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J’eus soudain l’impression de me trouver au beau milieu de voitures de course attendant à la ligne de départ, car je pouvais sentir les esprits de tous et chacun dans l’assistance qui se réchauffaient et tournaient à pleine capacité, prêts à démarrer. Je me pris à songer que Atkin aurait pu tout aussi bien brandir un drapeau qu’une minuterie.

« Nous commencerons dans une minute exactement, dit Atkin en jetant un coup d’œil à la minuterie. J’ajoute en terminant que toutes les conférences seront enregistrées et que vous pourrez donc vous procurer une copie de cet enregistrement. Chacun a sa liste des noms des participants ainsi que leurs numéros de téléphone ? Bien. Nous nous arrêterons à 12 h 15 pour le déjeuner ; nous dînerons dans la salle adjacente à 17 h et reprendrons les conférences dès 18 h. Le tout se terminera ce soir à 21 h 15 et nous nous retrouverons ici demain matin, à 8 h 45. Et maintenant, plus de questions, je vous prie, car je suis le premier conférencier.

Il vérifia la minuterie, poussa le bouton du timbre, puis dit alors sans autre préambule :

« Les idées ne sont pas des pensées, mais bien plutôt des constructions structurées. Prenez-en bonne note et portez attention à la façon dont se formulent vos idées, et vous constaterez alors que la qualité de vos pensées s’en voit augmentée d’autant. Vous ne me croyez pas ? Bien. Prenez alors la meilleure des idées que vous ayez eues dernièrement puis fermez les yeux et gardez cette idée à l’esprit … »

Je fermai les yeux et me concentrai sur ce que Leslie et moi avions appris au cours de notre séjour dans le plan, à l’effet que nous étions tous des aspects les uns des autres.

« Examinez bien cette idée, poursuivit Atkin après un moment, et levez la main s’il vous semble que celle-ci est faite de mots. » Il fit une pause avant de reprendre : « De métal, alors ? » Une autre pause. « De vacuum ? » Une dernière pause, puis : « De cristal ? » demanda-t-il enfin.

Je levai la main à ces dernières paroles.

« Ouvrez les yeux, à présent. »

J’ouvris les yeux et vis que tout le monde dans la salle avait, comme moi, levé la main à la dernière question de Atkin. Un murmure de surprise parcourut l’assistance.

« Il y a une raison à ce que votre idée soit faite de cristal, dit Atkin, tout comme il y a une raison à la structure que vous y voyez. En effet, toute idée qui se voit menée à bonne fin obéit dès lors à trois lois de l’ingénierie. Recherchez ces trois lois et vous serez en mesure de dire si votre idée marchera ou pas.

Nous écoutions tous attentivement, aussi silencieux qu’un lever de soleil.

« La première de ces lois est celle de la symétrie, reprit Atkin. Fermez à nouveau les yeux, je vous prie, et examinez maintenant la forme de votre idée … »

Un curieux sentiment m’envahit et je songeai que la dernière fois que j’avais ressenti une telle poussée d’énergie, c’était quand j’avais fait passer un avion à réaction de pleins gaz à postcombustion, réussissant à peine à contrôler l’énergie sauvage résultant de cette manœuvre.

Tandis que Atkin poursuivait sa conférence, un homme se leva du siège qu’il occupait dans la deuxième rangée et se dirigea vers le tableau de gauche, où il écrivit, en grosses lettres moulées : CONCEVOIR ET CODIFIER LES IDÉES, D’ORDINATEUR À ORDINATEUR, POUR UNE COMPRÉHENSION DIRECTE QUI SOIT LIBRE DE MOTS.

Mais bien sûr, me dis-je en moi-même. Les mots sont de bien piètres outils en télépathie. Je me rappelai alors combien les mots s’étaient avérés embarrassants quand Leslie et moi avions tenté de discuter de la temporalité avec Pye.

