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— Poussons le jeu des « admissions », Messieurs, donc « admettons » que j’aie fait adresser un télégramme depuis Orléans. Qu’est-ce qui me prouvait qu’il me permettrait de rester seul à la maison ? Ecoutez-moi, écoutez-moi bien…

Cette exhortation était inutile. Ils étaient tendus à crever, les gars. Au point qu’ils devaient regretter de n’avoir que deux manettes pour m’esgourder. Ce qui — je le sentais — les impressionnait le plus, c’était mon langage choisi, la clarté de ma démonstration, mon manque de frénésie. J’étais froid et précis. Et ça, c’est peu commun chez les criminels.

— Ecoutez-moi bien, Messieurs…

Et le président ne pensait pas à me rappeler aux usages qui veulent qu’on s’adresse à Messieurs de la Cour, Messieurs les jurés. Ils étaient d’accord pour que j’abrège…

— Ecoutez-moi bien ! Baumann était en voyage avec la voiture. Logiquement, au reçu de ce télégramme alarmant, Mme Baumann aurait dû prendre le train ! Les trains pour Orléans sont nombreux ! Si elle avait loué une voiture elle m’aurait demandé, ou plutôt elle aurait dû me demander de la conduire, puisque c’était MOI le chauffeur de la maison !

Ça a fait l’effet d’un paveton dans une mare. Il y a eu une grosse rumeur d’approbation. Je tenais le bon bout.

— Je poursuis, messieurs… En m’étonnant de la conduite de Mme Baumann. Elle apprend que sa mère est mourante. Au lieu de se précipiter à la gare, elle trouve le temps de louer une voiture en pleine nuit, ce qui n’a pas dû être facile. Puis, toujours en pleine nuit, elle s’arrête à Etampes afin d’y prendre un repas dans un établissement de routiers, alors qu’elle avait déjà dîné chez elle et qu’elle surveille sa ligne comme toutes les jeunes femmes. Elle fait conduire la voiture en question par un domestique qui n’est pas le chauffeur. Vous êtes satisfait de ces explications ? Moi oui, car je comprends parfaitement son but. En agissant ainsi, elle pouvait emmener le nommé Robbie avec elle et, ainsi, me laisser seul. Il le fallait pour que je sois accusé du meurtre. Car Emma Baumann savait qui j’étais, je le lui avais dit !

Alors là, ça a été le vrai tumulte. Chacun y allait de sa beuglante. Tous les regards se sont tournés vers la jeune femme.

Ce braquage général l’a fait réagir. Elle s’est levée, a haussé les épaules et a essayé de parler, le président lui a fait signe de s’asseoir.

— Continuez ! m’a-t-il crié.

J’ai levé la main à la romaine, pour obtenir le silence, et je l’ai obtenu instantanément.

— Il y a, ai-je dit, un vieil adage policier qui dit : « Cherchez à qui le crime profite ». Il est bon. A qui ce crime a-t-il profité ? A moi, pour voler quelques titres difficilement négociables et qui aurais attendu les flics, couché dessus comme un chien sur un os ; ou bien à celle qui hérite les biens de la victime ?

« Me croyez-vous capable d’avoir été aussi monstrueusement stupide et inconscient ? Je ne le pense pas. Je n’ai rien dit durant ce procès parce que cela n’aurait servi à rien. Maintenant, allez me juger comme bon vous semblera ; quel que soit votre verdict, je suis votre homme !

Des gars ont applaudi au fond de la salle. Le président a fait carillonner sa clochette. Quand le calme a été à peu près revenu, il a fait venir Emma à la barre et lui a demandé ce qu’elle avait à dire en réponse à ces insinuations.

Elle a souri tristement en soulignant qu’elle se trouvait à Etampes au moment où on tuait le vieux. Ceci acquis, elle voulut bien expliquer qu’elle avait loué une auto parce qu’elle tenait à pouvoir circuler librement. Qu’elle s’était arrêtée pour manger parce que le voyage la fatiguait. Et enfin qu’elle méprisait mes insinuations malveillantes.

