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Tout ça c’étaient des vanes presque administratives qui ne pouvaient plus changer rien à rien. C’était joué, exactement comme dans un western où on sait que Kid-le-Justicier épousera la fille du shérif. Moi c’était bel et bien la Veuve que j’allais marida ; mais pas celle que j’avais prévue !

En loucedé elle devait drôlement se fendre le tiroir, Emma. Je lui avais débloqué la manne céleste. Ça tombait dru, les picaillons, il lui suffisait de tendre son tablier pour profiter de l’averse : l’héritage de son mec, celui du vieux… Avec ça elle pouvait se tailler pour les Amériques ! La Pampa lui appartenait… Seulement ça ne serait pas le gars Kaput qui galoperait derrière son bourrin. Pour bibi, on pouvait prévoir le successeur à Deibler, un matin ; bien poli, bien convenable, avec sa bécane dans la cour de la prison.

* * *

Mon procès s’est déroulé comme dans un rêve et je l’ai suivi avec un certain détachement. Je savais que, dès qu’il serait terminé, on me cloquerait des fringues de bure, des chaînes aux pattes, et que je deviendrais pantin dans le quartier des condamnés à mort…

Depuis mon box, j’ai suivi les différentes phases de la cérémonie. Déposition des flics, des gendarmes auxquels j’avais échappé. Déposition des témoins, à commencer par celle d’Emma dont le président « comprenait la douleur ». Déposition de Robbie…

Ensuite le représentant de la femme sans tête a jacté pendant quatre plombes en me dépeignant sous un jour plus que défavorable. Il a réclamé ma tronche, à cor et surtout à cri. On aurait dit qu’il bouffait que de ça et qu’il avait faim !

Puis ça a été le tour de mon avocaillon. Emu, il était, le petit gars. C’était la première fois qu’on passait aux assiettes tous les deux ! Il a filé itou trois plombes de salive, sur son thème favori.

Pendant sa jactance, je regardais Emma, assise au premier rang du public. Pas une seule fois elle ne leva les yeux sur moi.

Elle paraissait lointaine, insensible. Elle attendait la conclusion de l’histoire pour vraiment prendre ses dispositions car c’était une femme ordonnée qui n’amorçait rien tant qu’une affaire n’était pas définitivement conclue.

Conclue, celle-ci allait l’être. A la manière dont il bavochait, mon avocat, j’étais bonnard. Il espérait m’avoir les durs à perpète, ç’aurait été la mesure de faveur. Mais moi j’y comptais pas. A voir la frite des jurés, je comprenais que je l’avais dans le baba. J’étais pas leur genre à ces messieurs-dames. Eux, ils avaient des commerces, des emplois sérieux, des familles, des décorations et des maladies remboursées par les Sécurités Sociales. Les vermines de mon espèce, ils les exterminaient comme ils exterminaient les rats dans leurs greniers. La Société comptait sur eux pour sa défense.

Je gambergeais à tout ça lorsque mon homme de robe a cessé de débloquer. Il s’est fait alors un grand silence et le président m’a demandé si j’avais quelque chose à dire pour ma défense.

J’avais résolu de la boucler et de les laisser disposer de moi, tous. Je sentais trop que je n’étais qu’un fétu de paille paumé dans le flot des circonstances. Seulement, comme je me levais pour répondre « non », mes yeux ont rencontré ceux d’Emma. Et ce que j’y ai découvert m’a frappé. Il y avait dans ce regard une folle anxiété. On n’y lisait plus la belle assurance qui faisait sa force. Emma avait peur. Ça j’en étais absolument certain. Si elle avait peur c’était parce qu’elle avait quelque chose à redouter de moi. Quoi ? Que je dise la vérité ? Non, ç’eût été trop simple. Ça, elle l’avait prévu. Il s’agissait d’autre chose.

— Répondez, a répété le guignol. Qu’avez-vous à déclarer pour votre défense ?

Alors, miraculeusement, une voix s’est élevée dans le silence épais de la salle d’assises. Une voix nette, calme, pondérée, sûre d’elle.