« Et pourquoi pas d’esprit à esprit, au lieu d’ordinateur à ordinateur ? me chuchota Leslie, qui écoutait tout en prenant des notes. Un jour, nous serons à même d’aller au-delà des mots ! »

 … La quatrième loi à laquelle doit obéir toute idée qui se veut couronnée de succès, dit Atkin, c’est le charme. De toutes les lois dont je vous ai parlé, la quatrième est la plus importante. Cependant, la seule façon de parvenir à mesurer le charme d’une idée se trouve dans … »

La minuterie choisit ce moment pour faire entendre son cui-cui et l’auditoire poussa un soupir de frustration.

Atkin leva la main dans un geste d’apaisement puis régla à nouveau la minuterie et laissa sa place au conférencier suivant. Un jeune homme se dirigea à pas rapides vers la plate-forme, entamant le sujet de sa conférence avant même d’avoir atteint le microphone.

« Les nations électroniques ne relèvent pas des expériences à venir qui pourraient éventuellement marcher ou pas, dit-il. Ces nations existent déjà tout autour de nous, constituant des réseaux invisibles de personnes qui partagent les mêmes valeurs que nous. Merci, Harry Atkin, de m’avoir préparé le terrain de façon aussi habile ! Les citoyens de ces nations peuvent être des Américains, des Espagnols, des Japonais ou des Lettons, cela importe guère. Mais le lien qui unit leurs pays invisibles est encore plus fort que les frontières politiques … »

La matinée prenait l’allure de faisceaux lumineux qui sautaient du diamant à l’émeraude et de l’émeraude au rubis, gagnant en force avec chaque tour et détour des discussions. Je songeai à quel point Leslie et moi, nous nous étions sentis seuls avec nos curieuses pensées, et quelle délectable joie c’était de me sentir enfin à l’aise au sein de cette famille d’étrangers !

« Si seulement Tink pouvait nous voir maintenant, me chuchota Leslie. N’est-ce pas qu’elle adorerait assister à tout ce qui se passe ici, si elle savait ?

— Mais elle sait très bien ce qui se déroule ici, chuchotai-je à mon tour à Leslie. D’où crois-tu que soit venue l’idée de Spring Hill ?

— Mais ne disait-elle pas qu’elle était notre fée des idées et qu’elle représentait un niveau différent de nous ?

— À ton avis, lui dis-je en lui prenant la main, où nous arrêtons-nous et où commencent les autres personnes qui se trouvent dans cette salle avec nous ?

Je l’ignorais moi-même. Y avait-il un commencement et une fin à l’esprit et à l’amour, existait-il des frontières à l’intelligence et à la curiosité ?

Combien de fois Leslie et moi n’avions-nous pas souhaité avoir plus d’un corps. Tout juste quelques-uns de plus, simplement pour que nous puissions partir et rester à la fois. Nous aurions alors pu vivre paisiblement dans la nature et regarder le soleil se lever, domestiquer quelques animaux, jardiner et vivre des produits de la terre, en même temps que nous aurions été des citadins s’affairant dans la foule, courant les cinémas, réalisant des films, assistant à des conférences et en donnant nous-mêmes. Nous avions toujours cru que nous n’avions pas suffisamment de corps pour rencontrer les gens à chaque heure du jour tout en restant seuls ensemble, des corps qui nous permettraient à la fois de construire des ponts et de battre en retraite, d’apprendre toutes les langues, de développer de nouvelles habiletés, d’étudier, de faire et d’enseigner tout ce que nous avions toujours voulu apprendre et faire, de travailler et de nous reposer à la fois.

« … découvert que les citoyens de ces nations ont établi une loyauté entre eux qui se veut plus solide que celle qui unit leurs différents pays géographiques. Et cela, sans jamais s’être rencontrés, sans même l’espoir de pouvoir se rencontrer un jour ; ensemble, ils apprennent à s’aimer pour la qualité de leur pensée, de leur force de caractère …

« Ces personnes ne sont autres que nous dans d’autres corps ! me chuchota Leslie. Elles ont toujours voulu piloter des avions et nous l’avons fait pour elles. Quant à nous, nous avons toujours souhaité pouvoir parler aux dauphins, explorer l’idée des nations électroniques, et voilà que ces personnes le font pour nous ! Les personnes qui partagent le même amour ne peuvent être des étrangères, même si elles ne se sont jamais rencontrées ! »