Là, je salue chapeau d’autant plus bas qu’avec ces putains de cabriolets je me tiens en position de Charles Dullin jouant l’avare. Bravo. Bravissimo. Je l’avais pas vu, j’en avais pas entendu causer, mais je l’avais lu. Le most célébrous numéro à transformation in the monde. Tu crois que c’est moi, c’est plus moi, c’est Machin. Non, c’est pas Machin, c’est Truc. Trucage ! Troudutruc. Époustouflant. Bye, bye le superintendant Fouketts. V’là Dora ! Coucou, Dora ! Et si Dora n’était pas Dora ? Et si rien n’était personne ? Cache-cache néant. Illuse. Et cette psychologie, pardon ! Elle a compris que pour m’empêcher de défourailler, il fallait frapper un grand coup à l’intellect. Ailleurs, elle n’avait plus le temps.
— Eh ben, vous m’en direz tant ! que je fais comme ça, d’un ton guilleret pour masquer un peu mon époustouflance. Je n’ai encore jamais assisté à une pareille performance.
Elle répond :
— Dans un autre genre, la vôtre n’est pas mal non plus…
— Vous voulez bien me délivrer avant que des malheurs irréparables s’abattent sur vous ?
— Bien sûr.
Elle s’avance.
— Stop ! intimé-je. Pas vous ! Jetez la clé de ces accessoires à mes pieds, la gentille Kasleen va s’occuper du déverrouillage. Et surtout, belle Frigolienne, ne remuez pas un cil, sinon j’assurerai votre ultime transformation en vous déguisant en jeune femme défunte.
Elle obéit.
Elles obéissent.
Me voici libéré. Endolori, fortement contusionné de partout, mais disponible pour la suite des événements. Les vilains messieurs assaisonnés au poivre nickelé sont admirablement morts. Donc d’une tranquillité rigoureuse. Je m’empare de leurs armes appuyées au mur. « Pour ma collection privée », annoncé-je à ces dames. Maintenant que nous avons terminé nos dévotions dans cette église, si on allait boire un café fort dans un endroit moins austère ?
Là-dessus, je stoppe le carillon des deux cloches en délire. Mes tympans étant plus fatigués que les leurs.
La maison est rude. Âpre comme le reste du patelin. En granit sombre, si tu veux tout savoir. Édifiée sur une éminence de lande, elle surplombe la conserverie. Elle part un peu en quenouille, comme on disait chez les Boussac du siècle dernier, mais elle a cette noblesse des altières demeures qui ne se résignent pas au confort. Leur plus sûr titre de gloire est d’assurer le froid et la pénombre aux téméraires qui les occupent.
On entre.
Un domestique arabe somnole devant un feu de cheminée point inutile malgré que nous soyons en été. Il est enroulé sur lui-même dans les longs poils d’un tapis et ressemble au fossile géant d’un mollusque de l’ère Métique. Il se dresse à notre venue, comme le ferait un serpent éveillé par des crampes d’estomac. J’ignore à quoi rêvassait mister Ali, mais il est fléché de première. Son futal est pareil au chapiteau du cirque Jean Richard qu’on aurait dressé sur les pentes du Ventoux.
L’homme a l’air d’un crétin ou d’un hépatique mal réveillé.
Il nous regarde, enregistre mon arsenal, ne s’en émeut pas.
— Ce beau sultan pourrait-il nous préparer du caoua ? m’enquiers-je.
Dora répercute mon vœu à son gode-boy.
— Du café, Moktar !
L’autre a un petit hochement de tête et se dirige vers la porte.
— Minute ! On l’accompagne. C’est l’heure où l’on est bien dans une cuisine pour bavasser, mes poulettes.
On y est d’autant mieux à son aise, dans la cuisine, qu’elle est grande comme le palais de la Mutualité. Je la trouve sacrément délabrée, mais comme je ne viens pas pour louer la baraque, je ne me formalise pas de l’état des lieux.
Je m’assieds en tailleur sur la table monumentale. J’ordonne aux deux filles de s’installer par terre, le dos contre la porte et je laisse l’Arabe s’activer devant un réchaud genre campinge, tout neuf.
