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Le crépuscule venait, calme, sur la grande bleue. Des barlus dansaient le long de la jetée. Une vraie bénédiction ! Je me suis dit que, même si les perdreaux me faisaient marron, ça valait le coup d’être venu.

Un gars immense, coiffé d’une bachouze galonnée est passé en bramant que France-Soir venait d’arriver. Je lui en ai acheté un, histoire de voir où en était ma température…

On parlait de la piste qu’une voisine avait découverte. Un marchand de bananes m’avait vu sortir en fumiste, un couple d’amoureux m’avait vu me changer sous le pont… Tout le monde vous voit. Vous vous croyez seulâbre, peinard, sans autre regard fixé sur vous que celui de votre ange gardien et, en réalité, tout l’univers entier vous examine comme si vous étiez bloqué sous la lentille d’un microscope ! C’en est écœurant !

Ils en étaient à mon décarage de Paname à bord d’un camion, à France-Soir, au moment de mettre sous presse. La nuit, ils ne faisaient que l’imaginer et, nature, ils se collaient le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Ils me voyaient arraisonné par les poulets, enchaîné, ramené à Paris sous bonne escorte. Ils se pourléchaient. C’en promettait du lignage et du trois colonnes à la une ! Grâce à moi, les martiens pourraient souffler un brin, les pauvres, et en profiter pour faire réviser leurs soucoupes.

J’ai lu les potins de la Commère ; ils étaient plus marrants. L’histoire du hérisson qui descend de la brosse à habit ayant cru calcer une bergère m’a fait rigoler, le pastis aussi me faisait marrer. J’étais bien.

Seulement je ne pouvais pas y passer ma vie, à cette terrasse.

J’ai payé et je suis parti à la recherche d’un petit restaurant tranquille. Je n’ai pas eu de peine à le trouver, dans une ruelle près de la Ponche. J’ai tortoré une soupe de poissons et un rouget au fenouil. La marée, on en est privé en taule.

Alors j’ai pensé qu’il me fallait un hôtel. Seulement ça, c’était risqué. Tous ceux de la Côte sont surveillés comme du lait sur le feu. Sans fafs, j’étais sûr de me trouver au gnouf du patelin, près de la mairie, avant le prochain lever du soleil.

Alors j’ai pensé à un bon truc : il y avait de vieux barlus désaffectés à l’écart du port. Je n’avais qu’à m’acheter une couvrante et à aller faire dodo dans le ventre d’un rafiot. Ça ne valait pas l’hôtel Aïoli, mais c’était un abri tout de même… avec, en supplément au programme, le bercement des flots bleus qui font pleurer les mamans.

Pour ne pas donner l’éveil, j’ai chiqué au touriste frileux qui repart pour Paris. Je suis entré dans un magasin de camping et j’ai fait l’emplette d’une couverture de voyage écossaise. J’ai acheté en outre un rasoir et un savon. Puis, mine de rien, j’ai ajouté :

— Donnez-moi donc un couteau de scout pour le petit…

Avec cette lame je pouvais pas faire le siège de Léningrad, mais je me sentais plus en sécurité…

CHAPITRE XVII

Je n’ai pas eu de peine à trouver le barlu de mes rêves. Il était amarré à gauche du port, assez loin. Il n’y avait plus que sa coque moisie, on l’avait complètement évidé, comme une noix. Ainsi il paraissait immense et désert.

J’ai grimpé à bord. Une planche inclinée m’a servi de passerelle. J’ai déposé ma couvrante sous la planche ainsi que mon nécessaire à raser. Le ya, c’était pas la peine de m’en séparer. Il était trop utile à mon standing.

La lame coupait à peu près autant qu’une baguette de chef d’orchestre. Je l’ai longuement frottée sur un morceau de fer, jusqu’à ce que je sente le tranchant s’aviver. Puis je l’ai remise dans sa gaine et l’ai glissée dans la poche intérieure du costard…

Je n’avais pas sommeil et je me sentais un peu seul. Seul comme un naufragé. Dans le ventre de ce bateau je perdais la notion de la ville, toute proche… J’étouffais.

