dans l’île par Guillaume le Conquérant. Je regrette que l’appareil ne soit pas relié à une dynamo, car il faut tellement cigogner cette garcerie de manivelle que le digne ecclésiastique pourrait assurer sa production annuelle d’énergie électrique.
Après avoir laissé deux kilos de sueur dans l’aventure, il finit par avoir la poste de Mireyedark, de laquelle il sollicite la police de Plymouth.
Qu’il obtient par miracle, bien que sa religion ne s’intéresse à Lourdes que par le biais du rugby, et me passe. Je discutaille sobrement et on me branche sur le superintendant Fouketts à qui je décline mon blaze, ma qualité (je n’ai que l’embarras du choix) et mes coordonnées à Paris. Le digne fonctionnaire me répond que, la mer étant d’huile, il va s’embarquer immédiatly sur une vedette et qu’il sera là dans moins de deux plombes. Je lui conseille de prendre du monde avec lui et le remercie chaleureusement. On dira ce qu’on voudra « d’eux » ; mais question service, devoir et coopération, « ils » sont de première, non ?
L’attente serait longuette, en compagnie du pasteur, si ma ravissante Kasleen ne participait pas à la soirée. Ce qu’elle est choucarde, cette sœur. Tu l’aurais vue s’occuper de ses cinq lardons ; les baigner, les alimenter, les coucher… Un vrai roman photo de la « Veillée des Chaumières ».
Quand je mate les roberts à Kasleen, je me dis que, tant qu’à faire, elle aurait pu crécher dans l’île de Seins, cette poulette. Tu accrocherais deux chapeaux à ces patères (que je souhaite noster), sans que cela fasse surréaliste.
— Vous êtes marié, inspecteur ? me demande le révérend Mickmack, en me servant deux doigts de « Brandy ».
Douche écossaise, bien que la chose ait lieu en Cornouailles.
Marié !
L’image de Zoé passe, comme un ange silencieux. Je capte son regard triste. Son air désenchanté.
— Non, réponds-je brièvement.
Ce connard d’ecclésiastique vient de me filer le bourdon. Je patinais sur la piste impec de l’optimisme, et puis, une question idiote, passe-partout, superflue… Faut toujours que des tronches te fassent dégoder dans les instants de félicité. Le monde est plein de mecs qui pensent faire leur devoir parce qu’ils font ceux de leurs enfants.
J’ai du mal à surmonter ma déconfiture (de poire). Grâce au radieux sourire de ma petite maîtresse (d’école), j’y parviens tant bien que mal. Me promettant d’oublier dans ses bras, tout à l’heure, ma misère du moment.
Et puis le temps s’écoule et on frappe à la lourde.
Un très bel homme, aux tempes argentées, à la moustache finement retroussée, vêtu d’un complet prince of Wales et de gants de peau, se tient sur le seuil du presbytère.
— Superintendant Fouketts, se présente-t-il.
Tu le verrais, ce gus, à minuit, sur un îlot battu par les flots, tu croirais qu’il sort de chez lui. Pas du tout le genre du monsieur qui vient de se respirer une traversée chahuteuse. Rasé de près et de frais, le lobe talqué, la cravate de laine nouée avec soin, c’est le parfait gentleman, un peu rigide et infiniment courtois produit par la chère Grande-Bretagne. Une espèce de sergent Thomson.
On le fait entrer.
— Vous avez fait diligence, monsieur le superintendant, déclaré-je. Votre esprit de coopération… Nani nana nana nanère…
Je puise, de mémoire, dans l’armoire à tartines du Vieux. Un orfèvre, mon vénéré boss. Y’en a pas douze sur la place de Paris qui soient capables de te remouiller la compresse avec autant d’art, de grâce dix-septième.
Il s’incline.
— Votre affaire m’intéresse d’autant plus vivement, mon cher collègue, que l’on m’avait chargé primitivement de faire une légère enquête sur les étrangers acquéreurs de la conserverie. Le fait qu’ils possèdent un hélicoptère et se livrent à un étrange va-et-vient trouble les paisibles populations de l’île.
Bon, je comprends pourquoi il est si serviable. C’est bibi qui est venu apporter de l’eau à son moulin.
— Puis-je vous demander, monsieur le commissaire, de me relater l’affaire en question avec précision ? Ensuite je vous dirai, moi, ce que je sais des gens en question.
Le révérend Mickmack nous virgule une lichouille de brandy, et je plonge. Ce que je bonnis à mon confrère britiche c’est inutile de le répercuter dans tes trompes puisqu’aussi bien, j’ai eu l’honneur et le mince avantage de te le seriner à moultes reprises sur fond musical.
L’homme de police m’écoute vachetement gravement (moi, je me confectionne des sandwiches d’adverbes et je ne m’en porte pas plus mal). Il opine d’un air fort civil (d’ailleurs il n’est pas en uniforme) lorsque je reprends ma respiration ou règle le débit de ma salive.
Bon, donc, j’y dis.
Tout.
Après quoi, je finis mon verre car ma menteuse a tendance à chauffer, son système de refroidissement par air s’annonçant insuffisant.
— C’est une très étonnante histoire, assure Fouketts.
Tu me croiras si tu voudras, mais il a conservé ses gants, le chéri. Peut-être que c’est le fin du fin de la politesse dans son patelin de Plymouth ? Des us et des coutumes, hein ? Y’a des pays où il est bien de loufer à table et d’autres où t’as l’air d’un puant si tu ne brosses pas la maîtresse de maison (comme c’est l’usage en Laponie et à Paris, par exemple).
Il est précieux, le superintendant Fouketts. La pensée me traverse qu’il est peut-être de la jaquette fendue, mine de rien. Il tient son bras droit collé à lui, comme la patte au repos d’un échassier. Ça fait un peu chochotte.