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Le Big Boss lit, au fur, et même à mesure.

— Non !

— Si !

— Impossible !

— Mais vrai !

— Pas lui !

— Lui !

— Là vous vous trompez !

— Hélas non !

— Mais alors ?

— Hélas !

— C’est fou !

— Hélas !

— On ne pourra rien faire.

— Hélas !

Un silence suit. Tellement lourd de réflexions amères qu’il va falloir se mettre à deux pour le soulever et l’emporter ailleurs.

Enfin, mon très honorable (de lapin) chef se racle la gorge. Il déchire le papier sur un ultime regard.

Se remet à parler.

D’autre chose.

Avec la voix qu’on a au cours d’une veillée funèbre pour se demander des nouvelles de l’oncle Gaston ou de ses hémorroïdes.

— Dites-moi, mon cher…

— Oui ?

— Qu’est-ce que je voulais dire ? Voyons ? Ah ! oui… Pourquoi ces gens vous torturaient-ils pour vous faire dire ce que vous aviez fait du cadavre ? Puisqu’en définitive ils l’avaient ?

— Ceux de l’île ignoraient que Dora l’avait récupéré. Reprenons la chronologie des événements de l’autre matin, monsieur le directeur. Très tôt, Aldo s’en va à Orly pour y prendre l’avion selon le programme établi, mais en fait, sa sœur et lui ont modifié leur plan en fonction de mon coup de fil de la nuit. Parvenu à l’aéroport, Aldo dit au revoir à Krakzecs (autre membre du B.I.T.A.U.C.U.L. qui, loin d’être un transfuge, représentait son pays au sein de l’organisation) et va louer une voiture chez Avis.

Il revient à Paris et se gare près de chez Lipp. Il a donné rendez-vous à sa frangine après notre entretien afin de savoir de quoi il retourne. Elle arrive, lui fait part de mes paroles et ils décident d’agir. Elle va me suivre, histoire d’y voir plus clair dans mon mic-mac, cependant que lui se fera la gueule d’Himker (dont ils se sont débarrassés dans la nuit) et jouera son numéro de vieil honnête homme indigné. Aldo laisse sa voiture à Dora pour qu’elle me file.

À partir de là, tout se précipite.

À l’hôpital, pendant que je rends visite à Zoé, Dora regarde dans mon coffre à tout hasard. Découvre le cadavre. S’en saisit avec l’avidité que vous pensez. Où l’a-t-elle embarqué ? Mystère, j’ai omis de lui poser la question. Je suppose qu’elle devait (elle ou son frère) avoir quelque pied à terre discret à Paris. Il a bien fallu puisqu’elle avait une apparence masculine en arrivant dans l’île. Cette mise lui conférait sans doute plus d’autorité pour agir. Pendant qu’elle s’occupait de feu Merdanflak, le faux Himker, coincé à cause de la découverte du vrai, me piégeait et se rabattait dare-dare dans l’île après avoir laissé un message à sa sœur pour l’informer des événements.

Tout cela, nous le préciserons par la suite, car Dora est à notre disposition, fort heureusement…

Nouveau silence.

— Pourquoi voulaient-ils la mort de Merdanflak ? laisse tomber (sans heureusement le briser) le Boboss.

Je souris finement (n’essaie pas, tu ne pourrais pas y parvenir).

— Ils n’étaient pour rien dans l’attentat. Ce sont des agents secrets de l’émirat de Kivivrâvérâh, qui sur ordre du monarque actuel, ont agi après qu’ils eussent fini par retrouver l’ancien émir et démasquer Merdanflak. En somme, c’est ce qui a mis le feu aux poudres. Merdanflak, après que je lui eusse parlé, a pris peur. Il a demandé du secours à Von Schuppen. C’est pourquoi il l’a suivi de bonne grâce. Il savait d’où venait l’attentat et croyait qu’il ne craignait rien. Seulement Schuppen n’a pas aimé que la police s’intéresse à l’ancien émir. Peut-être a-t-il pris conseil de ses supérieurs entre son rendez-vous des Coccinelles et l’arrivée de Merdanflak à sa voiture. Toujours est-il qu’il l’a tué.

— Pourquoi ces mains ? questionne encore le Vioque en montrant l’attaché-case.

— Ordre de l’Organisation. Les maîtres du B.I.T.A.U.C.U.L. voulaient se concilier les bonnes grâces de l’émir régnant en lui prouvant la mort de son prédécesseur.

Le téléphone du Dabuche flonflonne doucement.

Vachement harmonieux comme sonnerie. Ça te dérange pas le tympan. C’est discret, cérémonieux, quoi. Une sonnerie pour P.D.G.

Il décroche. Dit oui. Écoute. Me tend le combiné d’un geste mécontent.

— Pour vous, San-Antonio.

Il a horreur que ses subordonnés reçoivent des communications dans son burlingue.

Embarrassé, je me saisis de l’appareil.

— Antoine ?

C’est M’man. Elle a une drôle de voix. Et la v’là qui fond en larmes.

— Antoine, mon grand, si tu savais…

Ses sanglots l’étouffent. Me v’là dans les alarmes !

— Maman, ma vieille chérie, mais que t’arrive-t-il ?

— Zoé ! hoquette ma Félicie d’amour.

— Quoi, Zoé ? Son état s’est aggravé ? Elle… Elle… ?

— Non. Figure-toi qu’elle a quitté l’hôpital.

— Elle s’est enfuie ?

— Oui. Et elle m’a téléphoné pour me dire…

— Pour te dire quoi, M’man ?

— Qu’elle partait à l’étranger et qu’on n’entendrait plus jamais parler d’elle car elle avait compris que tu ne l’aimais pas vraiment et que votre mariage serait une folie. Tu te rends compte, Antoine ? Elle doit faire une dépression, non ?

— Pas obligatoirement, M’man. Sèche tes larmes et prépare-moi une blanquette de veau, j’arrive.

Je fais miauler une bisouille dans l’appareil avant de raccrocher.

— Un ennui ? demande le Raclé du promontoire, d’un ton faussement apitoyé.

— Oui, monsieur le directeur.

— Grave ?

Je réfléchis à sa question.

Branle le chef.

— À la réflexion, pas tellement, monsieur le directeur.

Ainsi se termine la longue et véridique histoire de « Un os dans la noce », ce conte oriental que je te conseille vivement de mettre de côté, à l’abri de l’humidité, afin que tes arrière-petits-enfants apprennent un jour combien un auteur pouvait être con en l’an de grâce mille-neuf-cent-septante-quatre.

FIN