« V’là que tu deviens claustrophobe, gars, je me suis dit ! »

Le clocher a lâché neuf coups. La nuit était lumineuse et tiède…

J’ai entrepris l’ascension de la planche flexible. Ça m’a fait du bien de retrouver le souffle du large. Je voyais les lumières de Saint-Raphaël au loin, sur la gauche, comme une guirlande de feu.

J’avais besoin de lumière. L’ombre commençait à me casser les pieds : l’ombre de la taule, l’ombre de la piaule mesquine de la pute, l’ombre de la route trouée par les calbombes du camion… Non, classe ! J’étais vivant ! La lumière c’est la vie, comme le bruit et la chaleur…

J’ai sauté sur le quai. Lentement je me suis approché du port où des voitures américaines de grand luxe étaient alignées, face aux bateaux de plaisance.

C’est à cet instant que je l’ai reconnue, la bagnole à Baumann. Emma n’en avait pas changé. Elle l’aimait, cette grosse tire verte plus chromée qu’une salle de bains. Le numéro aussi m’était familier car il comportait trois « 9 ». Si la bagnole était là ça voulait dire qu’Emma ou Robbie n’étaient pas loin…

L’occase était rêvée d’entrer en rapport avec la chère enfant. J’ai délourdé, sans bruit, la portière arrière. Et je me suis senti ému, brusquement, comme un môme qui grimpe une nana pour la première fois.

Dans la guindé il y avait l’odeur d’Emma, ce parfum minutieux et frêle, suave, qui annonçait partout son arrivée et qu’on respirait du bout du nez comme du bout des lèvres on goûte un bon picrate.

Oui, c’était déjà elle. Je pigeais avec ébahissement que je l’aimais toujours. Mon corps me l’annonçait. Il tremblait, éperdu. Et je m’étranglais comme si on m’avait fait un nœud à la gargue.

Pour de la volupté, c’était de la volupté… Heureusement que je reprenais contact par parfum interposé car, si je m’étais trouvé brusquement face à elle je serais demeuré coi, sans avoir l’idée de lever le petit doigt.

Je me suis accroupi par terre, la place ne manquait pas ! Adossé à la portière dont j’avais mis le cran de fermeture pour éviter d’être surpris, j’ai commencé à réfléchir ferme.

Ce que je faisais était terriblement risqué. Mais j’avais besoin de prendre des risques. Il me fallait employer ces forces neuves qui bouillonnaient dans mes veines. Advienne que pourra…

Lentement je me suis habitué au parfum, à l’ambiance de la voiture. Et ma haine pour cette femme est revenue, tout doucement. Je la réchauffais de mes pensées noires. Je pensais à ce qu’elle m’avait fait ; à cette toile d’araignée dorée qu’elle avait tissée patiemment pour mieux me prendre, pour mieux me perdre. C’était elle qui avait fait de moi un homme définitivement perdu, un outlaw, un tueur…

Elle m’avait enjôlé avec ses parfums et sa peau douce, avec ses baisers humides et ses regards gluants d’amour pour me faire tuer son mari. Avec un esprit méthodique formidable elle m’avait fait endosser un meurtre que je n’avais pas commis… Et il y avait le reste, tout le reste : l’infirmier de Cusco, la putain de l’impasse, Pierrot, le gros routier, qui devait commencer à se sentir moins frais à l’arrière de son mastodonte ! Tous ceux-là étaient à porter à son crédit, avec mézigue par-dessus le marka, pour faire la bonne mesure !

Car j’étais la victime numéro 1 dans l’aventure. Les autres n’avaient paumé que leur vie, c’est un truc qui arrive à tout le monde un jour ou l’autre !

Moi j’avais perdu autre chose de plus rare que la vie et de presque aussi précieux : l’équilibre ! Maintenant une porte s’était définitivement fermée derrière moi. Une porte de bronze que personne ni rien ne pourrait plus ouvrir. J’étais dans la marge à jamais, condamné à tuer jusqu’à ce qu’on me flingue un jour ou l’autre… Condamné à fuir sans cesse, à ruser, à dormir dans les fonds d’épaves, à me raser en plein air…