— Les bras en l’air, Dora, et vite !
J’ai aboyé, littéralement. Imagines-tu pas que, pour s’asseoir, elle fait tout un cirque, commençant à s’agenouiller, dos à moi, pour ensuite se laisser pivoter sur les talons.
La belle créature se fige.
Lève un bras. Un seul !
— L’autre ! enjoins-je.
Elle murmure, penaude :
— Je ne peux pas, je me suis brisé la clavicule.
Tiens donc, ce serait pourquoi, sous les apparences de Fouketts, elle gardait constamment son bras pressé contre sa hanche ? Et puis, tu sais comme ça s’opère, de fil en anguille (sous roche) ? La pensée décrit une trajectoire. Arc de cercle somptueux. Tourbille, monte, s’épanouit.
Je m’approche de la môme, écarte du canon de ma sulfateuse les revers de sa veste d’homme. Elle porte effectivement un pansement à l’épaule ; mais ce pansement s’adorne d’une tache de sang.
— Fracture ouverte ? interroge le brillant commissaire.
Elle a un imperceptible sourire.
Le sourire-aveu, tu connais ? Non ? Eh ben il est commak : léger, coquin. Il se produit par les yeux plus que par les lèvres.
— De Dieu, bredouillé-je, le diable est votre frère jumeau !
— Vous croyez ?
— Ainsi, vous étiez le vieux Himker ?
Elle répète, même ton :
— Vous croyez ?
Himker… Dora a joué Himker. Ou plus exactement, elle nous a joués dans ce rôle insensé. Tous : le Vieux, Pinuche, Lhuilier et moi. Dora vieillarde impotente. Dora entre ses cannes chromées, ses cannes truquées… Dora la fabuleuse.
— Je pige tout : le cadavre du chenil, c’est celui de Himker ?
— Gagné ! répond la douce enfant.
Magistral. Je la vois, la contemple, l’admire et la convoite sous ses ravissants traits, à la brasserie Lipp. Elle court se travestir et radine à la Maison Poupoule où elle nous interprète son vieil époux, digne et courroucé, avec une maestria que je te dis que ça.
— Tis jette le mitraillette ou je ti file ci chargeur dans l’cabèche ! me fait la voix du domestique nord africain.
Éclat de rire prolongé des deux filles. Voilà pourquoi Dora souriait, mutine. Je me suis laissé fabriquer par l’Arabe. Endormir par sa somnolence vaseuse. Et Césarin en a profité pour cramponner un feu dont il appuie le canon au creux de ma jolie nuque, réceptacle de tant et tant de baisers fiévreux, humides, pâmés, rouge sang, enamourés, prometteurs.
Sans grand contentement, je largue mon escopette.
— Très bien, Moktar, fait sa maîtresse.
— Qu’est-ce ji fais de lui ? questionne ce zélé.
— Tu commences par l’éloigner de nous !
— Ricule ! ordonne mon braqueur.
Je recule de deux pas.
— Encore ! exige Moktar.
Je lui consens deux autres pas arrière. Ce qui me place au niveau du réchaud où la flotte qu’il a mise à chauffer commence de bouillir dans sa casserole.
Dont je saisis prestement la queue et virgule le contenu par-dessus mon épaule.
Hurlement.
Prolongé.
Me voici déjà retourné. L’autre branque a tout largué et se tient le visage à deux pognes. Ce qui me laisse toute latitude et même entière longitude, pour lui tirer mon péno favori dans les roustons. Tu ne peux pas savoir l’efficacité d’un shoot pareil. Je n’ai jamais connu d’insuccès, en j’sais plus combien de carrière. Magique ! Personne, pour peu (voire pour beaucoup) qu’il soit doté d’un sexe masculin ne peut y résister. Il s’asphyxie par les burnes. Crache son pancréas. Tire-bouchonne du foie et se met l’estomac en portefeuille. Mon coup a été plus appuyé que pour le regretté Krakzecs, t’t’à l’heure. Ce gnon, mon bon seigneur ! Pas besoin de lui octroyer un doublé. Ce serait une dépense musculaire superflue.