Et cette voix c’était la mienne. Il m’a fallu quelques secondes avant que je l’identifie.

Je me suis mis à parler automatiquement, sans savoir au juste où j’allais, ni ce que je voulais dire. Franchement, je ne voulais rien prouver. Je prenais la parole simplement pour inquiéter la femelle qui me guettait, tendue, crispée. Pour la faire frémir, pour lui filer les jetons un moment. C’était l’ultime et la seule façon que j’avais de me venger d’elle.

— Monsieur le Président, messieurs les jurés… Je n’ai rien à dire pour ma défense… (Murmure dans la salle)… parce que je n’ai pas à me défendre. Ce sont les coupables qui se défendent. Moi je suis innocent. (Re-murmures montant jusqu’au brouhaha).

Le guignol a crié « silence » et a menacé de faire évacuer la carrée, suivant la formule.

J’ai avalé ma salive et regardé Emma. Elle était blême et ses lèvres qu’elle n’avait pas fardées pour faire plus « pauvre veuve courageuse » étaient vidées de sang.

— Je sais, ai-je enchaîné de ma voix égale. Je suis une petite crapule. Ce fait m’est fatal et je n’ai pas d’illusions à me faire. Pourtant, en mon âme et conscience, pour employer les expressions en usage ici, je dois repousser les accusations portées contre moi puisqu’elles sont fausses. Tout est faux, d’un bout à l’autre…

« Messieurs de la cour, je parle presque uniquement pour vous prouver que je suis intelligent. Ça n’est pas puéril orgueil de ma part, encore qu’un homme intelligent soit toujours orgueilleux, mais parce qu’il est essentiel que vous compreniez bien que je ne suis pas la brute sanguinaire que mon avocat a cru devoir vous dépeindre, dans un but louable, je sais. Mais si vous convenez que je suis un homme normal, vous ne pourrez plus admettre une seule seconde que j’aie agi comme on m’accuse d’avoir agi.

« Voyons, messieurs, je me suis évadé de prison où j’étais détenu pour vol. Pour un simple vol, notez-le ! Il ne me restait que douze mois à accomplir. Je trouve un emploi chez des particuliers. J’y suis tranquille, bien payé, à l’abri des recherches… Et voici qu’une nuit, je tue… Je tue un paralytique alors que, si j’avais voulu le détrousser, il m’aurait suffi de prendre ce qu’il avait à son nez et à sa barbe ! Mais pourquoi l’aurais-je tué ? Pour qu’il ne puisse me dénoncer ? Bien… Mais mon forfait accompli je serais allé me coucher tranquillement en attendant la police ? J’aurai laissé mes empreintes sur le couteau. J’aurai glissé des « titres nominatifs » sous mon matelas ! Moi ? Ceci serait à la rigueur le fait d’une brute ou d’un ivrogne ! Mais une brute sanguinaire aurait-elle échafaudé l’histoire du télégramme posté par un complice pour faire partir les occupants de la maison ? Allons donc ! En ce cas il y aurait préméditation. Un meurtrier capable de préméditer son crime n’est pas une brute !

J’ai repris mon souffle. On aurait entendu voler le roi des pickpockets. Pas un assistant n’osait remuer le petit doigt.

Tous étaient suspendus à mes lèvres, béant de stupeur et d’attente. Mon avocat, le président, les jurés, me regardaient comme s’ils me découvraient enfin. C’était un moment inouï. J’ai jeté un coup d’œil à Emma. Elle semblait muée en statue de marbre blanc. Le noir de ses atours faisait ressortir son visage blafard. Je l’ai trouvée laide. Oui, elle était enlaidie par la trouille et ça m’a réchauffé le cœur. Que je puisse détruire un instant sa beauté, n’était-ce pas ma plus magnifique vengeance ?

J’ai passé ma main sur mon front. Il ne fallait pas que je perde le fil… Maintenant, ce fil me mènerait quelque part, je le sentais. Cette histoire, c’était à moi avant tout que je la racontais. C’était moi que je convainquais de mon innocence. Ah ! l’inoubliable moment !