J’ai senti qu’elle redressait quelque peu la situation. Mais insuffisamment, car j’avais fait une énorme impression. La cour s’est retirée pour délibérer. Elle est revenue dix minutes plus tard et le président a annoncé à une salle exaltée que le procès était suspendu pour complément d’information.

CHAPITRE XII

J’ai retrouvé la taule et son accablante monotonie. Grâce à ma belle salade, j’avais réussi à gagner un peu de temps et à chanstiquer « l’âme et conscience » des jurés. Mais je ne me berlurais pas : c’était reculer pour mieux sauter car, dans le fond, ma bonne jactance ne tenait pas le choc. Elle avait produit un effet seulement à cause de la façon et du moment où je l’avais déballée.

Après avoir assisté à mon procès en affichant la plus souveraine indifférence, après les avoir laissés monter leur petite mayonnaise, je m’étais dressé, au moment suprême, pour exposer mon point de vue. Il y avait sur le plan psychologique des choses troublantes dans mon exposé ; mais à l’enquête ces faits s’évaporeraient comme de la rosée au soleil et je me retrouverais face à face avec la réalité. La réalité c’était ma présence dans une maison en compagnie d’un cadavre. On démolirait mes objections. On me dirait que j’étais resté sur place parce que je croyais avoir du temps devant moi, n’ayant pu prévoir que la maison parapluie débarquerait pour nous annoncer la mort « accidentelle », oh ironie ! de Baumann. Au contraire, on y verrait la preuve de ma noirceur d’âme. Ça allait ronfler vilain pour ma poire quand ils auraient récupéré. Ah ! ils allaient me la faire casquer chérot mon éblouissante démonstration. Ils m’en voudraient de les avoir chambrés tous, mon avocat en tête. Leurs belles paroles, leurs déductions sculptées dans le fromage mou, leur masturbation cérébrale, leur expérience et leur carrière, tout ça allait reprendre le dessus…

Un matin, alors que je venais de passer à la douche, un gardien s’est pointé dans ma cellote. Il tenait sous le bras un laxonpem dont la ficelle avait été brisée et le papier défait.

— Un colis pour vous ! a-t-il annoncé.

Je pouvais en recevoir, étant toujours en préventive.

Ça m’a légèrement siphonné.

— Un colis ?

— Oui, vot’bonne amie…

J’avais pas de nana, pas de famille. Je voyais donc pas qui pouvait m’adresser un pacson.

J’ai ouvert. Il y avait plein de bonnes choses dans un carton grand comme une boîte à godasses : un sauciflard, un paquet de biscuits, du chocolat, des bonbons. C’était gentil, j’en conviens… Gentil, mais anonyme. Et ça me troublait.

A la direction on avait coupé le sauce en deux, pour des fois qu’il serait truffé à la lime. Le paquet de biscuits était ouvert, de même que celui de chocolat. Ils prenaient leurs précautions.

Mais tout était innocent et du meilleur aloi.

A midi j’ai tortoré le saucisson. Il semblait pur porc et il m’a fait plaisir. Puis j’ai mangé des biscuits et du chocolat.

Vous ne pouvez pas savoir ce qu’on se fait tartir en prison durant les périodes de préven. Après aussi, of course ! Mais la taule dans l’incertitude c’est pire que tout.

La jaf m’a distrait un moment. Un bon moment même car, au bout d’une petite heure, je me suis senti vraiment malade.

Ça a commencé par des crampes de plus en plus rapprochées, puis ces crampes ont fait place à des douleurs intolérables. J’ai tout de suite pigé de quoi il retournait. Rapidos j’ai sonné le gardien.

— Emmenez-moi à l’hosto en vitesse, ai-je dit, je suis empoisonné, quelqu’un a essayé de me farcir à l’arsenic…

Il a bien vu, à mon teint, que c’était pas du bidon. J’étais d’un très beau vert, tout ce qu’il y a de champêtre. Et le masque creusé, d’un coup, par la souffrance… J’avais mal partout. Mon estomac me semblait en feu. Une sueur glacée perlait à mon front.