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Je le laisse épancher ses sargasses sur la mer des Sarcasmes pour m’occuper de Von Schuppen. Parce que, pour te dire tout, pour te dire vrai, je viens de prendre une décision formelle, mon âne bleu : celle de connaître le fin mot de cette abracadabrante histoire avant de toucher terre. Je veux radiner en complet triomphateur : Colomb ramenant la Sud-Amérique à Isabelle dans la soute de sa caravelle !

Pour parvenir à ce succès, un seul chemin est possible : Von Schuppen.

Il doit parler.

Il est l’ultime maillon de la chaîne.

Je le couvasse du coin de l’œil. Son attitude ne me dit rien qui vaille. On le sent buté, résigné au pire sort. Des farouches de ce tonneau, tu peux leur exercer le régime massue ou le régime Massu, ils ne bronchent pas. Leur obstination va plus loin que la douleur.

Pourtant, toute cuirasse a son chmouillard, non ? Tout Achille son tendon, vrai ou pas ? Comme le disait si justement Claudel à sa concierge : « Il reste toujours une place assise dans l’autobus pour qui n’a pas de jambes. »

Faut savoir par quel bout le prendre.

Mais surtout, trouver la fente dans laquelle on enfoncera le coin.

Si tu veux d’autres métaphores, commande la boîte de rechange chez mon éditeur, tu penses bien qu’avec l’augmentation du papier et des tarifs d’imprimerie on est obligé de rogner dans la tartine.

— Ainsi, ton frère avait épousé Himker ? dis-je, en m’installant à son côté. Voilà qui est singulier. Fausse identité, soit. Mais tout impotent qu’il eût été, Himker devait bien… À moins qu’il fusse pédoque ? Il était de la flottante, Léopold Himker ?

Nothing !

Il ne me regarde même pas. Quand je te dis que je tirerai rien de lui.

La vedette bondit sur la crête des vagues. On est en plein océan, maintenant. On a beau se détroncher, on n’aperçoit plus la moindre bulle d’air au bout des horizons.

Je ressens un coup d’égarement dans la caberlure. Une bouffée brûlante. Rouge vif.

— Tu sais que si tu ne parles pas je vire ton frangin à la flotte ?

Il murmure :

— Vous lui rendriez service, car il est fini maintenant.

Tu juges d’une réaction ?

Un calme souverain. Il est aussi dur à cuire que son frelot. Quel tandem !

— Tu veux parier que je le fous à l’eau, Schuppen ?

— Faites au lieu de fanfaronner !

Bon. V’là qui dérape au départ.

Je me lève pour présenter mon visage fatigué au vent de notre course bondissante. Quel voyage : les anchois, les cloches, les sévices. Et je ligote, et je me délivre, et on remet la sauce.

Ma pensée va aux cinq petits enfants kidnappés et ça me remonte la mécanique à en bousiller le ressort. Je peux pas supporter l’idée du rapt de mouflets, moi. Dès qu’on touche à un chiare, il me pousse des crocs de loup et des griffes de tigre, pis qu’à Dracula.

Je m’approche de Béru.

Le capitaine au court cours me flanque une œillade caustique.

— T’as la poire comme une calandre de voiture sans frein, Mec ? observe mon émérite compagnon. Tu devrais être joyce, pourtant.

C’est vrai, je devrais. Je m’en suis bien sorti. Nous avons neutralisé le plus gros (du moins j’espère) de la bande, découvert des enfants enlevés, anéanti probable un trafic illicite de macchabées. Je pourrais pavoiser haut. Hisser mes couleurs au mât de cocagne.

Eh ben non, au contraire, j’enrogne, je rageasse, je peste bubonique. J’en veux davantage always. Toujours more ! Vaincre en apothéose.

Vive San-A. !

J’explique mon désarroi à Béru, par manque d’absolue vérité. Désespérance par points d’interrogation inexpugnables.

— Prends le gouvernement, je vais m’en occuper, dit-il.

— Non, Gros, je ne veux pas que tu le massacres. Nous n’avons plus que lui à disposition.

Il pousse un grand rire plus silencieux que le bâillement d’un crocodile lisant le Journal Officiel.

— J’y filerais pas la moindre calotte. Ces durs de durs, le secret, pour les mettre au pas, c’est qu’y s’fassent leur cinoche tout seuls. J’ai un moyen de lui donner à réfléchir sans qu’on se fatigue.

— Lequel ?

— Chope le volant et laisse-moi agir.

Je lui prends la barre. Il pénètre dans le rouf. S’y active en produisant autant de bruit qu’un hôtel de passe près d’une caserne. Je l’entends qui farfouille, grommelle, jure, rigole.

Des choses valdinguent hors de l’habitacle : une paire de skis, des cordes, une ceinture de sécurité, un câble…

Il réapparaît, tenant un micro rond, comme en ont les marchands forains pour haranguer la populace.

On dirait Sosthène D, le petit inventeur, venant de découvrir le robinet à eau chaude.

Il exulte, Béruroche. Gloussaille de joie…

Il s’agenouille dans le fond du barlu et se met en devoir de dessaper Von Schuppen. Il a les mêmes gestes brusques que moi, cette nuit, avec la personne que je croyais être une veuve, mais qui n’était que le veuf de son mari assassiné ! Ce qui ne vient pas assez vite, il l’arrache. Ses mains de tamanoir (breton) déchirent à pleins ongles les fringues du secrétaire.

Je fonce plein sud-est. La mer, le soleil, la mer… Le ciel bleu, la mer bleue et blanche ; le ciel avec des nuages blancs…

— Hé, San-A. !

Je me détourne ;

— Vise un peu ce que je viens de trouver !

Tu sais ce qu’il me tend ? Le bas-ventre de Von Schuppen. Un bas ventre bien plat, très lisse, garni d’un adorable triangle sombre.

— C’est pas un vrai blond, mais une vraie brune ! égosille mon fabuleux ami.

Et de toute beauté, encore !

Ah, mon ami, mon cher et noble et tendre ami, que de coups de théâtre inCONgrus et saugrenus dans cette effarante aventure. Y’a des moments, tu vois, je me dis intégralement et en aparté ceci : « Jamais ce con-là ne va me croire ! Il va prétendre que j’en rajoute. Que je délire, dérape, invraisemble. » Et pourtant, qui de plus fidèle et scrupuleux que moi, San-Antonio ? Quel auteur possédant un sens plus rigoureux de son devoir, de sa mission ?

C’est pourquoi, doux connard, il faut accepter pour bonnes mes affirmations. Tu sais bien que je ne saurais te mentir. Quand je te dis que Von Schuppen est une femme de la plus belle venue, tu dois accepter la chose, tout comme j’ai accepté que son frère, Dora, soit un homme au lieu de la gonzesse que je convoitais et m’apprêtais à fourbir.

J’émets un sifflement de toute beauté, captable par des oreilles humaines, malgré le ronron du moteur, et plus durable — en fait d’émission — que la rente Pinay.

— De mieux en mieux, fais-je. Joli chat s’est croisé ! Ton frère n’est pas ton frère et ton frère est ta sœur.

Mais Bérurier est un gars vigileur qui ne se laisse pas stopper dans ses desseins les plus sombres par des considérations futiles.

— Gonzesse ou pas gonzesse, elle va nous dire ce qu’elle sait, promet-il.

Et d’effectuer certains préparatifs dont je te donne le résumé, en vrac, sans cesser de piloter ni de loucher sur les appas (feutrés) de von Chagatte.

Il lui fait chausser des skis. Lui fixe la ceinture de sécurité, lui remenotte les mains sur le devant du corps. Fixe le micro au gilet orange dit de sauvetage. Y connexe un câble électrique. Entortille celui-ci après la corde de traction prévue pour le skiage nautique. Branche l’autre extrémité à une espèce de baffle dénichée dans le rouf. Il souffle dans le micro, y rote, le baffle restitue ces différents bruits en les amplifiant.

— Ça sert d’avoir des notations d’électricité, assure-t-il fièrement. Chez mécolle, c’est moi que je répare les loupiotes, les court-jus, la téloche et même le bigophone. De nos jours, si t’es pas doué pour le bricolage, t’es un homme foutu, vu que les services de dépannage se pointent après que ton immeuble aye été démoli.